Volume 35 numéro 31
4 juin 2001

 


Les professeurs des HEC sont heureux dans leur nouveau pavillon
Mais ils ne sont pas plus motivés que leurs collègues de l’UQAM.

Construit en 1996 par l’architecte Dan S. Hanganu, le nouvel immeuble de l’École des Hautes Études Commerciales est adapté à un enseignement moderne de la gestion. L'École des HEC, dont le bâtiment a remporté un prix d’excellence en architecture dans la catégorie «architecture institutionnelle», offre 29 programmes d’études en gestion couvrant les trois cycles de l’enseignement universitaire.

La majorité des professeurs et des gestionnaires de l’École des Hautes Études Commerciales (HEC) apprécient l’environnement de travail que procure le nouveau bâtiment construit par l’architecte Dan S. Hanganu. L’aménagement a pour effet d’augmenter les échanges et les collaborations entre les collègues.

C’est du moins ce que révèle une étude réalisée par Jean Morval, professeur au Département de psychologie. Les résultats de la recherche menée auprès de 400 professeurs, cadres administratifs et étudiants de deux écoles de gestion francophones de Montréal ne permettent cependant pas d’établir un lien direct entre la motivation au travail et l’appropriation de l’immeuble par les usagers.

Tout laissait pourtant croire que les étudiants et le personnel de l’École des HEC seraient plus motivés que ceux de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Car le bâtiment des HEC concentre ce qu’on peut faire de mieux en matière d’aménagement: lumière naturelle, confort acoustique, circulation de l’air à l’intérieur des pièces et espaces verts avoisinants.

«L’environnement construit n’agit sur la motivation que s’il est lié à des variables sociales qui confèrent à la personne une place au sein de l’organisation, soutient M. Morval. Ainsi, la culture organisationnelle de l’UQAM semble contrebalancer les lacunes de son bâtiment, fonctionnel mais sans luxe.»

«La relation avec l’espace est une dimension qui doit être prise en considération dans notre approche du monde du travail», selon le psychologue Jean Morval.


Les résultats
L’étude portait sur trois catégories d’utilisateurs de l’immeuble du 3000, chemin de la Côte-Sainte-Catherine (HEC) et du pavillon situé à l’angle des rues Sainte-Catherine et Sanguinet (UQAM). Le chercheur a d’abord soumis un questionnaire aux étudiants, qui devaient évaluer leur utilisation de l’espace selon 37 critères applicables à des établissements d’une telle envergure. L’analyse des données a permis de retenir trois indicateurs nécessaires à l’appropriation de l’espace: connaissance des lieux, effets stimulants de l’environnement de travail et accès facile aux différentes sections du bâtiment.

Les résultats révèlent que les étudiants des HEC ont tendance à être plus actifs que ceux de l’UQAM dans l’appropriation des lieux, un comportement associé hypothétiquement à la motivation au travail. Les qualités de l’immeuble des HEC — «dont le seul budget de construction a dépassé les 100 millions!» fait remarquer M. Morval — feraient en sorte qu’ils y passent plus de temps. En revanche, les étudiants de l’UQAM se disent plus motivés que ceux des HEC. D’après le professeur Morval, cela peut s’expliquer par le fait que la population étudiante de l’UQAM, plus âgée, est davantage engagée dans l’orientation des programmes.

«La place accordée à l’étudiant a un impact sur la motivation aux études, souligne-t-il. Les étudiants des HEC ont beau utiliser des locaux prestigieux dotés d’une technologie récente, ils semblent appartenir à des programmes plus traditionnels dont la responsabilité se trouve surtout entre les mains du corps professoral.»

Pour le personnel (corps enseignant et administratif), les données indiquent que la motivation et l’appropriation de l’espace sont semblables d’une école à l’autre. Sauf en ce qui concerne la satisfaction au travail des gestionnaires. Ceux de l’UQAM montrent un niveau de satisfaction beaucoup plus bas comparativement aux cadres administratifs des HEC, indique le psychologue industriel. Selon lui, cette différence est imputable aux qualités de l’aménagement puisque les conditions de travail sont sensiblement les mêmes.


La régulation de l’intimité

Depuis les années 80, Jean Morval s’intéresse à la psychologie de l’environnement. Cette dimension de la psychologie, popularisée par la crise de l’énergie et la montée de l’écologie, vise à comprendre le comportement humain en tenant compte de l’environnement naturel, social et bâti. Au début, les chercheurs se sont penchés sur les liens entre l’état psychologique des gens et l’aménagement d’espaces particuliers comme les cellules des prisons et les chambres des hôpitaux psychiatriques. Peu à peu, l’étude des processus psychosociaux s’est étendue à des macroenvironnements tels les quartiers et les villes.

«Différents facteurs environnementaux peuvent par exemple causer du stress à l’individu, notamment le bruit, la pollution et la violence. L’étude de la relation entre ces variables devient de la psychologie environnementale à partir du moment où les problèmes ne sont pas strictement liés à l’environnement construit, explique M. Morval. Comme utilisateurs de l’espace, on ne fait pas que subir les influences de l’environnement, on influe également sur notre milieu par des actions directes.»

Une situation typique: les bousculades dans le métro aux heures de pointe. L’impression désagréable qu’on peut ressentir face à l’entassement serait liée au manque de contrôle sur le nombre de personnes qui nous entourent plutôt qu’à la promiscuité elle-même. «Lorsqu’on se retrouve dans un stade ou à un concert, par exemple, on n’est pas mal à l’aise avec la densité puisqu’en quelque sorte on a recherché l’effet de foule», déclare le psychologue industriel.

Dans une étude effectuée auprès de résidants de trois quadrilatères de la municipalité d’Outremont, à Montréal, le professeur Morval a d’ailleurs démontré que la régulation des échanges et de l’intimité joue un rôle important dans la satisfaction à l’égard de son milieu de vie. Dans le «haut Outremont», les gens se trouvent sur de grandes surfaces dans des maisons unifamiliales; le «moyen Outremont» est caractérisé par des maisons semi-détachées; et le «bas Outremont», par des triplex.

«Les personnes les plus heureuses sont bien souvent celles qui habitent le quartier dit moyen, fait valoir le chercheur. Ce sont des gens qui peuvent se retirer chez eux quand ils le veulent, mais qui ont aussi la possibilité de parler et d’interagir avec les voisins. Cela se fait rarement dans les maisons unifamiliales avec de grands terrains. Ces propriétaires se plaignent de l’isolement et d’un manque de stimulation sociale. À l’inverse, ceux qui habitent le “bas Outremont” trouvent difficile de s’isoler de leurs voisins, notamment à cause de la forte proportion de personnes par hectare et des lacunes sur le plan de l’insonorisation des murs.»

Le même phénomène se produit souvent dans les bureaux à aires ouvertes où des cloisons offrent un espace semi-privé et semi-public. «Les gens ne peuvent plus se soustraire au regard d’autrui, signale M. Morval. Or, des études ont montré que les individus constamment vus par les autres deviennent plus stressés. S’il y a trop d’isolement ou d’interaction dans notre société, c’est qu’elle construit des espaces de vie et de travail en fonction d’options politico-économiques qui fonctionnent souvent sur la base de clivages.»

Dominique Nancy