Volume 35 numéro 31
4 juin 2001

 


Quand le rêve devient hallucination
Les systèmes neuronaux responsables du rêve et des hallucinations schizophrènes seraient liés entre eux.

Julie Poulin, avec l’un de ses directeurs de recherche, le Dr Emmanuel Stip, dans le module d’observation au laboratoire du sommeil du Centre de recherche Fernand-Seguin.

Les images et les situations bizarres qui surgissent pendant les rêves et qui n’ont souvent aucune cohérence apparente ressemblent à certains égards aux troubles de la schizophrénie.

«Rêver qu’on a gagné la coupe Stanley peut se comparer au délire du schizophrène qui attribue des significations irréelles aux événements qu’il vit», affirme le Dr Emmanuel Stip, psychiatre et membre du Centre de recherche Fernand-Seguin de l’hôpital Louis-Hippolyte-LaFontaine.

Cette ressemblance de forme entre le rêve et la schizophrénie pourrait ne pas être fortuite. Julie Poulin, une étudiante à la maîtrise au laboratoire du sommeil dirigé par le Dr Roger Godbout au centre Fernand-Seguin, a mis en évidence l’existence de deux types de corrélations entre les symptômes de la schizophrénie et l’électroencéphalogramme (EEG) du sommeil paradoxal des personnes atteintes de la maladie. Le sommeil paradoxal est la phase pendant laquelle surviennent les rêves les plus vifs et qui se caractérise par des mouvements oculaires rapides, une diminution du tonus musculaire et une désynchronisation des ondes cérébrales.

«Comparativement à l’électroencéphalogramme des personnes non atteintes, celui des patients schizophrènes montre un niveau élevé d’activité bêta pendant le sommeil paradoxal, souligne Julie Poulin. Plus les symptômes de faible réaction aux stimuli — comme le manque de volonté et d’engagement, les émotions émoussées, le retrait de la vie sociale — sont importants, plus il y a d’activité bêta. Par contre, plus les symptômes d’hyperactivation comme les hallucinations, le délire, les sentiments de persécution et de grandeur sont importants, moins il y a d’activité bêta.»

L’activité bêta est une bande de fréquence rapide de l’EEG associée aux mécanismes neuronaux qui contrôlent le sommeil paradoxal.

Les symptômes de faible réaction et d’hyperactivation peuvent se retrouver chez une même personne alors que d’autres patients ne présenteront que l’un des deux types de symptômes. Le fait que ces deux catégories de signes ne sont pas corrélées de la même façon avec le sommeil paradoxal montre, aux yeux des chercheurs, qu’il existe une dissociation anatomique et fonctionnelle entre les divers facteurs de la schizophrénie.

Les différences observées dans l’EEG ne peuvent être attribuées aux neuroleptiques puisque l’étude, effectuée sous la direction de Roger Godbout et d’Emmanuel Stip, tous deux professeurs au Département de psychiatrie, a porté sur des patients qui n’avaient encore reçu aucun traitement médicamenteux pour soigner leur maladie.


Rêve et hallucination

Les travaux de Julie Poulin et de l’équipe du laboratoire ont par ailleurs permis d’observer que plus la schizophrénie est sévère, moins les mouvements oculaires rapides sont nombreux et plus le temps passé en sommeil paradoxal est bref. En outre, plus les symptômes d’hyperactivation (hallucinations et délires) sont importants, plus le premier épisode de sommeil paradoxal survient tôt après l’endormissement.

L’ensemble de ces corrélations fait dire aux chercheurs qu’il existe des liens entre les circuits neuronaux responsables du sommeil paradoxal et ceux responsables des symptômes de la schizophrénie.

Est-ce à dire que la schizophrénie pourrait être interprétée comme une irruption du rêve dans l’état de veille? «Une telle interprétation a déjà été proposée, mais nos travaux ne permettent pas encore d’aller jusque-là, répond Julie Poulin. Il faudrait pour cela faire des relevés d’EEG chez des patients en état de veille et pendant leurs périodes de crise en plus de comparer le contenu des rêves et des hallucinations.»

Les chercheurs du centre Fernand-Seguin formulent pour l’instant une interprétation plus prudente selon laquelle le rêve et les hallucinations pourraient partager des substrats communs. Les processus de veille et de sommeil paradoxal auraient en fait le défaut de ne pas s’inhiber l’un l’autre, ce qui ne serait pas étranger aux manifestations cliniques de la maladie.

Ce dysfonctionnement pourrait aussi être à l’origine des problèmes d’insomnie dont souffrent les personnes schizophrènes, alors que les troubles du sommeil peuvent être à la source des dysfonctions cognitives comme les troubles de l’attention et de la mémoire.

Daniel Baril