Volume 35 numéro 31
4 juin 2001

 


Porteur d’eau
Un étudiant à la maîtrise met fin à la polémique sur le mécanisme de transport de l’eau à travers la membrane cellulaire.

Les trois chercheurs qui ont rétabli le principe de l’équilibration osmotique comme seul mécanisme de transport de l’eau à travers une membrane biologique: Pierre Bissonnette, Jean-Yves Lapointe et Pierre-Pascal Duquette, ce dernier étant l’auteur principal de l’étude.

Pierre-Pascal Duquette, du Département de physique, peut se vanter d’être parmi les rares étudiants à la maîtrise à avoir vu ses résultats de recherche diffusés dans une publication scientifique internationale du calibre de la revue de l’Académie nationale des sciences des États-Unis. Le 27 mars dernier, Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) publiait ses travaux, qui rétablissent le principe de l’équilibre osmotique comme seul mécanisme du transport de l’eau à travers les membranes biologiques.

Ce principe de biophysique, admis depuis une centaine d’années, a été remis en question en 1996 par un chercheur réputé de l’Université de Californie à Los Angeles, Ernest Wright. Ce dernier soutient avoir démontré qu’une protéine membranaire de transport du sodium et du glucose aurait aussi la propriété de pomper de l’eau, ce qui constituerait un second mode de transport de l’eau à travers la membrane d’une cellule.
Le problème, c’est qu’un tel mécanisme nécessite une dépense d’énergie de la part de la cellule, alors que le transport passif de l’eau par équilibration osmotique ne requiert aucune énergie.


L’équilibre osmotique

«Les travaux de M. Wright ont dérangé beaucoup de monde et nous trouvions les conclusions douteuses», affirme Jean-Yves Lapointe, professeur au Département de physique et directeur du travail de Pierre-Pascal Duquette.

Pour saisir l’enjeu, qui a d’importantes conséquences sur le plan des connaissances fondamentales, il faut se remémorer nos cours de physique 101. Le principe de l’équilibration par osmose, on s’en souvient tous! établit que le mouvement de l’eau entre deux compartiments séparés par une membrane perméable s’effectue du milieu le plus dilué vers le milieu le plus concentré.

«L’eau est attirée par pression vers le milieu plus concentré parce qu’il y a proportionnellement moins d’eau dans cet espace que dans l’autre», explique Jean-Yves Lapointe. Dans une cellule, l’entrée d’eau peut s’effectuer selon ce même principe lorsque la cellule contient plus de soluté que son milieu ambiant. Le passage de l’eau peut se faire alors par l’intermédiaire des aquaporines, des protéines membranaires spécialisées qui ne laissent passer que l’eau.

À l’aide d’œufs de grenouille sur lesquels la protéine de transport du sodium et du glucose a été exprimée en grande quantité, Ernest Wright a observé que ce cotransporteur semblait aussi laisser passer l’eau. Après quelques secondes dans une solution de glucose et de sodium, l’œuf de grenouille se trouvait gonflé par un flux correspondant qualitativement à 270 molécules d’eau par molécule de glucose transporté.


Le principe est rétabli

«Nous avons refait l’expérience et nous sommes arrivés aux mêmes résultats, mais nous ne sommes pas d’accord avec l’interprétation de M. Wright», déclare le professeur Lapointe.

L’expérience de Pierre-Pascal Duquette, réalisée au sein du Groupe de recherche en transport membranaire, et l’analyse fine des résultats montrent que la cellule ne se gonfle d’eau qu’une dizaine de secondes après que le glucose et le sodium y ont pénétré, ce qui signifie que l’eau ne passe pas instantanément avec ces nutriments.
«L’explication, c’est que l’entrée du glucose et du sodium dans la cellule crée localement un déséquilibre de concentration entre les deux milieux, ce qui provoque une entrée d’eau en vertu des lois de l’osmose», soutient le professeur. Il n’y a donc pas de «porteurs d’eau» aux portes de la cellule.

La démonstration a été acclamée par la communauté scientifique, qui voit ainsi rétabli le principe de l’équilibration osmotique comme seule force motrice permettant le transport de l’eau à travers une membrane biologique. L’éditeur du PNAS, où avaient d’ailleurs été publiés les résultats de M. Wright, s’est dit très heureux de diffuser le travail de Pierre- Pascal Duquette. Ce travail a par ailleurs fait l’objet d’un commentaire élogieux d’une sommité mondiale dans le domaine du transport membranaire, le professeur S.G. Schultz, de l’Université de Houston.

«On ne s’attendait pas à ce que cette recherche ait autant d’impact», reconnaît M. Lapointe. La polémique n’est toutefois pas close: le chercheur devra aller défendre ses conclusions dans un débat avec Ernest Wright au congrès international de physiologie, qui se tiendra en août prochain en Nouvelle-Zélande.

Daniel Baril