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"Montréal est une femme... Mettez des fleurs à son corsage!"

Science et ficelles politiques ont marqué l'histoire du Jardin botanique.

André Bouchard face au bâtiment principal du Jardin botanique. Une histoire mouvementée où politique et recherche scientitique ont été intimement liées.

"Tant que l'Université de Montréal, la Ville de Montréal et la population montréalaise font bon ménage, tout va pour le mieux au Jardin botanique. Quand l'un de ces trois pôles cesse de naviguer, c'est le début des années sombres."

Telle est l'impression du botaniste André Bouchard, dont le dernier livre retrace les grands moments de l'évolution de l'une des plus populaires institutions de Montréal. Mais le sympathique professeur qui a été conservateur du Jardin pendant 21 ans s'empresse d'ajouter que l'organisme est actuellement dans une bonne période. "On ne touche plus au Jardin botanique sans s'attaquer aussi à l'Université de Montréal. Ce n'est pas négligeable."

Écrit avec la collaboration de Francine Hoffman, Le Jardin botanique de Montréal, Esquisse d'une histoire, abondamment illustré, rappelle à quel point la réalisation d'un tel mégaprojet en pleine crise (le budget totalisait 11 millions en 1939, soit quelque 122 millions en dollars actuels) a relevé de la haute voltige politique doublée d'une réelle passion pour la diffusion des connaissances. Le projet n'a jamais fait l'unanimité. Le premier ministre Adélard Godbout lui-même, pourtant agronome de profession, va tourner en dérision en 1939 ces "quelques fougères dans un jardin" à un coût faramineux.

"Le frère Marie-Victorin était un fin stratège politique. C'était en quelque sorte le Bill Clinton de l'époque", commente avec un sourire M. Bouchard au cours d'une visite guidée de ce jardin qu'il arpente depuis trois décennies. D'ailleurs, poursuit-il, si le fondateur n'avait pas vu si grand, son projet aurait certainement été emporté par une de ses crises. Aujourd'hui, c'est un incontournable lieu de fierté pour Montréal; les visiteurs y affluent tous les jours; et l'Institut de recherche en biologie végétale, qui obtient d'importants fonds de recherche depuis sa fondation en 1990, loge dans les mêmes locaux que l'Institut de botanique, mis sur pied par l'auteur de la Flore laurentienne.

Pierre Dansereau s'en va

Il n'en a pas toujours été ainsi. En 1961, par exemple, après avoir souffert de divers tiraillements administratifs, Pierre Dansereau quittait la direction de l'Institut de botanique. L'équipe, que l'écologiste de la première heure avait mise en place, se désintégra rapidement et il fallut attendre 29 ans avant que la recherche scientifique de haut calibre revienne de façon permanente sur les lieux. "Pendant toute la période qui sépare le départ de Dansereau, au début des années 1960, jusqu'en 1975, pas un seul doctorat ne sera soutenu à l'Institut", peut-on lire dans l'ouvrage publié chez Fides.

À partir de 1969, le Jardin a un nouveau directeur: Pierre Bourque. Le futur maire trouve pourtant le legs de Marie-Victorin dans un état pitoyable. À son entrée en fonction, il déclare avoir "trouvé dans le bâtiment du Jardin et dans le Jardin lui-même plus de bouteilles de 24 onces que de fleurs [...]". Qu'à cela ne tienne. L'horticulteur (qui fut chargé de cours au Département d'architecture de paysage de l'Université de Montréal) relève ses manches et se met au travail.

Sous la direction de M. Bourque, le Jardin connaît une renaissance. C'est à lui qu'on doit notamment l'aménagement de la roseraie et de l'arboretum, puis la mise sur pied de diverses activités d'animation. Il est en outre le responsable de la construction du plus grand jardin chinois hors d'Asie, d'un magnifique jardin japonais et de la relance de la visite des serres. En 1991, plus d'un million de visiteurs franchissent les tourniquets.

Conscient de s'aventurer sur un terrain glissant (Pierre Bourque est actuellement en campagne électorale), André Bouchard n'hésite pas à couvrir d'éloges son ancien patron. La liste de ses réalisations serait même "trop longue" pour être reproduite dans le livre.

Henry Teuscher réhabilité

Pierre Bourque n'est pas le seul à voir son blason redoré par le livre de M. Bouchard et Mme Hoffman. L'architecte de paysage d'origine allemande Henry Teuscher, que Marie-Victorin recrute en 1932, voit ainsi son grand oeuvre être reconnu à sa juste valeur. Le fait mérite d'être souligné, compte tenu que cet orchidophile au service du jardin botanique de New York a pratiquement créé le Jardin de Montréal par correspondance... et bénévolement. Pendant quatre ans en effet (de 1932 à 1936), le frère des écoles chrétiennes et l'Allemand entretiennent une correspondance assidue où l'on retrouve les premières ébauches du plan d'aménagement.

