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ESPACE: pour résoudre les problèmes de communication des personnes âgées

Au-delà des aides techniques, ce sont les habitudes et les mentalités qu'il faut changer.

Louise Getty

Guylaine Le Dorze

"Vous nous rappellerez quand vous serez dessoûlé." L'interlocuteur n'était pourtant pas soûl; il était aphasique. La réponse qu'il a reçue de la part de la commis de sa pharmacie en dit long sur les problèmes de communication que rencontrent quotidiennement les personnes âgées souffrant d'une perte auditive, visuelle ou du langage.

Au Québec, 25% des personnes de 65 ans et plus ont des problèmes de vision; la moitié souffre d'une perte auditive et l'on dénombre, chez cette population, 3200 nouveaux cas d'aphasie par année.

"L'ouïe, la vision et le langage sont nos principaux moyens de communication avec notre entourage, souligne Louise Getty, professeure à l'École d'orthophonie et d'audiologie. Les personnes âgées sont donc plus susceptibles que d'autres d'être affectées dans leurs communications avec les gens qui les entourent."

Louise Getty est directrice du groupe de recherche Équipe sociale; les personnes âgées en communication avec leur environnement (ESPACE). Créé il y a quatre ans, ESPACE a pour but d'analyser les conséquences psychosociales des problèmes de communication chez les personnes âgées et, du même coup, de définir des modes d'intervention permettant de briser l'isolement social dans lequel elles s'enferment.

"Les solutions techniques peuvent être d'un grand secours, mais ces personnes ont aussi besoin de services adaptés et de comportements adéquats de la part de leur entourage", ajoute Mme Getty.

Le travail à faire, autant dans l'analyse des problèmes vécus que dans la formation des intervenants, est énorme. Commentant l'anecdote citée au début de cet article, Guylaine Le Dorze, membre du groupe ESPACE, trouve inquiétant qu'une personne aphasique n'ait pas pu communiquer avec un service de santé comme une pharmacie. Imaginez ce qu'une telle personne peut vivre au comptoir d'une banque!

"Même dans les centres d'accueil de jour, les activités de groupe ou de stimulation cognitive ne sont pas adaptées aux besoins des personnes aphasiques, soutient-elle. Les intervenants n'arrivent pas à cerner les problèmes et ne savent pas comment agir. Ils croient que la personne ne comprend pas, qu'elle est sourde, qu'elle souffre de la maladie d'Alzheimer, et ils ne la laissent plus choisir. Le résultat, c'est que la personne décroche."

Les proches des personnes souffrant d'une telle déficience sont eux aussi démunis et ont besoin de formation, d'outils et de services appropriés.

Compassion pour les sourds
Les personnes malentendantes constituent une autre catégorie de gens passablement dépourvus. "Il existe beaucoup de services adaptés pour les personnes en fauteuil roulant et les aveugles, mais il semble qu'on ait moins de compassion pour les sourds, affirme Louise Getty. Peut-être parce qu'il s'agit d'un handicap qui ne se voit pas et qu'on associe parfois à un manque de bonne volonté de la personne."

Ici encore, pour agir correctement, il faut savoir que le problème est réel et comprendre ce que vivent ces gens. L'ouïe nous fournissant de l'information essentielle sur notre environnement, les individus souffrant d'une perte auditive sont anxieux et se coupent de leur entourage. "Ils finissent par s'isoler, n'éprouvent plus de plaisir en société et sont perçus comme des grognons."

Les aides techniques, comme les appareils d'amplification sonore, les voyants lumineux ajoutés à la sonnerie de la porte et les téléphones adaptés, ont par ailleurs leurs limites. La miniaturisation des appareils auditifs, par exemple, les rend difficiles à manipuler et à ajuster, même pour quelqu'un en possession de tous ses moyens.

"Le fait que les personnes en perte d'audition cachent souvent leur handicap pendant de nombreuses années n'aide pas non plus", souligne Louise Getty. Raison de plus pour que l'entourage sache détecter le problème et agisse de façon appropriée.

"Les aides techniques, ce n'est pas la fin de l'histoire, ajoute Guylaine Le Dorze. Il faut d'abord comprendre comment elles peuvent être utiles et ensuite vouloir s'en servir." Une attitude aussi nécessaire de la part des proches que du bénéficiaire lui-même.

La tâche qu'a entreprise le groupe ESPACE est donc colossale puisque à peu près tout le monde, dans sa famille ou dans son travail avec le public, sera un jour ou l'autre confronté à des personnes atteintes de ces déficiences. "Il faudra concevoir des outils pour chaque secteur d'activité, autant pour les services publics que pour les organismes de loisirs, reconnaît la directrice. Mais chacun gagnera à une meilleure formation puisque son travail en sera d'autant facilité."

Et les gains vont au-delà du public directement visé. "Lorsqu'on a aménagé les trottoirs pour les fauteuils roulants, les mères avec des poussettes et les enfants à bicyclette en ont aussi profité, rappelle Mme Le Dorze. Même chose avec l'identification sonore des stations de métro. Si la société répond mieux aux problèmes de communication d'un groupe, c'est l'ensemble de la population qui en bénéficie."

Le groupe ESPACE est composé de 10 chercheurs, soit 5 universitaires et 5 cliniciens, et est subventionné par le Conseil québécois de la recherche en santé.

Daniel Baril



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