FORUM - 20 MARS 2000 

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Qui se ressemble s'assemble!

Les travaux de Frank Vitaro visent l'explication et la prévention des problèmes de comportement chez les jeunes.

Frank Vitaro, professeur à l'École de psychoéducation, relativise l'influence des amis déviants à l'adolescence. "L'influence n'est pas exclusive et totale, mais elle demeure importante. Elle peut d'ailleurs s'exercer bien avant l'adolescence."

"C'est la faute de ses mauvais amis!" croient les parents de jeunes délinquants. Mais au-delà de l'influence des mauvais garnements, la personnalité des jeunes et les pratiques éducatives jouent un rôle encore plus important. C'est du moins ce que démontre une étude menée auprès de 3000 jeunes Québécois.

"Les enfants normaux n'adoptent pas de comportements délinquants lorsqu'ils sont en présence d'amis déviants, indique Frank Vitaro, professeur à l'École de psychoéducation. Quant à l'influence des jeunes déviants sur les autres enfants qui ont de sérieux problèmes de comportement au cours de l'enfance, elle n'agit pas au-delà de leurs propres caractéristiques comportementales."

Serait-ce donc la fin de l'adage "Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es"? Pas exactement, répond le chercheur. Et il apporte une nuance de taille. Ce n'est pas parce que des enfants ont des amis déviants qu'ils deviennent délinquants ou souffrent plus de problèmes de comportement. C'est parce qu'ils sont délinquants qu'ils s'associent à des amis déviants.

Une exception à la règle: les jeunes dont les problèmes sont en croissance à l'adolescence. D'abord turbulents, ils semblent néanmoins sous le contrôle des parents et des enseignants... jusqu'à l'adolescence! Tout à coup, l'autorité n'a plus de prise. Si ces jeunes sont exposés à des amis déviants, l'influence est maximale, déclare Frank Vitaro. Chez ces adolescents, le chercheur a observé une augmentation des comportements délinquants.

"Ce ne sont pas tous les jeunes qui vont s'exposer à ce type de camarades. Il y a des facteurs qui prédisposent à ce genre d'association: troubles de comportement, pratiques parentales déficientes, difficultés scolaires, etc. Les enfants qui manifestent beaucoup d'impulsivité et dont les parents ont de mauvaises pratiques éducatives courent davantage le risque de s'associer à des pairs déviants et de connaître des problèmes de délinquance à l'adolescence." (Voir l'encadré.)

L'étude menée en collaboration avec Richard Tremblay, directeur du Groupe de recherche sur l'inadaptation psychosociale chez l'enfant, pourrait avoir d'importants retentissements. Elle démontre qu'il est possible de dépister les enfants à risque de délinquance à partir de caractéristiques personnelles et du milieu sociofamilial.

Dès la maternelle
Les données recueillies auprès de 3000 garçons et filles, âgés d'une dizaine d'années, montrent que les enfants s'associent à des jeunes dont le comportement est semblable au leur. Selon le chercheur, la meilleure façon d'éviter l'association avec les pairs déviants est de modifier très tôt les attitudes.

"Si l'on veut faire de la prévention à l'adolescence, c'est trop tard, estime le chercheur en psychoéducation. Dès la maternelle, il faut tenter de réduire les facteurs de risque afin d'éviter l'association avec les pairs déviants, le rejet par les camarades et l'abandon scolaire. Ces facteurs peuvent mener à la délinquance et à la consommation de drogues."

Pourquoi dès la maternelle? Parce que les enfants tissent des amitiés, dès l'âge de quatre ou cinq ans, sur la base de leurs affinités et champs d'intérêt. Une étude menée aux États-Unis a d'ailleurs permis de constater ce phénomène. Les chercheurs ont remarqué que, dès l'âge préscolaire, les enfants agressifs avaient tendance à jouer avec d'autres enfants agressifs. "Pour le moment, beaucoup de questions demeurent sans réponse. On ignore par exemple si, à cet âge, les associations de ces enfants ont des conséquences sur leur développement psychosocial et leur comportement ultérieur", révèle M. Vitaro.

Une équipe de recherche, composée de professeurs des universités de Montréal (Frank Vitaro, Richard Tremblay, Daniel Pérusse), Laval (Michel Boivin) et Concordia (William Bukowski), pourrait aider à mieux comprendre le phénomène des relations d'amitié chez les jeunes. Ces chercheurs travaillent sur un projet particulier: les relations d'amitié chez les jumeaux. L'échantillon comprend 500 paires de jumeaux nouveau-nés homozygotes (identiques) et dizygotes (non identiques).

L'étude longitudinale vise deux objectifs. Dans un premier temps, les chercheurs veulent évaluer l'influence des amis déviants à l'âge préscolaire. Deuxièmement, ils désirent savoir si les jumeaux homozygotes et dizygotes s'associent à des amis semblables. "On a tendance à attribuer la ressemblance des comportements des jumeaux identiques aux gènes, mais cela peut être dû au fait que leur environnement social adopte davantage de comportements similaires envers eux."

L'équipe a d'ailleurs déjà observé que les mères agissent à l'égard de chacun de leurs jumeaux homozygotes de manière semblable alors que les mères de jumeaux dizygotes ont une attitude différente avec l'un et l'autre. "On soupçonne que les enseignants et les camarades de classe ont la même attitude. Cela pourrait expliquer, en partie, la plus grande ressemblance des jumeaux identiques ainsi que la similitude de leurs relations d'amitié."

