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L'universitaire patrouilleur

André Normandeau voit se déployer «sa» police communautaire.

 

La voiture de police file vers le ghetto McGill. La sirène hurle dans la nuit, les gyrophares jettent leur lumière rouge le long des rues enneigées. Les deux agents répondent à un appel d'urgence. Un coup de feu a été tiré dans un logement.

Arrivés sur les lieux, les policiers (une femme et un homme) se dirigent vers l'adresse transmise par le central. Le temps passe, la tension se dissipe. Ils sonnent. Une femme d'âge mûr leur ouvre la porte. Oui, c'est bien ici.

Pendant que l'agente discute avec la "victime", l'autre monte sur le toit et inspecte les lieux. Un carreau de la vitre du puits de lumière a bien été cassé, mais aucune trace d'un agresseur. Verdict: la glace a sans doute provoqué le bris. "Mine de rien, les policiers ont passé une heure et quart à parler avec la dame, relate le criminologue André Normandeau, qui accompagnait la patrouille cette nuit-là. La femme se croyait en réel danger. Persuadée d'être suivie depuis plusieurs jours, elle avait 'entendu' un coup de feu qui n'a jamais été tiré."

Les policiers, explique ce spécialiste de la police communautaire, acceptent de plus en plus de jouer leur rôle de gardiens de la paix. Une part importante de leurs fonctions consiste encore à réprimer "à la dure" les contrevenants, mais ils consacrent désormais davantage de leur temps à l'intervention sociale, communautaire. "Veut, veut pas, les policiers sont les seuls que n'importe quel citoyen peut appeler à toute heure du jour ou de la nuit. Une bonne partie de leur travail consiste donc à expliquer quel est leur rôle..."

Dans le cas présent, il a fallu expliquer à la plaignante qu'on ne pouvait pas faire de rapport de police pour une vitre brisée par la glace.

 

Un message au corps policier

Pour le directeur du groupe de recherche sur la police québécoise, cette intervention illustre une fois de plus que l'agent Joe-les-gros-bras n'a pas d'avenir dans une société complexe comme la nôtre. Le policier de l'an 2000 est capable de communiquer avec le citoyen qu'il protège. Il possède des notions de criminologie, de psychologie et même d'anthropologie et de sociologie.

Ce n'est pas par hasard que le Service de police de la Communauté urbaine de Montréal (SPCUM) et la Sûreté du Québec ont annoncé qu'ils privilégieraient la formation universitaire chez leurs cadres et cadres intermédiaires. D'ici cinq ans, près de 3000 de ces employés, soit le tiers des effectifs, auront fréquenté l'université. "Une véritable révolution", dit M. Normandeau.

En plus d'encourager la formation universitaire aux postes stratégiques, c'est tout un message qui est lancé à l'ensemble de la profession. La réponse de l'Université de Montréal ne se fera pas attendre: un nouveau programme de premier cycle, Police et sécurité, est prévu pour la rentrée d'automne 1998.

Avec la création des 49 postes de police de quartier qui couvrent depuis deux mois tout le territoire de la CUM, André Normandeau constate l'ampleur du chemin parcouru depuis qu'il a rédigé le livre vert du gouvernement du Canada en 1990. Dès cette époque, il espérait que les autorités urbaines prennent le virage de la police professionnelle de type communautaire, inspirée du modèle de Chicago. Après Edmonton, en Alberta, Montréal a suivi. Celui qui a véritablement lancé le projet, c'est Jacques Duchesneau, qui vient de démissionner de la tête du SPCUM. "Sans aucun doute, Montréal est dans le peloton de tête avec sa police de quartier", dit André Normandeau.

Avec ce nouveau type de police, il s'agit de gérer la sécurité publique plutôt que de recourir trop vite à la répression. Par exemple, un propriétaire de dépanneur qui se fait souvent cambrioler devrait faire l'objet d'une attention particulière plutôt que de recevoir la même visite d'agents qui se bornent à rédiger des rapports.