En ce début de "grande noirceur", la venue d'un "étranger" dans un organisme municipal était loin d'être gagnée. "La difficulté majeure vient de votre statut d'étranger, écrit Marie-Victorin à son correspondant en 1933. Une partie du comité exécutif de la municipalité manifeste à cela une certaine opposition; des personnes ne peuvent croire que nous ne puissions trouver un expert en jardin botanique à Montréal. C'est bien sûr mon combat et je paierai ce qu'il faut pour le mener à bien."

La nomination de Marie-Victorin comme directeur scientifique du Jardin et l'engagement de Henry Teuscher comme surintendant et horticulteur en chef sont néanmoins concrétisées en 1936, sous Maurice Duplessis. Enfin déménagé à Montréal, Teuscher n'est pas au bout de ses peines. Quand éclate la Deuxième Guerre mondiale, il est dénoncé comme "espion nazi". L'affaire éclate dans tous les journaux. Sans la protection de Marie-Victorin, l'homme n'aurait pas fait long feu. Était-il réellement un espion? M. Bouchard le nie catégoriquement.

Le livre d'André Bouchard et Francine Hoffman n'est pas sans défauts. Il se limite à l'histoire administrative du Jardin alors qu'on aurait aimé en savoir plus sur l'évolution des connaissances en botanique. Les plantes transgéniques, les symbioses végétaux-champignons, la place grandissante de l'écologie dans la science botanique par exemple suscitent la curiosité des profanes autant que des spécialistes. Pourtant, pas un mot dans le livre.

Mais les auteurs n'avaient pas la prétention d'être exhaustifs. Malgré tout, ils ont sûrement fait oeuvre utile, ne serait-ce que pour réhabiliter Teuscher et quelques autres obscurs alliés montréalais du règne végétal.

Les auteurs rapportent par exemple cette perle tirée d'une lettre du frère Marie-Victorin à Camillien Houde à l'occasion du tricentenaire de la ville: "[...] Montréal, c'est Ville-Marie. C'est une femme. [...] Vous ne pouvez tout de même pas lui offrir un égout collecteur ou un poste de police. [...] Alors, pardieu! Mettez des fleurs à son corsage! Jetez-lui dans les bras toutes les Roses et tous les Lys des champs."

Mathieu-Robert Sauvé

André Bouchard avec la collaboration de Francine Hoffman, Le Jardin botanique de Montréal, Esquisse d'une histoire, Montréal, Fides, 1998, 112 pages, 19,95$.

 André Bouchard dans le jardin des plantes vivaces. Une nature organisée, cartésienne.

L'oeuvre de Henri Teuscher

Le Jardin botanique de Montréal correspond aujourd'hui en très grande partie aux plans de Henry Teuscher. On peut d'ailleurs suivre, en marchant le long du chemin piétonnier, l'évolution des influences des administrateurs. Devant le magnifique bâtiment art déco qui abrite les bureaux et les laboratoires de l'Institut de recherche en biologie végétale s'étend un jardin de style européen classique. "Il n'y a pas un arbre, parmi ceux que vous voyez ici, qui n'ait été pensé par Teuscher", fait remarquer André Bouchard. C'est le règne de la nature organisée, cartésienne, maîtrisée par l'homme. Les fontaines sont aménagées dans des bassins à angle droit, les végétaux sont disposés dans une assymétrie qui n'a rien laissé au hasard.

Poursuivant sa visite dans cet état d'esprit, le promeneur aperçoit le jardin des plantes vivaces, colorées; le jardin des plantes économiques, principalement comestibles (un des succès populaires, toutes catégories), et plusieurs autres aménagements thématiques. Le visiteur marche ensuite sur un sentier qui lui fait découvrir l'alpinum (où l'on trouve une pinède et une forêt d'épinettes) et un premier étang. Au loin, il distingue l'arboretum, qui n'est autre chose qu'une collection d'arbres exotiques.

L'oeuvre de Teuscher s'arrête à peu près ici. L'un de ses rêves était de construire des jardins suspendus dans la carrière de l'extrémité nord du parc Maisonneuve. Mais la mairie en a décidé autrement et en a fait un site d'enfouissement semblable à la carrière Miron. Des gaz s'en échappent encore aujourd'hui.

M.-R.S.




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