FORUM - 31 JANVIER 2000 

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Enfants, violence et compétence sociale

François Bowen évalue un programme qui vise le développement de la compétence sociale à la maternelle.

Dans un article publié récemment dans la Revue canadienne de la santé mentale, François Bowen et ses collaborateurs présentent les résultats de l'évaluation du programme "Compétence sociale et socialisation à la maternelle". Les résultats de l'évaluation du programme pour le premier cycle du primaire seront présentés prochainement dans la Revue des sciences de l'éducation.

À la maternelle que fréquente le petit Lucas, personne ne joue avec lui. L'intervenante essaie de contourner les difficultés d'adaptation du bambin en l'aidant à nouer des amitiés, mais Lucas n'y parvient pas. Il se retrouve toujours seul dans son coin pendant que les autres enfants s'amusent ensemble.

"Plus l'enfant apprend tôt à entrer en relation avec les autres, plus les intervenants sont en mesure de prévenir la violence et le retrait social, explique François Bowen, professeur au Département de psychopédagogie et d'andragogie. Tout comme l'agressivité, l'inhibition traduit des déficits sur le plan des habiletés sociales."

M. Bowen, en collaboration avec deux chercheurs de la Direction de la santé publique de Montréal-Centre, Jean Bélanger et Normand Rondeau, a évalué un programme qui favorise le développement cognitif, affectif et social chez les enfants d'âge préscolaire. Ce programme, élaboré par Yvette Lapointe, de la Direction de la santé publique, s'appelle "Compétence sociale et socialisation à la maternelle" et a été implanté à titre expérimental dans une dizaine d'écoles de l'île de Montréal.

Qu'est-ce donc que la compétence sociale? "C'est la capacité d'entrer en relation, de maintenir des rapports sociaux satisfaisants et d'être accepté dans un groupe de pairs, répond François Bowen. La compétence repose sur des conduites comme savoir sourire, écouter les autres, se faire des amis, aider, partager, résoudre pacifiquement des conflits interpersonnels, etc."

Basé sur la promotion de la santé, le programme ne cible pas seulement les enfants à risque. Il s'adresse à tous les enfants d'âge préscolaire qui fréquentent la maternelle, signale le professeur. L'échantillon comprenait au total 239 élèves de classes et écoles différentes, dont 74 faisaient partie du groupe témoin. Quelque 165 enfants ont donc bénéficié, durant une année, d'interventions préventives. "Ces mesures ont pour objet de prévenir les éventuels problèmes psychosociaux tels que l'agressivité et l'isolement."

Évaluation du programme
Des retombées ont été observées quant à la capacité de résolution de problèmes, fait valoir François Bowen. "Nous avons noté chez les enfants du groupe expérimental [ceux qui ont bénéficié des actions préventives] une nette amélioration des habiletés à résoudre pacifiquement un conflit."

Des effets positifs ont également été constatés sur le plan de l'estime de soi, ajoute le professeur, mais ils ne sont pas les mêmes selon le sexe de l'enfant. Chez les filles, l'intervention semble protéger l'estime qui tend d'habitude à diminuer au moment de l'entrée à la maternelle. Chez les garçons, l'intervention améliore nettement l'estime de soi. Cette amélioration chez les garçons a beaucoup intéressé le chercheur, car plusieurs études ont démontré une corrélation entre la violence et la mauvaise estime de soi.

Un autre constat émerge de l'évaluation: l'application du programme semble varier d'une école à l'autre selon son milieu socioéconomique. "Le nombre moyen d'activités réalisées par les enseignantes des écoles qui ont un indice de 'défavorisation' élevé est inférieur à celui des activités effectuées par les enseignantes des écoles de milieux plus favorisés, relate le professeur. Il est cependant difficile d'expliquer ces différences." La qualité de l'intervention est aussi tributaire de l'engagement de l'enseignante, de la taille et de l'homogénéité linguistique du groupe.

