Volume 35 numéro 29
7 mai 2001

 


«Prendre soin», l’une des plus anciennes préoccupations humaines
Des bioéthiciens signent une Histoire de l’éthique médicale et infirmière.

Professeur émérite de la Faculté de théologie et coauteur d’une Histoire de l’éthique médicale et infirmière, Guy Durand croit que l’ouvrage intéressera étudiants, médecins, infirmières et intervenants du monde
de la santé.

Les Grecs n’ont pas été épargnés par les épidémies mortelles. L’ampleur de la malaria, durant l’Antiquité, a été telle qu’elle aurait, selon certains auteurs, contribué à la décadence de la civilisation grecque. Après avoir survécu aux guerres, aux conquêtes et aux grandes interrogations philosophiques, la Grèce aura donc capitulé devant… les moustiques.

Les écrits d’Hippocrate (v. 460-377 avant notre ère) relatent une épidémie d’oreillons causée par la malaria sur l’île de Thassos. L’auteur du célèbre Serment n’aura pas su atténuer les souffrances qu’elle a engendrées ni la circonscrire. Il faut dire que les pouvoirs de la médecine étaient alors plutôt limités; oniromancie, divination, incantation et magie étaient les principaux instruments des cliniciens.

Dans un imposant ouvrage que viennent de publier aux Presses de l’Université de Montréal Guy Durand, Andrée Duplantie, Yvon Laroche et Danielle Laudy: Histoire de l’éthique médicale et infirmière, on apprend que autour du 8e siècle avant Jésus-Christ est fondée la communauté des Asclépiades, réunissant des prêtres-médecins. La guérison est obtenue par la volonté divine, mais l’intermédiaire humain est requis. «Dans cette perspective, le médicament est recommandé par le dieu, mais le travail de diagnostic et de thérapeutique est fait par le prêtre-médecin-infirmier, peut-on lire. Les Asclépiades développent ainsi des connaissances à partir de leurs propres observations cliniques et tiennent des archives. Ils inaugurent une approche rationnelle, globale, empirique.»

Peut-on y voir les bases de la médecine moderne? En quelque sorte, puisque cette approche mettait fin à près de trois millénaires d’une «pensée médicale à peu près inexistante» où l’imploration des dieux demeurait l’essentiel de la pratique médicale.


Médecine et soins infirmiers, même combat

Le titre de cet ouvrage peut surprendre, car les sciences infirmières et la médecine sont habituellement abordés séparément dans les ouvrages savants. «On a tendance à placer les médecins bien haut et les infirmières bien bas, explique M. Durand en entrevue. Les médecins dictent, les infirmières exécutent. On oublie que la médecine, autrefois, c’était les soins infirmiers d’aujourd’hui. Il nous semblait important de le souligner dans le cadre d’un travail de recherche historique qui remonte aux sources de la volonté humaine de diminuer la souffrance d’autrui.»

Ces sources se perdent dans la nuit des temps, mentionnent les auteurs, pour la plupart bioéthiciens. «L’histoire des soins commence avec celle des espèces vivantes et se poursuit avec l’apparition de l’Homo sapiens, que les ethnopaléontologues font remonter à cinq ou six millions d’années. Et cette histoire se construit autour du souci permanent d’assurer la continuité de la vie. “Soigne’’, “veiller à” représentent un ensemble d’actes qui ont pour but d’entretenir la vie des êtres vivants, de permettre à celle-ci de se développer et de lutter contre la mort, celle de l’individu autant que celle du groupe, de la communauté, voire de l’espèce. “Prendre soin” est l’une des plus vieilles expressions de l’histoire humaine.»

La préoccupation éthique croît parallèlement aux pouvoirs de la médecine. La bioéthique elle-même naît formellement dans les années 70 avec l’instauration des systèmes de santé modernes. M. Durand souligne que certains thèmes sont récurrents. «L’euthanasie, l’avortement, la contraception, l’expérimentation chez des sujets humains sont des thèmes qui ont suscité beaucoup de controverses, depuis les débuts. Parallèlement, on note un souci constant pour le respect de la vie, la justice, la confidentialité.»


Construction originale

L’ouvrage présente différentes époques, de l’Antiquité à la première moitié du 20e siècle, en les abordant de façon semblable: après l’introduction suivent une description de la situation sanitaire, puis des sections sur l’organisation de la médecine et des soins et un exposé sur l’état des connaissances et des techniques. Les auteurs présentent ensuite une brève anthropologie médicale et situent l’éthique et la déontologie médicales et infirmières. Enfin, des questions d’éthique particulières sont traitées.

On ne saurait aborder une histoire de l’éthique sans présenter le contexte. Ainsi, un tour d’horizon de la situation sanitaire s’impose. Par exemple, on signale que la peste, la lèpre, l’ergotisme et d’autres maux affectent la population de la Renaissance. Même la sorcellerie est évoquée comme un phénomène qui a une incidence sur la santé, car les femmes, les juifs, les étrangers et les marginaux font les frais de la mentalité de l’époque.

La transformation des croyances a de quoi surprendre. Entre Hippocrate considérant que les médecins ne devaient pas s’approcher des corps des malades, Montaigne qui s’opposait à la dissection (les morts ne peuvent en apprendre aux vivants, croyait-il) et la confiance d’aujourd’hui envers la médecine technologique, l’éthique aura toujours cherché à comprendre. C’est «l’art de diriger la conduite», selon Le petit Robert.

«L’éthique est-elle un empêcheur de tourner en rond? Je ne crois pas. Il faut participer aux risques de la recherche. La réflexion, ça sauve l’humanité», conclut Guy Durand.

Mathieu-Robert Sauvé

Guy Durand, Andrée Duplantie, Yvon Laroche et Danielle Laudy, Histoire de l’éthique médicale et infirmière, Presses de l’Université de Montréal, 2000, 368 p.