Certes, la section de lutte contre le crime organisé fonctionnera d'une manière traditionnelle (la police ne sympathisera pas davantage avec les "Mom" Boucher), mais le rapprochement avec les citoyens commence déjà à donner des résultats. Le sentiment de sécurité de la population s'est amélioré, la satisfaction des policiers est à la hausse et leurs conditions de travail également, car le climat est plus convivial.

Cela dit, M. Normandeau reconnaît qu'il y a eu quelques ratés dans la mise en place de cette nouvelle façon de faire. Par exemple, une relation de confiance entre les agents du square Berri et les habitués du lieu a été brutalement rompue quand le commandant du poste responsable a donné l'ordre d'intervenir. André Normandeau a dénoncé publiquement cette intervention.

"Ce n'est pas dans la logique de la police de quartier d'agir comme ils l'ont fait, explique-t-il. D'autant plus qu'il ne s'agissait pas de criminels dangereux. Tout juste de petits vendeurs et de quelques 'squeegees'."

Mince consolation, le poste responsable de ce coup de force n'était pas encore officiellement converti en "police de quartier". Il est l'un des 26 districts qui ont acquis le nouveau statut le 1er février dernier.

 

Normandeau patrouilleur

Lors de la patrouille qui a mené à l'intervention pour la fenêtre brisée, en décembre dernier, André Normandeau accompagnait les policiers à titre de "stagiaire" de l'Institut de partenariat avec la police. Créé par le Service de police de la CUM, cet institut est inspiré des expériences de la Citizen Police Academy menées aux États-Unis et au Canada anglais. Pour accompagner une autopatrouille, le criminologue a dû signer une déclaration de renonciation et prouver qu'il possédait une assurance-vie.

Mais au-delà du danger couru, le chercheur était plutôt curieux de connaître l'emploi du temps des agents durant un quart de travail. "Il ne faut pas s'attendre à un crime majeur aux 15 minutes, comme à la télévision. Dans les faits, une bonne partie du travail de la police est consacrée aux incivilités. Il n'y a pas plus d'un vol à main armée par nuit..."

Une étude récente sur les appels reçus par le 911 a permis de confirmer la chose: 40% des appels se rapportent à une affaire criminelle et autant aux incivilités. Les 20% qui restent sont considérés comme inclassables. Tapage nocturne, crise d'insécurité, querelles de toutes sortes viennent donc ponctuer le travail des agents.

Mais s'ils abhorraient autrefois cet aspect de leur travail, ils ont appris à vivre avec.

Mathieu-Robert Sauvé


Un lancement événement

André Normandeau publie ces jours-ci, aux Éditions du Méridien, un imposant volume collectif en deux tomes sur la police professionnelle de type communautaire. Le lancement, qui se déroulera le 16 avril à 11 h, accueillera une vingtaine d'invités de marque. Parmi eux, le recteur René Simard, l'ancien chef du SPCUM, Jacques Duchesneau (en civil!), le directeur intérimaire de ce service, Claude Rochon, le directeur général adjoint de la Sûreté du Québec, Gilles Bouchard, le directeur général de la Gendarmerie royale du Canada (Québec), Odilon Émond, le directeur de la police de Laval, Jean-Pierre Gariépy, la directrice générale de l'Institut de police du Québec, Louise Gagnon-Gaudreault, et la présidente du conseil exécutif de la Ville de Montréal, Vera Danyluk.

Tous ces gens, et bien d'autres, sont engagés dans la mise en place de la police professionnelle de type communautaire. Le livre présente leur participation respective et une comparaison avec la France et les États-Unis. Jean-Paul Brodeur, directeur de l'École de criminologie, y va de son analyse critique intitulée "Une police taillée sur mesure".

"Sans rêver en couleur, écrit M. Normandeau en conclusion, nous pouvons affirmer, me semble-t-il, à la lumière des projets concrets de police communautaire depuis quelques années, que la police et ses partenaires ont réussi à ouvrir une nouvelle voie pour l'avenir."

M.-R.S.


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