Volume 35 numéro 29
7 mai 2001

 


Le secret de l’immunité des plantes
Pour Normand Brisson, les plantes transgéniques présentent moins de risques que les cultivars obtenus par croisements.

Ce plan de pomme de terre modifié génétiquement que présente Normand Brisson pourrait livrer une importante information sur les gènes de résistance.

Entre 1845 et 1847, l’Irlande a été frappée d’une terrible famine provoquée par la maladie de la pomme de terre. Le responsable: un champignon, plus précisément un oomycète, qui cause le mildiou, maladie pouvant détruire des récoltes entières en quelques jours.

«Contrairement aux mammifères, les plantes n’ont pas de système immunitaire, donc pas d’anticorps ni de cellules macrophages pour détruire les agents pathogènes qui s’attaquent à elles. Elles possèdent en revanche un système de défense chimique très élaboré et produisent des protéines de défense lorsqu’elles sont en contact avec des éléments pathogènes», explique Normand Brisson, professeur au Département de biochimie.

Le professeur cherche à découvrir quels sont les gènes responsables de ces enzymes et qui ont la particularité de ne s’exprimer qu’en présence d’agents pathogènes. En les mettant au jour et en perçant les secrets de leur activation, il espère pouvoir en arriver à stimuler le mécanisme de défense et à produire des plantes plus résistantes.

«Lorsqu’un virus ou un champignon attaque une plante, celle-ci induit rapidement la mort des cellules infestées pour éviter la propagation de l’agent pathogène. Il s’agit d’une réponse d’hypersensibilité responsable, par exemple, de certaines taches sur les feuilles des arbres. La plante développera aussi une résistance à plus long terme, semblable à la réponse immunitaire. Cette réponse peut durer plusieurs semaines et protéger la plante contre plusieurs types d’éléments pathogènes. Il est possible de créer ce phénomène de résistance avec des dérivés d’agents pathogènes qui peuvent déclencher la même réaction, un peu à la façon d’un vaccin.»

Pour ses recherches, Normand Brisson utilise la pomme de terre et une herbe de la famille du colza, Arabidopsis thaliana, dont le génome est complètement séquencé. La connaissance du génome permet d’isoler un gène particulier, de le désactiver par mutation et d’observer s’il joue un rôle dans le mécanisme de défense en soumettant la plante à un agent pathogène.

Le procédé lui a permis de découvrir un des gènes responsables du mécanisme de défense et qui semble commun à la plupart des plantes. L’analyse des régions clés contrôlant l’expression du gène à la suite de l’infection de la plante a servi de point de départ pour isoler deux protéines qui régissent la transcription du gène. Ces études ont révélé qu’il s’agissait de nouveaux types de facteurs qui pourraient bien jouer un rôle fondamental dans la réponse de défense.


Le débat sur les OGM

En plus d’enrichir nos connaissances sur des mécanismes fondamentaux chez les plantes, les travaux de Normand Brisson pourraient mener à des applications en agriculture. La détermination de ces facteurs de transcription pourrait permettre, par exemple, de produire des espèces plus résistantes par modifications génétiques.

Même si les OGM n’ont pas la cote, le chercheur est convaincu que ce procédé présente moins de danger que la méthode traditionnelle de sélection par croisements.

«La méthode transgénique est moins dangereuse parce qu’on sait exactement quels gènes on travaille et qu’il est plus facile d’évaluer les risques de ces manipulations, dit-il. Lorsqu’on améliore une espèce par croisements, on ne sait pas combien de gènes sont transférés. Une pomme de terre modifiée de cette façon a causé plusieurs morts dans le Maine il y a quelques années parce que de fortes pluies avaient entraîné l’apparition de toxines qu’on ne connaissait pas.»

À son avis, le mouvement de réaction contre les OGM relève de la désinformation, voire de l’inquisition antiscientifique, et il est souvent alimenté par des arguments qui relèvent plus des croyances religieuses que de la science. Les opposants oublient de considérer, par exemple, que la plupart de nos aliments, même ceux qu’on dit «naturels», ont fait l’objet de sélections génétiques et n’existent pas à l’état naturel. «Il faut juger au cas par cas», déclare le chercheur.

Quant à l’argument d’une meilleure distribution des produits alimentaires comme véritable solution au problème de la faim, Normand Brisson estime que cette solution n’en serait plus une dès 2050, alors que les méthodes traditionnelles de culture ne suffiront plus à nourrir la planète. «Si l’on voulait dès maintenant ne produire que du biologique, il faudrait au moins doubler la superficie actuelle des cultures, avec tous les effets néfastes pour l’environnement que cela implique. Rien n’oblige par ailleurs que les OGM soient entre les mains des multinationales.»

Considérant que la coévolution plantes-bactéries se poursuit sans cesse, Normand Brisson reconnaît que la lutte contre les agents pathogènes sera une lutte constante et que l’arme génétique ne sonnera pas la fin de la guerre.
«Les OGM ne sont pas une panacée mais des outils complémentaires de préservation de l’environnement et de la biodiversité qui pourraient avoir des effets extraordinaires.»

Daniel Baril