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La loi sur les armes à feu rate la cible

Mieux vaut viser le bannissement des armes que l'accroissement de la sévérité des peines, soutient Hélène Dumont.

Hélène Dumont

En augmentant la sévérité de la peine pour les crimes graves commis avec une arme à feu, le gouvernement fédéral a donné l'impression de répondre au besoin de sécurité de la population alors qu'en réalité il a répondu à l'argument du lobby des armes.

C'est en partie l'analyse que fait Hélène Dumont, professeure à la Faculté de droit, qui s'est engagée dans la cause du contrôle des armes à feu après avoir vécu de près la tuerie de Polytechnique. Elle s'en prend plus particulièrement à la peine minimale de quatre ans prévue dans la loi concernant les armes à feu et imposée automatiquement à tout contrevenant ayant utilisé une telle arme dans la perpétration d'un crime.

Même si les aspects pénaux de cette nouvelle loi sont en vigueur depuis près de deux ans, le débat est loin d'être clos puisque des provinces de l'Ouest contestent, au nom des sphères juridictionnelles et même de la liberté d'expression, certains aspects de la réglementation sur le contrôle des armes à feu.

Dans un texte publié récemment dans la Revue canadienne de droit pénal (1), Me Dumont soutient que la peine minimale de quatre ans est inconstitutionnelle, cruelle, injuste et inutile! Elle déplore en fait que le gouvernement se soit engagé dans une escalade répressive et vindicative au lieu de rechercher le bannissement radical des armes à feu.

 

Idéologie de droite

"Il y a encore des armes non sportives qui peuvent être détenues légalement, déplore-t-elle. Le législateur aurait pu aller plus loin et agir sur les facteurs de risque en interdisant toutes les armes de poing et paramilitaires."

Le gouvernement a plutôt choisi de punir plus sévèrement et, selon Hélène Dumont, il laisse croire que cette sévérité répond aux revendications populaires et féministes en faveur du durcissement des lois pour contrer la criminalité violente. Mais le mouvement pour un plus grand contrôle des armes à feu n'aurait jamais réclamé de peine minimale; il visait plutôt le bannissement de ces armes.

Les défenseurs de l'idée d'une peine minimale étaient plutôt du côté du lobby des armes, où l'on soutenait qu'une arme est en soi un objet inanimé et que c'est le délinquant qui en fait un usage criminel; c'est donc sur lui que la loi doit exercer des contraintes. Selon la professeure de droit, le gouvernement a retenu cette logique, qui est également celle de "l'idéologie de droite du Reform Party" et qui reflète "l'opportunisme électoraliste du parti au pouvoir".

Que la recherche d'une société plus sécuritaire se traduise par un droit criminel moins humaniste a de quoi inquiéter, estime Hélène Dumont. "Il est crucial, écrit-elle, pour le féminisme juridique, de s'éloigner d'une idéologie du ressentiment." Elle invite plutôt les femmes à puiser dans leurs acquis historiques les bases d'une approche juridique fondée sur le pardon, la tolérance, le pacifisme et la réconciliation.

 

Peine inutile

Me Dumont ne voit pas de contradiction dans le fait de militer pour un contrôle plus sévère des armes à feu tout en s'opposant au durcissement des peines infligées aux contrevenants. La sévérité de la peine n'aurait en fait presque aucun effet dissuasif sur l'intention de commettre un crime.

"Toutes les études sur ce thème relèvent le manque de corrélation significative entre la sévérité des peines et la fluctuation à la baisse de la criminalité, souligne-t-elle. Ces études montrent de plus que les contrevenants ne sont généralement même pas au courant des peines auxquelles ils s'exposent lorsqu'ils commettent leur crime."

De plus, l'idée d'imposer une peine minimale de quatre ans lorsque le crime est commis avec une arme à feu contredit toute la structure du Code criminel, construit sur le principe d'une gradation de la peine en fonction de l'importance des préjudices causés.

"Le juge peut être privé de la possibilité d'examiner la gravité concrète de l'infraction, le degré réel de blâme de son auteur lorsque les circonstances l'auraient amené à imposer une sentence d'emprisonnement nettement inférieure à quatre ans, poursuit l'auteure. Cet exercice de sentencing, toutefois, pourra toujours être fait lorsque l'homicide n'a pas supposé l'emploi d'une arme à feu."

La peine minimale, sans égard aux circonstances, serait, selon Mme Dumont, contraire à au moins deux articles de la Charte canadienne des droits et libertés: l'article 7, qui stipule que les limites à la liberté doivent être conformes aux principes de justice fondamentale, et l'article 12, qui interdit les peines ou traitements cruels.

L'avocate voit deux autres effets pervers dans la peine minimale: un effet inflationniste sur toutes les sentences en général et un effet d'évitement parce que plus une sentence est sévère, plus elle est difficile à imposer. "On peut donc prédire que l'objectif du législateur de punir davantage les contrevenants ayant commis une infraction criminelle sérieuse avec une arme à feu sera inévitablement contrecarré."

Daniel Baril


(1) Hélène Dumont, "Désarmons les Canadiens et armons-nous de tolérance", Revue canadienne de droit pénal, n° 2, 1997.


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