Volume 35 numéro 31
4 juin 2001

 


Les chaires de recherche du Canada
«Elles nous rendent enfin plus compétitifs sur le plan international», déclare Alain Caillé.

Président sortant de l’ACFAS, Alain Caillé aime son travail de vice-recteur à la recherche à l’Université de Montréal, surtout en cette période de croissance. Il a occupé le même poste à l’Université de Sherbrooke, où se déroulait le dernier congrès de l’ACFAS.

Jusqu’à l’an dernier, un chercheur établi aux États-Unis ou en Europe balayait souvent du revers de la main les offres d’emploi d’universités canadiennes. En règle générale, le Canada ne faisait pas le poids auprès d’un homme ou d’une femme de science: baisse de salaire, moins bonnes conditions de travail, équipement de laboratoire désuet, taux d’imposition plus élevé…

Les choses ont changé, selon le vice-recteur à la recherche, Alain Caillé. La création de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI), dotée d’un budget de 10 milliards de dollars sur 12 ans, et l’augmentation globale des sommes gouvernementales ont donné un nouveau souffle à la recherche au pays. « Des Québécois ou des étrangers installés aux États-Unis se mettent en relation avec nous et nous pouvons désormais leur offrir des conditions compétitives sur le plan international», dit M. Caillé.

À son avis, le recrutement d’étoiles montantes de la recherche et la possibilité de maintenir au pays des chercheurs de grand renom seront des effets directs du Programme des chaires de recherche, qui entame sa deuxième année d’existence. «Ce programme nous permet de rivaliser avec les meilleures universités d’Occident, assure-t-il. Les nombreux chercheurs de haut calibre qui sont déjà avec nous ont moins envie de partir, et l’on a enfin quelque chose à offrir aux plus prometteurs qui vivent à l’étranger.»

Farouchement défendues auprès du gouvernement fédéral par le recteur Robert Lacroix et son homologue de l’Université de Colombie-Britannique, Martha Piper, les chaires de recherche ont lentement fait leur chemin jusqu’à l’annonce de l’application de la politique en octobre 1999. D’un océan à l’autre, ce sont quelque 2000 chaires qui seront créées en fonction de la performance des établissements. L’Université de Montréal et ses écoles affiliées, parmi les plus actives en recherche avec les universités McGill et de Toronto, en ont obtenu à elles seules 150.

Il existe deux catégories de chaires: la chaire de premier niveau, attribuée à des chercheurs confirmés et accompagnée d’un financement de 200 000 $ sur sept ans, et la chaire de second niveau, destinée aux jeunes chercheurs et d’une valeur annuelle de 100 000 $ sur cinq ans. Les deux sont renouvelables. À ce montant, l’Université de Montréal a décidé d’ajouter une somme déjà prévue au budget du salaire du professeur. Le cas échéant, des subventions courantes obtenues des organismes subventionnaires se rajoutent. Le Programme prévoit un montant maximal de 312 500 $ par chaire pour financer son infrastructure de démarrage.

Le Programme est administré conjointement par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG), les Instituts canadiens pour la recherche en santé (ICRS), le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), la FCI et Industrie Canada.


Tout n’est pas réglé

Selon le vice-recteur, les universités fortement engagées en recherche souffrent grandement du sous-financement des frais indirects de la recherche. «Il faut reconnaître que le gouvernement du Québec a fait un effort hautement louable, mais il est plus que temps que le taux de financement des frais indirects passe à 40 %.»

Même s’il est satisfait du réinvestissement majeur dans le secteur de la recherche, Alain Caillé ne croit pas que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pour redresser la barre, les gouvernements ont beaucoup pensé aux équipements, pas toujours au pain et au beurre. «Les conseils subventionnaires souffrent d’un sous-financement sérieux, estime M. Caillé. Le CRSNG accorde, en moyenne, des budgets de 35 000 $ par projet. Cela devrait être le double.»

Comment qualifier l’état de la situation au CRSH et aux ICRS? «C’est encore pire !» lance le vice-recteur. Les critères de sélection des projets étaient déjà très élevés; voilà que la moyenne des subventions fond avec l’accroissement du nombre de demandes. Une situation que le vice-recteur trouve déplorable.

Le secteur des sciences humaines est encore une fois le parent pauvre du système. Le concept de partenariat avec l’entreprise privée, très à la mode, s’y applique plus difficilement. Il y a bien eu création de chaires en sciences humaines (l’Université de Montréal en obtiendra une trentaine), mais elles demeurent plus rares.

C’est l’Association des universités et collèges du Canada qui a incité le gouvernement fédéral à créer la Fondation canadienne pour l’innovation, et les universités de Montréal et de Colombie-Britannique qui ont pris le leadership des chaires de recherche. Qui prendra le relais pour augmenter le budget des conseils subventionnaires?


Un poste régulier au titulaire de la chaire

Quelque 300 personnes seront engagées au cours des trois prochaines années à l’Université de Montréal. Le tiers d’entre elles se verront offrir une chaire. Cela signifie que la politique canadienne aura un impact visible sur le personnel. Les chaires de premier et de second niveau serviront à retenir et à recruter des professeurs aux qualités exceptionnelles, et ceci, partout dans le monde.

Actuellement, l’Université de Montréal assure un poste régulier à tout titulaire de chaire de façon à bonifier le plus possible le montant gouvernemental consacré à ses travaux. C’est le seul établissement à agir ainsi. Mais cette politique, qui permet de dégager de 60 000 à 70 000 $ par chaire pour embaucher des stagiaires postdoctoraux, réaménager les laboratoires ou recruter des techniciens pourrait être imitée.

«Ce programme intégré nous donne une longueur d’avance, dit Alain Caillé. Nos propositions sont considérées avec beaucoup de sérieux lorsque je rencontre un jeune chercheur prometteur à New York ou Boston. Jusqu’à récemment, il fallait s’en tenir à quelques milliers de dollars pour lancer un laboratoire. Désormais, on est en mesure de recruter du personnel dans les plus hautes sphères et dans des conditions exceptionnelles.»

Le vice-recteur a eu un printemps très chaud à titre de président de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS), qui tenait récemment son congrès annuel. Il est heureux de voir que la situation de la recherche s’est améliorée depuis quelques années. Mais d’autres problèmes surgissent. «Je passe une grande partie de mon temps, à titre de vice-recteur, à chercher des solutions aux problèmes d’espace pour la recherche. Nous manquons de superficie consacrée aux laboratoires.»

Qui aurait dit, il y a seulement cinq ans, que l’Université de Montréal traverserait une crise de croissance en 2001?

Mathieu-Robert Sauvé