La qualité des relations d'amitié
Dans un article qui paraîtra au printemps dans la revue Journal of Research on Adolescence, Frank Vitaro et deux collaborateurs (Mara Brendgen, chercheuse au GRIP, et le professeur William Bukowski) affirment que le fait d'avoir des amis déviants a non seulement une influence sur le comportement et la consommation de drogues, mais aussi sur la santé mentale.

"Les jeunes qui ont des amis déviants ont tendance à avoir des sentiments dépressifs et à éprouver plus de solitude que les enfants sans amis", affirme Frank Vitaro. Selon le chercheur, cela peut s'expliquer par la qualité déficiente des relations d'amitié. "Ce n'est pas très rassurant pour un enfant d'avoir un ami dominateur avec lequel il se dispute sans cesse et en qui il ne peut pas vraiment avoir confiance. En tout cas, cela n'aide certainement pas à l'estime de soi ni à son bien-être."

Ces troubles psychologiques sont-ils réellement liés à la relation d'amitié? Pas sûr, admet le chercheur. Ces enfants sont peut-être aux prises avec des difficultés familiales ou scolaires. Par conséquent, ils dépriment ensemble et s'influencent mutuellement.

Selon Frank Vitaro, le regroupement des jeunes délinquants dans des centres est une mauvaise stratégie éducative. "Dans certains cas, le simple fait de les exposer les uns aux autres peut empirer leurs problèmes de comportement." Avec trois professeurs (Tom Dishion de l'Oregon, Joan Mc Cord de Philadelphie et François Poulin de l'Université du Québec à Montréal), il a d'ailleurs publié, l'année dernière, un article sur le sujet dans l'American Psychologist.

"Les amis déviants ne sont pas les seuls à influencer les adolescents, fait valoir le chercheur. La supervision parentale a un effet modérateur. Par exemple, si la relation avec les parents est bonne, l'influence des amis va être moins importante. Et l'inverse est aussi vrai."

M. Vitaro sait de quoi il parle. Le professeur, d'origine Italienne, étudie le phénomène de la délinquance depuis une quinzaine d'années. Avec son collègue Richard Tremblay, il a notamment évalué les effets d'un programme de prévention destiné à une population d'enfants à risque. "The Montreal Experimental Prevention Program" a été mis en place, à la fin des années 1980, dans certaines écoles de milieux défavorisés. Les chercheurs ont observé que l'amélioration des pratiques éducatives des parents et des habiletés sociales à l'école entraîne la réduction des comportements délinquants lorsqu'elle va de pair avec des amitiés moins déviantes.

À la suite des retombées positives de ce programme de prévention, les chercheurs ont aidé à mettre sur pied un programme similaire pour la maternelle. Cela a donné naissance à "Floppy", appliqué depuis 1995 dans une multitude d'écoles du Québec.

Dominique Nancy


La frénésie du jeu chez les jeunes

"Les enfants impulsifs sont à risque pour ce qui est à la fois du jeu, de l'abus de drogues et de la délinquance." C'est l'avis de Frank Vitaro, professeur à l'École de psychoéducation.
À la recherche de liens entre le jeu et les autres dépendances chez les jeunes, le chercheur a noté la présence de trois facteurs: la personnalité, les pratiques et caractéristiques parentales ainsi que le profil comportemental des amis. "Cela représente 50% des liens entre les différents problèmes d'adaptation à l'adolescence, estime-t-il. L'autre moitié provient d'autres facteurs de risque liés aux problèmes socioéconomiques ou à des variables particulières."

Conférencier au Colloque scientifique sur le jeu et les jeunes, organisé par des professeurs de l'Université de Montréal en janvier dernier, M. Vitaro a présenté les résultats d'une étude menée en collaboration avec d'autres chercheurs du Groupe de recherche sur l'inadaptation psychosociale chez l'enfant. Les données recueillies auprès de 1000 adolescents, âgés de 15 à 17 ans, démontrent que la consommation de psychotropes, la délinquance et les problèmes de jeu ne sont pas des comportements qui influent les uns sur les autres.

"Le fait d'être délinquant ne signifie pas une augmentation de la consommation de drogues ou l'apparition du jeu pathologique, signale Frank Vitaro. Mais ces problèmes sont reliés les uns aux autres, notamment par le caractère impulsif et l'hyperactivité de ces jeunes." Le milieu familial joue également un rôle important pour ce qui est de l'engouement pour les jeux de hasard. Au-delà des facteurs socioéconomiques, la combinaison d'une attitude favorable au jeu et de difficultés de communication à l'intérieur de la famille risque d'avoir un effet sur le comportement des enfants.

Les garçons sont beaucoup plus nombreux à avoir la frénésie du jeu. Selon l'étude du chercheur, 5% des garçons interrogés, soit une cinquantaine, éprouvent même de sérieux problèmes à l'égard du jeu. La passion du jeu touche seulement 2% des filles.

"Le jeu compulsif, reconnu depuis peu comme une maladie pathologique, peut avoir de graves conséquences sur la vie des jeunes, soutient Frank Vitaro. D'où l'importance de sensibiliser les parents à la dépendance aux jeux de hasard et de l'argent et de concevoir des programmes de prévention."

D.N.


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