Volume 35 numéro 30
22 mai 2001

 


La fièvre aphteuse traversera-t-elle l’Atlantique?
La mondialisation fait que le risque zéro n’existe pas.

Tous les animaux à double sabot peuvent être atteints de fièvre aphteuse, une maladie extrêmement contagieuse qui peut aussi affecter les animaux sauvages. Les conséquences d’une contamination de la faune (chevreuils, orignaux) seraient désastreuses.

«C’est comme revenir d’une guerre», lance le Dr André Vallières de retour d’une mission en Grande-Bretagne en pleine épidémie de fièvre aphteuse. Lui et sa collègue Hélène Laliberté ont accepté de partager leur expérience avec les étudiants et professeurs de la Faculté de médecine vétérinaire de Saint-Hyacinthe, le 18 avril dernier, avant de rencontrer des professionnels, le lendemain, pour une activité de formation continue.

Encore bouleversés par les images de charniers et de bêtes condamnées, les deux vétérinaires ont diagnostiqué des cas d’animaux infectés. Une expérience qui laisse des traces. «Nous choisissons ce métier-là parce que nous aimons les animaux et voilà que nous devons faire abattre des troupeaux entiers de bêtes dont la plupart sont en bonne santé», déplore la Dre Laliberté.

Vétérinaire à l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), André Vallières a été appelé en renfort pour ausculter les bêtes à Heddon on the Wall, à 200 km à l’ouest de Londres. Les traits tirés, ce spécialiste des maladies contagieuses raconte que son expérience, d’une durée de trois semaines, a été la plus bouleversante de sa vie professionnelle. Pourtant, il a l’habitude de ces maladies. Quotidiennement, il examine des animaux soupçonnés d’être atteints de salmonellose, tremblante du mouton, rage et tuberculose.

«C’est tout un pays qui est touché par la crise, dit le vétérinaire. D’après les derniers chiffres, quelque 1 127 000 animaux ont été abattus et 568 000 sont condamnés. On en abat jusqu’à 38 000 par jour. L’épizootie a provoqué une crise sans précédent dans le monde agricole.»

En effet, les conséquences de la crise sont catastrophiques: pertes de 16 milliards de livres sterling (quelque 10 milliards de dollars canadiens), sans parler des autres coûts. On s’interroge sur la pollution des nappes phréatiques provoquée par l’amoncellement de cadavres, sur la pollution de l’air causée par les charniers. L’industrie est en état de choc, le tourisme est en chute libre…

Une simulation de fièvre aphteuse en 2000
En vertu de l’Accord international sur la réserve vétérinaire, signé notamment par le Royaume-Uni et le Canada en 1993, des volontaires s’engagent à prendre sans délai le chemin des pays frappés par une épizootie. C’est ainsi qu’en mars 2001 huit vétérinaires canadiens, dont Mme Laliberté et M. Vallières, ont été appelés en Angleterre. «Le mandat de l’ACIA était double, explique Mme Laliberté: aider nos partenaires, bien sûr, mais aussi acquérir de l’expérience sur le terrain. Nous devons savoir quoi faire si une telle crise survient sur notre territoire.»

Ironie du sort, les volontaires canadiens, américains et mexicains de l’Accord avaient procédé à une simulation d’épidémie de fièvre aphteuse en octobre 2000, à peine quatre mois avant l’apparition du premier cas en Europe. «Un pur hasard», signale la vétérinaire.

Arrivés en renfort, les collaborateurs québécois se sont organisés avec les moyens du bord. Après un mois de crise, les vétérinaires anglais étaient épuisés, désorganisés. Les Québécois ont été envoyés en périphérie du périmètre touché et ont visité de quatre à six fermes par jour. C’est beaucoup compte tenu de la désinfection minutieuse à laquelle il fallait procéder à chaque endroit. «La pression est énorme à l’endroit du vétérinaire, explique André Vallières. Environ 80 % des fermes que nous avons visitées comptaient des moutons. Or, les signes cliniques chez les moutons ne sont pas toujours apparents ou sont parfois transitoires. Par exemple, les animaux infectés n’ont pas toujours de lésions. Cela retarde le diagnostic, avec les conséquences qu’on sait.»

Les éleveurs attendaient nerveusement le verdict des spécialistes. Mais fidèles à eux-mêmes, les Britanniques n’ont jamais perdu leur flegme. «Je n’ai que de l’admiration à exprimer envers ce peuple, commente Mme Laliberté. Nous avons toujours été reçus avec courtoisie, politesse, malgré l’émotion qui étreignait la gorge.»


Le risque zéro n’existe pas
Depuis 1952, aucun cas de fièvre aphteuse n’a été observé en Amérique du Nord. Mais plusieurs pays d’Asie, d’Afrique et même d’Amérique du Sud vivent avec cette maladie endémique, qui s’attaque aux animaux à double sabot. «Nous vivons une époque de mondialisation des biens… et des virus», a dit le doyen de la Faculté, Raymond S. Roy, en introduction à la conférence.

Trois vétérinaires engagés dans la crise de la fièvre aphteuse en Grande-Bretagne: Serge Messier, Hélène Laliberté et André Vallières. Le Dr Messier ne s’est pas rendu en Europe, mais il a fait face à la vague médiatique à titre de directeur du Département de pathologie et microbiologie.

Directeur du Département de pathologie et microbiologie de la Faculté de médecine vétérinaire, le Dr Serge Messier estime que l’éradication demeure le moyen le plus sûr de vaincre le fléau. Si certains pensent que la vaccination pourrait être envisagée, la plupart en doutent. En Colombie, la maladie demeure endémique malgré des vaccinations massives deux fois par année.

Il faut dire que la fièvre n’est pas mortelle et ne se transmet qu’exceptionnellement à l’homme. Mais son caractère hautement contagieux (en sept semaines, on a compté jusqu’à 1350 fermes contaminées en Grande-Bretagne) et les caractéristiques du marché de la viande font que les pertes économiques seraient astronomiques si elle traversait l’océan. «Le risque zéro n’existe pas, déclare Serge Messier. On ne peut pas empêcher l’entrée au pays de personnes qui voudraient délibérément transporter le virus.».

La visite récente du prince Charles au Canada a montré que les services douaniers ne prenaient pas les choses à la légère. Le représentant de la monarchie a dû s’essuyer les pieds devant les caméras de télévision à sa descente de l’avion.

Les vecteurs de transmission de la maladie ne sont pas seulement humains, a précisé M. Messier, également responsable de la biosécurité de la Faculté. Ils peuvent être animaux, inertes (bottes, véhicules) ou météorologiques. Le vent, notamment, peut infecter des fermes à bonne distance. Une des images présentées par les membres de la réserve vétérinaire était particulièrement percutante. Elle montrait une corneille sur un charnier.

Une corneille peut franchir plusieurs dizaines de kilomètres par jour, passer des villes aux campagnes et inversement…

Mathieu-Robert Sauvé