[page U de M][Accueil Forum][En bref][Calendrier][Vient de paraitre][Etudiants][Opinions]


Pourquoi les francophones décrochent-ils?

À cause de facteurs historiques et culturels et de mauvaises méthodes d'enseignement, croit Régine Pierre.

Les statistiques sur le taux de diplomation des élèves du secondaire ont de quoi inquiéter. Dans la cohorte de 1985, seulement 53% des francophones avaient obtenu leur diplôme d'études secondaires à l'intérieur du terme normal de cinq ans. Chez les anglophones, le taux était de 70%.

Sur une période de 11 ans, le taux de diplomation au sein de cette même cohorte avait atteint 72% chez les francophones, mais 84% chez les anglophones.

Les francophones sont même dépassés par les allophones: après 5 années d'études secondaires, 61% d'entre eux obtiennent leur diplôme, une proportion qui grimpe à 82% après 11 ans.

La réforme luthérienne
Les jeunes francophones seraient-ils moins bollés que leurs camarades anglophones ou allophones? "C'est d'abord une question d'ordre culturel", croit Régine Pierre, professeure au Département de didactique, qui fait remonter le problème à la réforme luthérienne.

"Dès le 16e siècle, les pays de la Réforme, soit l'Allemagne, l'Angleterre et les pays scandinaves, ont atteint des niveaux d'alphabétisation plus importants que les pays demeurés catholiques comme la France, l'Italie et l'Espagne."

Selon Mme Pierre, cette avance des pays protestants serait due à une exhortation de Luther encourageant les fidèles à lire la Bible tous les jours. "Il s'en est suivi une campagne d'alphabétisation large et un intérêt généralisé pour l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Les protestants ont pris un siècle d'avance sur les pays catholiques, où la lecture de la Bible demeurait interdite. Au Canada, le clivage entre anglophones protestants et francophones catholiques s'est établi dès le début de la colonisation et a déterminé l'évolution de systèmes d'enseignement différents. Encore en 1850, on disait du côté francophone qu'il était inutile de construire des écoles tant qu'il resterait des terres à défricher."

Littéracie
Le Canada et le Québec ont toutefois accompli un rattrapage énorme au cours des 50 dernières années, reconnaît la professeure. "Mais le niveau d'alphabétisation et de compréhension de l'écrit, nécessaire pour fonctionner dans la vie quotidienne, s'est considérablement élevé alors que les pays déjà en avance ont continué de progresser."

Régine Pierre a créé une expression pour désigner le degré de maîtrise de la lecture et de l'écriture: la "littéracie". Pour réussir à se débrouiller dans notre société, il ne suffit pas d'être alphabétisé et de savoir lire, encore faut-il atteindre minimalement un niveau 3 de littéracie, ce qui est acquis à la fin du secondaire. Selon les études qu'elle a consultées, entre 15% et 20% des francophones au Canada demeurent au niveau 1, soit celui d'une troisième année du primaire.

Ce sont précisément les élèves qui ne réussissent pas à franchir ce niveau qui décrocheront au secondaire. "Les échecs au primaire découlent d'un manque de maîtrise de la lecture, affirme-t-elle. Après la troisième année, 34% des élèves ne savent pas encore lire et ce handicap les freine dans l'apprentissage de toutes les autres matières; très peu d'entre eux réussiront à combler le retard."

Statistiques à l'appui, Régine Pierre montre que l'âge d'entrée au secondaire est déterminant pour l'obtention du diplôme. Près de 65% des élèves admis au secondaire à l'âge de 12 ans obtiennent leur diplôme après cinq ans. Mais chez les élèves âgés de 13 ans et plus - ayant donc subi des échecs au primaire-, ils ne sont que 17% à réussir leurs études dans le même délai.

La méthode "humaniste"
Un second facteur s'ajoute au facteur culturel et freine les efforts de rattrapage de l'école francophone: la méthode d'enseignement.

"Depuis les années 1970, reprend la professeure, nous avons opté pour une approche dite "humaniste" qui s'est traduite, dans l'enseignement du français, par le rejet de toute forme d'enseignement systématique de la lecture et des mécanismes du code d'écriture. En misant sur l'oral, cette approche présuppose que l'enfant va découvrir de lui-même les mécanismes d'écriture. L'approche mise également sur le vécu familier de l'enfant, sur ses intérêts immédiats, délaissant la stimulation de l'effort."

Selon la didacticienne, les travaux réalisés depuis 30 ans montrent que cette approche est inefficace. Pourtant, c'est celle qui a été conservée réforme après réforme.

En même temps, non seulement la culture anglophone met-elle davantage d'accent sur la maîtrise de la lecture, mais la formation universitaire des maîtres y est plus poussée et il s'y fait beaucoup plus de recherches en didactique que dans les universités francophones. Bref, le cercle vicieux du retard se perpétue.

"Pour s'en sortir, conclut Régine Pierre, il faut réintroduire l'enseignement des aspects fonctionnels de la lecture et de l'écriture, mécanismes que nous avons évacués avec l'eau du bain. Il est impossible de réussir à l'école et de fonctionner dans la société sans savoir lire et écrire."

Daniel Baril



[page U de M][Accueil Forum][En bref][Calendrier][Vient de paraitre][Etudiants][Opinions]