Volume 35 numéro 30
22 mai 2001

 


Au bout du rouleau?
«Il n’y a pas de test particulier pour diagnostiquer le syndrome de fatigue chronique», reconnaît le microbiologiste Denis Phaneuf.

Le stress aggrave l’état des personnes atteintes du syndrome de fatigue chronique, mais ne déclenche pas cette maladie auto-immune, souligne le Dr Denis Phaneuf.

Appelons-la Jacinthe. Cette professeure de 38 ans est depuis quelques mois l’objet de toutes les supputations de son entourage. Jacinthe se sent faible. Sa fatigue, survenue subitement, s’accompagne de douleurs musculaires, de maux de tête, de troubles de concentration et de pertes de mémoire inexpliquées. Bizarre… pour une femme si dynamique. Non, Jacinthe ne souffre pas d’épuisement professionnel, elle est affligée du syndrome de fatigue chronique (SFC).

«Nous pouvons diagnostiquer le SFC quand la personne éprouve une fatigue intense qui dure depuis plus de six mois et l’oblige à réduire au moins de moitié ses activités, soutient le Dr Denis Phaneuf, microbiologiste et professeur clinique à l’Hôtel-Dieu. La plupart du temps, les individus parviennent à se lever, se laver, s’habiller et se nourrir. C’est à peu près tout.»

Le SFC serait causé par un virus à la différence du surmenage, lié strictement au stress professionnel. Pour établir son diagnostic, le médecin doit éliminer toutes les maladies susceptibles de provoquer ce type d’état, puisqu’il n’y a pas de test particulier pour déceler la fatigue chronique. En clair, le SFC ne peut être établi que par défaut. Cela n’est pas simple, car certaines maladies endocriniennes ou infectieuses, notamment la sclérose en plaques, le lupus et l’herpès, peuvent présenter les mêmes symptômes.

Pour tout compliquer, l’étiologie de la fatigue chronique varie d’un patient à l’autre. Mais la présence de quatre des signes suivants sont nécessaires pour caractériser l’affection: ganglions enflés, céphalées chroniques, douleurs articulaires et musculaires, troubles du sommeil, fièvre, difficultés de concentration, confusion et pertes de mémoire à court terme. Une dépression accompagne souvent le SFC.


La grippe des yuppies
Est-ce une véritable maladie? Non, répond le microbiologiste. Il s’agit d’un syndrome. Ce terme permet de désigner les manifestations variées d’une même affection. Voilà ce qui induit parfois les spécialistes en erreur. Ce qu’on a longtemps appelé péjorativement une «neurasthénie» a ensuite été confondu avec l’épuisement professionnel. Car les premières personnes affectées étaient de jeunes cadres, véritables battants que rien n’arrête.

Tout commence dans la région du lac Tahoe, en Californie. Des médecins constatent que des patients de plus en plus nombreux viennent les consulter pour une grippe perpétuelle qui entraîne une fatigue aiguë. Au début, on ne s’inquiète pas trop. La fatigue de ces patients, parmi lesquels on retrouve beaucoup de femmes célibataires titulaires d’un diplôme universitaire, est associée à leur rythme de vie effréné. Mais le phénomène prend de l’ampleur. La presse qualifie l’épidémie de «grippe des yuppies» étant donné que l’affection touche principalement les jeunes professionnels urbains âgés de 30 à 40 ans.

«On sait maintenant que le SFC peut affecter n’importe qui, quels que soient sa situation socioéconomique, son âge ou sa race. Il y a néanmoins plus de femmes que d’hommes, plus d’Asiatiques et de Blancs que de gens de race noire et plus de professionnels que de travailleurs manuels», indique le Dr Denis Phaneuf, qui suit 600 patients atteints de fatigue chronique. Et la quarantaine de nouveaux cas qu’il diagnostique chaque année l’inquiète. Car si l’épuisement lié au surmenage est généralement suivi d’une récupération rapide après une période de repos, le SFC dure, lui, en moyenne de trois à quatre ans: 15 % récupèrent entièrement, 15 % ne voient pas d’amélioration de leur état et 70 % ne retrouvent que partiellement leur énergie.


Un dérèglement du système immunitaire
Depuis près de 15 ans, des chercheurs américains se penchent sur le problème. Inévitablement, ils se sont demandé s’il y avait un lien avec la dépression puisque de 20 à 35 % des patients sont dépressifs au début de la maladie. Un an après, environ 90 % souffrent de troubles psychologiques. «Ces chiffres peuvent tout simplement refléter une situation difficile, souligne le Dr Phaneuf. Près de la moitié ont à ce moment perdu leur emploi et se sont séparés de leur conjoint. Malheureusement, nous ne sommes qu’au début de la compréhension du phénomène.»

À l’heure actuelle, la fatigue chronique est classée parmi les maladies auto-immunes. Les derniers chiffres révèlent que près de 9000 Québécois sont atteints du SFC. Aux États-Unis, le nombre de gens qui en souffrent s’élevait en 1985 à plus de trois millions! Depuis 1998, le SFC est reconnu par le Collège des médecins du Québec. À ce jour, les études n’expliquent pas pourquoi le syndrome se développe. Mais l’hypothèse la plus acceptée est qu’un ensemble de facteurs est à l’origine d’une réaction démesurée du système immunitaire. De fait, plusieurs malades ont subi des infections successives. Le virus d’Epstein-Barr, cause de la mononucléose, induit dans 10 % des cas un syndrome de fatigue chronique. Par ailleurs, 65 % des personnes atteintes de fatigue chronique font de l’eczéma ou de l’asthme.

«Cela ne signifie pas que tous les asthmatiques développeront le syndrome, prévient le microbiologiste. Mais on en retrouve beaucoup parmi les victimes du SFC. Ces individus réagissent de façon atopique à certaines bactéries, virus et traumatismes physiques ou émotifs. C’est pourquoi il ne faut pas les vacciner, sans vérification préalable, contre les virus. On risque de déclencher le dérèglement!»

Quel traitement propose-t-on? On utilise des médicaments pour traiter les symptômes de dépression, répond le Dr Phaneuf. Mais l’évolution de la maladie dépend en large part du patient: il doit adapter ses habitudes de vie à son état de santé et, malgré son épuisement, se lever avant 10 heures le matin de manière à ne pas perturber son cycle de cortisol (une hormone produite par les glandes surrénales qui agit comme immunodépresseur en cas de stress) et à empêcher une détérioration de sa condition générale.

Jacinthe a donc modifié son rythme de vie. Après trois années d’absence, elle n’a pas repris son poste de professeure. Elle a trouvé un nouvel équilibre dans un travail à temps partiel.

Dominique Nancy