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Les femmes sans peur du Refus global

«Des femmes qui ont réalisé la plénitude de leurs dons personnels.»

On peut consulter cet exemplaire du Refus global aux collections spéciales du Service des bibliothèques.

Quand le patron de la bijouterie Birks où elle travaillait comme étalagiste a su qu'elle était au nombre des signataires de ce pamphlet anarchiste qui défiait l'ordre et les valeurs de la bonne société, il l'a convoquée pour la sermonner: "Ne faites plus jamais ça", lui dit-il d'un ton autoritaire et paternaliste.

"C'était comme ça à l'époque", relate Magdeleine Arbour, l'une des 16 signataires du Refus global. Mais on n'en saura pas plus sur les vagues que le pavé a provoquées. Invitée par Les Belles Soirées à rendre hommage à ses amis les automatistes à l'occasion du 50e anniversaire du manifeste, celle qui travaille toujours comme designer d'intérieur a choisi de nous livrer un regard intime sur ses relations avec les membres du groupe de Borduas.

Malgré ses trois quarts de siècle, Magdeleine Arbour n'a rien perdu de la fraîcheur, de la rêverie, de l'émerveillement, de la naïveté même qui animaient ses 20 ans. Dans une salle de classe peu propice à une approche intimiste, elle est parvenue à transporter son auditoire sur les bords du Richelieu, où elle a connu les artistes, peintres et poètes auxquels elle voue encore une grande admiration.

D'origine modeste et ayant jouit d'une éducation très libre pour l'époque, Mme Arbour attribue à la marginalité, à la solitude et à la pauvreté le développement de son sens critique et de sa clairvoyance. "La marginalité a fait de moi une fille révoltée mais qui a gardé le coeur et l'esprit aux aguets. Quand j'étais petite, j'ai appris la liberté dans la nature en parlant aux arbres et aux écrevisses. À l'adolescence, solitaire et muette, je fréquentais les deux seuls musées à Montréal, le musée McCord et celui des Beaux-arts avec mon amie Louise Renaud."

Celle-ci, autre signataire du Refus, l'invite un jour à une maison de campagne près de Saint-Hilaire. Se promenant à bicyclette le long de la rivière, Magdeleine Arbour aperçoit cette cabane qu'on disait habitée par un peintre. "J'ai cogné à la porte et il m'a montré ses gouaches une à une. J'étais époustouflée devant le merveilleux de ces tableaux. Je suis repartie à la fin de l'après-midi en disant 'Merci monsieur'." C'était M. Borduas, comme elle l'appellera toujours.

Chez les Renaud, le noyau des automatistes prenait alors forme. Magdeleine Arbour y rencontre Fernand Leduc, "le penseur et le riche qui payait le café", Jean-Paul Mousseau, "un homme d'une grande créativité", Jean-Paul Riopelle, "un ami tendre et timide", Maurice Perron, "le photographe aux superbes portraits" et surtout les frères Claude et Pierre Gauvreau, "beaux, grands et lumineux".

"J'étais muette d'admiration devant ce groupe de peintres et de penseurs. J'avais découvert l'art par la poésie. Les Gauvreau m'en ont fait découvrir la rigueur et la magie."

Elle épousera Pierre Gauvreau, alors que Fernand Leduc choisira la soeur de sa copine, la poète Thérèse Renaud, et que Jean-Paul Riopelle préférera Françoise, "une femme d'une générosité exceptionnelle et d'une intelligence remarquable".

Pour les autres femmes du groupe, Magdeleine Arbour n'a également que des bons mots et d'heureux souvenirs: Françoise Sullivan, pour qui elle a "une grande admiration", Marcelle Ferron, "extrêmement énergique".

"Ce sont des femmes qui n'ont eu peur de rien et qui ont réalisé la plénitude de leurs dons personnels. Quand on se revoit, c'est comme si l'on avait encore 20 ans; on pense comme avant, on aime comme avant, on est dans le même bateau et il n'y a pas de rivalité."

L'époque qu'elle nous décrit apparaît calme, sereine et ensoleillée. C'était pourtant "quand tout était noir", laisse-t-elle tout de même tomber, se remémorant les lettres personnelles de Marcel Barbeau et de Riopelle, et présentant une page du Quartier latin de novembre 1945, le journal des étudiants de l'Université de Montréal, où l'on aperçoit un dessin de Jean-Paul Mousseau et un poème de Thérèse Renaud. C'est d'ailleurs dans les pages de ce journal que le terme "automatiste" sera créé pour désigner les membres du groupe de Paul-Émile Borduas.

Magdeleine Arbour nous aura par ailleurs appris comment est né le Club des voleurs de coqs de clochers. "Un jour, Jean-Paul Riopelle m'a demandé ce que j'aimerais le plus recevoir en cadeau. Je lui ai répondu: la girouette sur la croix de chemin près de Saint-Hilaire. Quelque temps après, il est arrivé chez Birks avec un sac d'armée: 'Voilà ta girouette', a-t-il dit en déposant le sac sur le sol. À mes yeux, il était un chevalier!"

Ce retour en arrière s'est avéré une épreuve pour la designer, qui, comme plusieurs autres signataires, s'étonne de l'importance qu'on accorde aujourd'hui au Refus global, préférerait ne plus en entendre parler et refuse les honneurs. "Je ne vis pas dans le passé et j'ai horreur des retours en arrière, mais je suis quand même heureuse de l'avoir fait en compagnie de mes amies."

Cette "belle soirée" intime était la troisième consacrée au Refus global. Le professeur François-Marc Gagnon, du Département d'histoire de l'art, avait dans un premier temps présenté les fondements de l'approche artistique et politique de Paul-Émile Borduas; avait suivi une conférence de Gilles Lapointe, de l'UQAM, portant sur l'influence des écrits du rédacteur du Refus global, une oeuvre considérée comme un déclencheur lointain de la Révolution tranquille.

Daniel Baril


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