L'analyse n'a pas permis de constater de changements significatifs pour ce qui est des comportements prosociaux (comportements susceptibles d'être bénéfiques à autrui) et du retrait social. François Bowen explique cette situation par le fait que les enseignantes ont semblé insister davantage sur les activités de l'estime de soi et de la résolution de problèmes.

Une version du programme destiné aux élèves du premier cycle du primaire a également été évaluée par la même équipe de chercheurs. Les résultats de cette évaluation menée auprès d'environ 300 élèves d'une douzaine d'écoles de Montréal montrent que ces élèves ont aussi réalisé des gains significatifs sur le plan des habiletés à résoudre des conflits interpersonnels et en ce qui a trait à leurs comportements prosociaux.

L'importance de la prévention
Des lacunes sur le plan de la compétence sociale peuvent entraîner de graves problèmes psychosociaux. "La plupart des enfants qui présentent des troubles de conduite (agressivité ou inhibition) risquent d'être marginalisés, dit François Bowen. Lorsque cette situation se maintient dans le temps, l'enfant s'expose soit au rejet de la part de ses pairs, soit à l'aggravation des problèmes liés à son retrait social (sentiment de solitude, dépression)."

À la fin de l'enfance ou au début de l'adolescence, l'histoire risque de mal finir si le jeune s'associe à d'autres enfants déviants: mésadaptation, délinquance, inadaptation scolaire, consommation de drogues et d'alcool, etc. D'où l'importance de l'apprentissage des habiletés sociales et cognitives dès la maternelle.

Dominique Nancy


Déclin de la sociabilité?

Voir sa famille, aller au cinéma avec des amis ou encore jouer au tennis avec un collègue de travail représentent autant de façons d'entretenir des liens sociaux. Mais de nos jours, l'éclatement de la famille, la montée de l'individualisme et les transformations du marché de l'emploi entraînent-ils un déclin de la sociabilité?

"On peut penser que tous ces changements sociaux peuvent avoir des effets sur le développement des enfants, affirme François Bowen, professeur au Département de psychopédagogie et d'andragogie. Mais il est difficile d'évaluer l'impact précis de ces changements."

Plusieurs recherches l'attestent: l'évolution des rapports sociaux ne se fait pas que dans un sens. Par exemple, il y a bien une "désinstitutionnalisation" de la famille, mais on note aussi une meilleure communication entre parents et enfants; la multiplication des chaînes de télévision et le chômage tendent à isoler, alors que l'allongement des études et l'essor des pratiques sportives vont dans le sens contraire.

"La famille, l'école, le travail, l'habitat et les loisirs sont différents contextes où s'inscrit la sociabilité, souligne François Bowen. Les liens sont aussi fortement structurés en fonction de l'âge." Le spécialiste en décrit les grandes étapes.

La famille est le premier ancrage du développement des compétences sociales de l'enfant. La garderie et la maternelle constituent une autre phase cruciale pour l'enfant: il apprend notamment à s'adapter aux autres et à s'affirmer. À cet égard, l'école joue un rôle de premier plan dans le développement de sa compétence sociale.

À l'âge adulte, le milieu de travail représente aussi un important lieu de sociabilité. La naissance des enfants fait toutefois entrer le couple dans un nouveau cycle. Du coup, les contacts avec les membres de la parenté tendent à augmenter, tandis que les autres fréquentations fléchissent. Une étude menée par l'Institut national de la statistique et des études économiques, en France, soutient que les réseaux sont le plus variés vers l'âge de 35 ans, car ils se composent à la fois des parents, des collègues, des amis et des voisins.

Les liens de voisinage se développent davantage à l'âge de la retraite. Les relations de proximité semblent alors privilégiées. Mais ce n'est qu'en partie vrai. À preuve, de nombreuses enquêtes révèlent que les nouveaux retraités ne ressemblent plus vraiment à leurs aînés.

En bref, selon qu'on est jeune, adulte ou retraité, le réseau de relations se transforme, résume François Bowen. "Mais ni l'évolution ni les changements sociaux ne permettent de confirmer la thèse d'un déclin de la sociabilité."

D.N.


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