Volume 35 numéro 31
4 juin 2001

 


La nécessaire et urgente réflexion sur les «biosciences»

Robert Lacroix

Chaque année, le recteur de l’Université de Montréal livre, au cours de la collation des grades, une réflexion sur un sujet d’importance cruciale pour l’avenir de l’enseignement universitaire. Cette année, le recteur Robert Lacroix a abordé l’épineuse question de l’impact social que peuvent avoir les recherches dans le domaine des sciences de la vie.

«Les sciences physiques et le génie ont été à l’origine d’une rapide évolution des connaissances et d’une amélioration du bien-être des individus, a-t-il rappelé. Mais en ce qui regarde la qualité de vie, tout nous porte à penser que ce sont les sciences de la vie qui, dans les années qui viennent, connaîtront les développements les plus fulgurants. Ces sciences permettront de modifier l’individu dans sa nature profonde, d’éradiquer certaines maladies et d’en traiter d’autres avec une efficacité aujourd’hui inconnue. Par ailleurs, la recherche sur le génome humain permettra d’ici peu de tracer le profil génétique de chacun d’entre nous et de prédire ainsi les maladies dont nous risquons de souffrir au cours de notre vie.»

Aux yeux du recteur, cette perspective est à la fois inquiétante et prometteuse. «Inquiétante, car elle touche directement à la vie privée des individus. Prometteuse, car elle pourrait bien révolutionner les techniques de prévention en empêchant, par une thérapie appropriée, l’apparition de maladies ou d’anomalies qui menacent de réduire la durée et la qualité de vie d’un individu.»


Clonage et OGM: une réflexion à faire

Le clonage et la production d’organismes génétiquement modifiés (OGM) sont de bons exemples d’applications des connaissances biologiques qui à la fois suscitent des inquiétudes et font naître des espoirs. Dans ce domaine, M. Lacroix a souligné la voie ouverte par le clonage, notamment celui du taureau reproducteur Starbuck réalisé par la Faculté de médecine vétérinaire.

D’autres réalisations visent la modification génétique des organismes. «Ce vaste champ d’exploration est en plein essor et plusieurs animaux transgéniques sont maintenant utilisés pour produire avec une efficacité accrue des protéines humaines. Des expériences semblables sont aujourd’hui menées sur des végétaux servant à l’alimentation aussi bien des animaux que des êtres humains. Il ne faut donc pas être devin pour voir que les “biosciences” vont connaître dans les prochaines années une évolution très rapide, marquée par de nouvelles découvertes et d’innombrables applications, et qu’elles auront sur le bien-être des individus des effets aussi, sinon plus importants que les sciences physiques par le passé.

«Dans ce contexte, la recherche dans ce secteur sera sans doute de plus en plus soumise à des contraintes d’ordre éthique, moral, religieux, culturel et environnemental, comme en témoignent déjà les réactions provoquées par l’arrivée récente des OGM sur le marché.»

Selon le recteur, nos sociétés ne pourront faire l’économie «d’une réflexion en profondeur sur la révolution génétique que plusieurs de nos diplômés d’aujourd’hui ont contribué à accélérer. Cette réflexion est nécessaire et d’autant plus urgente qu’elle seule pourra éclairer convenablement une large partie de la population sur la nature réelle des découvertes scientifiques et éviter ainsi des opérations de désinformation qui risquent non seulement d’orienter faussement les discussions mais aussi de freiner le développement et la recherche.»


L’UdeM trace la voie

Robert Lacroix a également invité la communauté scientifique à s’engager dans ce débat et à jouer pleinement son rôle de vulgarisateur. Ce débat étant par nature multidisciplinaire, il lui apparaît essentiel que des considérations éthiques, environnementales et sociétales soient introduites dans l’ensemble de ses programmes scientifiques et professionnels.

Dans cette optique, l’Université de Montréal s’est dotée cette année d’un centre d’éthique destiné à devenir un centre d’expertise et de référence de stature internationale dont le mandat est de promouvoir les activités de formation et de recherche dans le domaine de l’éthique et de contribuer à leur rayonnement.

«Nous avons également consacré trois chaires de recherche du Canada à cette thématique d’enseignement et de recherche, l’une en droit et deux en philosophie», a rappelé le recteur.

«Nous souhaitons vivement que cet effort concerté de réflexion s’intensifie avec les ans et qu’il produise les résultats les plus susceptibles d’aider notre société à entrer de plain-pied et sereinement dans la nouvelle ère scientifique qui se dessine aujourd’hui», a-t-il conclu.

Daniel Baril