FORUM - 21 FÉVRIER 2000

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Prévenir la délinquance

L'identification, dès l'enfance, d'une combinaison de facteurs peut servir à prévenir des problèmes de comportement à l'adolescence.

Faut-il craindre qu'un enfant de deux ans qui mord un petit camarade démontre autant d'agressivité à l'adolescence? "C'est un moyen que les enfants utilisent à un moment de leur vie pour résoudre les problèmes et obtenir ce qu'ils veulent. La socialisation va venir élargir leur répertoire d'habiletés à ce chapitre."

Étudiante au doctorat en psychologie à l'Université de Montréal, Sylvana Côté a consacré sa thèse aux facteurs qui permettent de reconnaître, à l'âge scolaire, les enfants susceptibles de présenter des comportements agressifs au tournant de l'âge adulte. Rattachée au Groupe de recherche en inadaptation psychosociale (GRIP), où l'on étudie notamment les "trajectoires comportementales réussies et problématiques", elle travaille au sein d'une équipe qui compte 19 chercheurs de sept universités québécoises et près de 100 étudiants aux cycles supérieurs.

Pour les besoins de sa recherche, Sylvana Côté a utilisé les données annuelles recueillies par le GRIP. Elle s'est penchée plus particulièrement sur l'évolution de 2000 garçons et filles âgés de 6 à 12 ans, dont certains sont aujourd'hui dans la vingtaine.

Comportement normal par rapport au cas à risque
La chercheuse considère que, vers l'âge de deux ou trois ans, l'agressivité physique est tout à fait normale chez l'enfant. Elle a tendance à décliner avec l'entrée en classe après avoir franchi différentes phases. "Le développement du langage et la maturation cognitive de l'enfant permettent la diminution des comportements d'agression physique. C'est aussi l'étape du développement de la conscience de l'autre et, à la base, de la différenciation de soi par rapport aux autres. En somme, c'est l'amorce du développement moral. Et l'agressivité physique, c'est le développement par défaut", définit-elle.

Sylvana Côté considère que le bât blesse lorsque l'enfant connaît des difficultés sur le plan de la socialisation. Au fil de son évolution, il aura recours à des moyens socialement acceptables pour progresser. Il viendra ainsi en aide à un autre enfant ou lui demandera la chose qu'il désire obtenir. "Il manifeste donc des comportements d'entraide en étant sensible aux besoins des autres. Nous pensons que seuls les enfants qui sont agressifs à l'extrême ne se conforment pas à la socialisation et n'arrivent pas à canaliser leur énergie. Dans leur cas, au contraire, ils sont plutôt indifférents aux besoins de leurs semblables."

De plus, les enfants considérés comme à risque sont hyperactifs. Par exemple, ils ont peine à rester assis sur leur chaise ou à attendre leur tour avant de parler.

Par conséquent, Sylvana Côté constate que les enfants qui combinent une hyperactivité élevée avec des difficultés à socialiser courront jusqu'à trois fois plus de risques de connaître des problèmes de délinquance à l'adolescence.

Garçons et filles
Ayant étudié les cas de garçons et de filles, Mme Côté est catégorique: les garçons sont nettement plus nombreux à devenir délinquants. De plus, le problème se traduit de façon radicalement différente selon le sexe. Les filles dites agressives souffriront de dépression et d'anxiété. Elles auront aussi tendance à abuser de drogues ou connaîtront des grossesses précoces. Et souvent, précise Sylvana Côté, ces jeunes filles auront des enfants qui éprouveront eux-mêmes des problèmes de comportement, perpétuant ainsi le cycle.

Les solutions
Pour la chercheuse, il serait faux de croire qu'un enfant ombrageux est un délinquant en puissance. L'important, c'est de demeurer vigilant et de pouvoir déceler le problème dès l'enfance. "Le plus tôt est le mieux. Mais il y a certains dangers à étiqueter un enfant trop tôt. En revanche, pour les enfants aux prises avec de graves difficultés, cela vaut mieux que de ne pas agir. Il ne faut jamais baisser les bras, car le pire peut arriver si l'on ne fait rien", souligne la spécialiste.

Le GRIP a mis sur pied certains programmes pour aider les enfants aux comportements problématiques. Le premier type d'intervention, l'entraînement aux habiletés sociales, intègre l'enfant à risque dans un groupe composé de jeunes qui ne connaissent pas de problèmes de comportement.

Un deuxième programme offre un suivi psychosocial aux adolescentes à risque. "Pour nous, intervenir auprès d'elles, c'est comme faire de la prévention de première ligne", indique Mme Côté. Elle ajoute que les programmes de prévention vont servir à diminuer l'incidence de la délinquance et l'abus de drogues, tout en améliorant la performance scolaire. La chercheuse souligne que chaque dollar investi dans une intervention précoce auprès d'un enfant aux comportements problématiques peut faire économiser sept dollars dans les années subséquentes, en plus de réduire le nombre de victimes d'actes criminels. Et des statistiques ont démontré qu'il en coûte 100 000$ par année à la société pour chaque incarcération de mineur.

Par-dessus tout, Sylvana Côté rappelle que le "cas par cas" prédomine dans le suivi des enfants à problèmes. "Certains ont des caractéristiques individuelles tellement fortes que l'encadrement parental ne suffit pas. Il n'y a pas d'absolu; tout dépend de l'interaction entre l'individu et son environnement."

Lauréate du premier prix McConnell
Le sujet de sa thèse a valu à Sylvana Côté le premier prix McConnell, une bourse de 5000$, au premier salon de la recherche du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). Deux autres étudiants ont gagné les deuxième et troisième prix, soit des bourses de 3000$ et 2000$. Chaque étudiant faisait une présentation de cinq minutes de sa recherche, matériel à l'appui, devant un jury composé de journalistes. Les étudiants participants exposaient leurs travaux afin de mieux faire connaître la recherche en sciences humaines aux parlementaires et, par ricochet, au grand public.

Perspectives
Sylvana Côté terminera sa thèse de doctorat à l'été 2001. Enhardie par ses recherches, elle compte explorer d'autres pistes, tels les facteurs associés au fait que les filles ont un comportement différent des garçons et le degré d'agressivité au-delà duquel un enfant évoluera ou non dans la délinquance. Enfin, elle se demande également si l'on peut reconnaître très tôt les enfants qui commettront des "crimes sans affrontement", comme des entrées par effraction, comparativement à ceux dont la délinquance se traduira par de l'agressivité physique.

Marie-Josée Boucher
Collaboration spéciale


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