Volume 35 numéro 31
4 juin 2001

 


Le clonage humain n’est pas pour bientôt
«On n’est pas seuls dans nos labos», met en garde un chercheur.

Lawrence Smith

Quelque 15 mères porteuses, 19 embryons, 64 tentatives. Voilà ce dont ont eu besoin les spécialistes du clonage et des techniques de reproduction assistée pour donner naissance à Starbuck II, une copie intégrale du supergéniteur Starbuck qui a donné la vie à plus de 200 000 femelles. «Le veau se porte bien. Sa croissance est un peu supérieure à la moyenne, mais on peut le comprendre: c’est le veau le plus gâté du pays. Il a une étable à lui tout seul.»

Lawrence Smith, professeur à la Faculté de médecine vétérinaire et père technologique de ce clone, retient toutefois son enthousiasme. «C’est à la puberté qu’on verra si l’animal produit une semence aussi bonne que celle de Starbuck», explique-t-il. Pour le Centre de recherche en reproduction animale, qui détient les droits sur l’animal, Starbuck II est un veau d’or. L’original avait engendré des revenus totaux de 25 M$.

Cette histoire n’est pas nouvelle. Ce qui est étonnant, c’est que le professeur Smith ait présenté sa méthode devant un auditoire de médecins, et pas n’importe lesquels. Ceux du Département d’obstétrique-gynécologie, qui tenait son congrès annuel le 27 avril dernier. Quand on pense que les techniques de reproduction médicalement assistée proposées dans les cliniques de fertilité humaine ont été mises au point d’abord dans les laboratoires de médecine vétérinaire, on peut se demander si le clonage reproductif est pour bientôt. «On ne sait pas encore si le clonage reproductif est biologiquement possible, explique M. Smith. On a encore beaucoup de problèmes.»

Y a-t-il un vieillissement précoce des clones? Pourront-ils se reproduire comme les animaux normaux? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais les défenseurs du clonage ont des raisons de se réjouir. Dolly, premier mouton cloné, a eu plusieurs portées d’agneaux normaux et ses télomères ne sont pas affectés, comme on l’avait d’abord craint. «Y aura-t-il des clones humains? Certainement pas dans un avenir proche», conclut le chercheur.

François Pothier


Toile d’araignée dans lait de chèvre

«Si l’on greffe un cœur de porc à ma copine, m’aimera-t-elle encore?» a demandé un homme à une conférence de François Pothier, spécialiste de la transgenèse animale. Question moins bête qu’elle en a l’air, selon lui. Le cœur a une valeur symbolique, même s’il a une fonction mécanique.

Invité à parler de son sujet de recherche, le professeur du Département des sciences animales de l’Université Laval a résumé quelques exploits récents de la biotechnologie: des souris dépressives qui permettent d’étudier les variations des glucocorticoïdes dans le cerveau, des animaux transgéniques permettant de comprendre le cancer et la génétique ou de tester des médicaments.

Dans le domaine de l’agroalimentaire, la transgenèse permet de modifier les organismes en vue d’augmenter leur rentabilité. Une lignée de porcs transgéniques a donné par exemple à l’Australie, dès les années 90, une viande beaucoup plus maigre que celle des porcs ordinaires. Mais on l’a retirée des étals à cause de la grogne anti-OGM. On trouve déjà sur le marché des saumons transgéniques qui croissent à une vitesse phénoménale: en huit mois, les individus atteignent le poids de poissons âgés de quatre ans.

La transgenèse permet aussi de transformer les animaux en bioréacteurs. C’est ainsi que la firme québécoise Nexia veut produire du fil d’araignée dans du lait de chèvre. Il suffira de traire la chèvre pour extraire la molécule. Le laboratoire de M. Pothier tente actuellement de faire breveter un principe similaire chez le porc. Plus précisément le sperme de porc. Le porc produirait une molécule humaine qu’on pourrait recueillir dans l’éjaculat.

La xénogreffe est aussi une avenue pleine de promesses, a expliqué le conférencier. Mais plusieurs problèmes, comme la transmission de rétrovirus, doivent être réglés avant de passer aux actes.


Des chercheurs «éthiques»

Tout cela ouvre-t-il la voie à la manipulation génétique humaine? «C’est curieux, mais on n’entend plus parler de Dolly, que de Raël», dit-il en faisant référence au gourou des raéliens, qui favorisent ouvertement le clonage humain.

Au cours de ses travaux, François Pothier a été confronté à des enjeux éthiques considérables, au point où il a fait appel à divers spécialistes des sciences humaines pour l’aider à orienter sa démarche d’homme de science. «Ce n’était pas évident au départ, relate-t-il. À notre comité siégeaient des philosophes, des éthiciens, des théologiens et une végétarienne qui avait fait son doctorat sur le droit des animaux…»

Les discussions de son comité d’éthique de la recherche, non officiel mais structuré, ont été très fructueuses, reconnaît le chercheur qui a dû, par la suite, renoncer à certains projets de recherche pour des raisons éthiques. «On n’est pas seuls dans notre laboratoire, dit-il. Les interrogations du public doivent nous occuper l’esprit. Le bien-être humain doit-il avoir préséance sur les droits des animaux? Y a-t-il une limite au transfert de gènes interespèces? Quel est l’effet sur la culture de l’animal-usine?»

Les discussions ont parfois été ardues, constate le chercheur, mais elles ont «remis les choses à leur place», selon ses termes. «C’est l’un des plus beaux trips intellectuels que j’ai faits», résume-t-il.

Le colloque annuel du Département d’obstétrique-gynécologie de l’Université de Montréal présentait, en plus de cette conférence publique, des conférences scientifiques et des communications par affiches. Les travaux des professeurs et des collaborateurs du Département se font en recherche à la fois clinique et fondamentale.

Mathieu-Robert Sauvé