Volume 35 numéro 31
4 juin 2001

 


L’Ordre du mérite à Jocelyn Demers
Cofondateur de Leucan, il a soigné des centaines d’enfants cancéreux.

Le Dr Jocelyn Demers est le 34e lauréat de la médaille de l’Ordre du mérite de l’Association des diplômés. Il est félicité par Pierre Pilote (à gauche) et applaudi par Jacques Chagnon (à droite).

À la fête des Pères, le 20 juin 1979, le Dr Jocelyn Demers a eu à annoncer à Pierre Bruneau que son fils était atteint de leucémie lymphoblastique aiguë. «Le pire des cadeaux imaginables pour un père», se souvient le lecteur de nouvelles de TVA. Le pronostic laissait peu d’espoir de guérison à cette époque, et l’enfant est décédé peu après.

L’hémato-oncologue pédiatrique et M. Bruneau sont pourtant devenus des amis et, deux décennies plus tard, une aile complète de l’hôpital Sainte-Justine porte le nom de Charles Bruneau, la jeune victime du cancer du sang. «Si mon fils a été l’âme de ce centre consacré à la cancérologie, Jocelyn Demers en a été le bâtisseur», dit aujourd’hui M. Bruneau dans une présentation audiovisuelle diffusée le 16 mai dernier, au Gala annuel de l’Ordre du mérite. Le Dr Demers, qui a obtenu son diplôme de la Faculté de médecine en 1965, est le 34e lauréat de la médaille de l’Ordre du mérite, qui a aussi été remise à Pierre Elliott Trudeau, Robert Bourassa, Antonio Lamer et Pierre Péladeau.

D’autres personnalités ont tenu à lui rendre hommage dans la vidéo qui lui est consacrée, une réalisation de Jean Lefrançois, de la Direction générale des technologies de l’information et de la communication de l’Université de Montréal (DGTIC). «J’aurais aimé être son étudiant, dit le doyen de la Faculté de médecine, Patrick Vinay. C’est un homme de feu et de passion.» Pour son collègue Georges-Étienne Rivard, pédiatre à l’hôpital Sainte-Justine, le Dr Demers est une personne «dévouée et généreuse».

De plus, il est toujours de bonne humeur… Cela peut sembler surprenant pour un médecin qui vit quotidiennement avec des enfants cancéreux. Cette attitude est communicative. À l’hôpital, il n’est pas rare de voir des enfants lui sauter dans les bras.


Un cancer qu’on soigne mieux

Il faut dire que les traitements du cancer chez l’enfant ont connu une amélioration notable depuis deux décennies. Quand on visite les cinq étages du pavillon Vidéotron, construit à l’extrémité ouest de l’hôpital Sainte-Justine au coût de 17 M$, on ne peut s’empêcher de penser aux drames qui se vivent dans les corridors et les chambres de soins ambulatoires ou de longue durée. Surtout lorsqu’on croise les regards des enfants chauves qui se baladent avec leur support à transfusion.

«Cela paraît pire vu de l’extérieur, confiait aux Diplômés Jocelyn Demers au cours d’un entretien en 1998. Pour deux raisons: la première, c’est qu’on guérit aujourd’hui 80 % des cas de leucémie lymphoblastique aiguë, alors qu’on n’en guérissait aucun dans les années 70. Sur ce plan, le changement est complet. C’est le jour et la nuit. La seconde raison, c’est que les enfants restent des enfants. Ils veulent rire, s’amuser, jouer avec leurs amis. Ça semble étrange à dire comme ça, mais je travaille dans un milieu très “positif”, beaucoup plus blanc que noir.»

Le Dr Demers n’est pas pour autant jovialiste. Cette fabuleuse réussite de la médecine (tous cancers confondus, ce sont plus de 70 % des jeunes patients qui connaissent la guérison) a rendu les équipes médicales très sensibles aux décès qui, malgré tout, demeurent fréquents dans un service d’oncologie. «Quand survient une maladie fatale au milieu d’une leucémie par exemple, ça fait très mal. Nous ne l’acceptons pas. Comme si nous avions perdu l’habitude de voir nos patients mourir...»

Autre élément qui rend la vie de clinicien difficile: la souffrance provoquée par les traitements. Ponctions lombaires, prises de sang, transfusions, ponctions de moelle osseuse, radiographies, tests biochimiques accompagnent de façon quasi quotidienne les médications qui provoquent encore de douloureux effets secondaires, dont l’alopécie (perte des cheveux) est l’un des moindres.

Les enfants du Dr Demers ne cachent pas que leur père est très sensible à la souffrance de ses patients. Son fils François, qui a choisi la médecine, se souvient qu’à sa première année d’études son père avait témoigné de cette humanité devant toute une classe de futurs médecins. «Il avait dit qu’il fallait aborder chacun de nos patients comme s’ils étaient des membres de notre propre famille», confie-t-il dans la vidéo de la DGTIC.


Hommage d’André Chagnon

Président d’honneur de la soirée, le fondateur de Vidéotron, André Chagnon, a rappelé que le Dr Demers a travaillé durant trois ans dans un hôpital de Tunis dès l’obtention de son diplôme de médecin. «Il fallait une bonne dose de courage et d’abnégation pour quitter l’Amérique du Nord et son abondance afin d’aller porter secours aux enfants miséreux de la Tunisie, estime-t-il. Voilà qui nous donne une bonne indication de la façon dont le Dr Demers entendait mener sa carrière de pédiatre.»

M. Chagnon a rappelé que Charles Bruneau avait lancé une phrase qui avait eu un impact considérable tant auprès des bailleurs de fonds qu’auprès de la population en général: «Quand je serai grand, je serai guéri!» En fondant Leucan en 1978, puis en participant activement à la création de la fondation Charles-Bruneau, le Dr Demers aura contribué de près à lutte contre le cancer chez l’enfant.

Le président de l’Association des diplômés, Pierre Pilote, avait précédemment rappelé que l’Ordre du mérite est décerné chaque année à une personnalité ayant obtenu son diplôme de l’Université de Montréal. Trois critères motivent le choix du comité de sélection, formé d’anciens présidents de l’Association: le déroulement exceptionnel d’une carrière, une contribution indéniable à l’avancement de la collectivité et un apport certain au rayonnement de l’Université de Montréal.

Mathieu-Robert Sauvé