Volume 35 numéro 24
19 mars
2001


 


L’incontournable autoformation
Des chercheurs en sciences de l’éducation étudient depuis 30 ans l’autodidaxie et l’autoformation.

Nicole Tremblay et Mohammed Hrimech font partie du Groupe de recherche sur l’autoformation
et le travail, qui réunit des chercheurs de cinq universités canadiennes.

Peut-on imaginer évoluer, voire se maintenir dans un milieu de travail ou dans une activité professionnelle, sans être un peu autodidacte, sans avoir recours à l’autoformation? Si la chose semble évidente aujourd’hui étant donné la rapidité avec laquelle les nouvelles technologies naissent et se transforment, la nécessité de s’autoformer a vu le jour bien avant l’apparition de l’ordinateur. Il suffit de penser au système de compagnonnage qui, depuis le Moyen Âge, réunit en une association les ouvriers d’un même métier pour des raisons de formation professionnelle et d’assistance mutuelle.

Si l’origine de l’autoformation se perd dans la nuit des temps, son existence comme objet de recherche remonte à 30 ans à peine. À cet égard, l’Université de Montréal fait œuvre de pionnière puisque c’est ici même que fut mise sur pied en 1981, par Nicole Tremblay et Claudia Danis de la Faculté des sciences de l’éducation, la première équipe subventionnée de recherche en ce domaine, le Groupe de recherche sur l’apprentissage autodirigé en milieux éducatifs. D’autres ont suivi par la suite en France, aux États-Unis et en Allemagne.


Depuis l’Antiquité

«Aujourd’hui, les défis sont tels qu’on est forcé de devenir autodidacte», observe Nicole Tremblay. Autrefois, explique-t-elle, les autodidactes étaient des personnes de milieux modestes qui cherchaient ainsi à se hisser au-dessus de la mêlée. Antonio Barrette (qui fut premier ministre du Québec), sir Winston Churchill, Benjamin Franklin et Franklin Delano Roosevelt, pour n’en nommer que quelques-uns, étaient tous des self-made men, sans oublier les penseurs de l’Antiquité. On en retrouvait également parmi les gens de la noblesse, qui disposaient de beaucoup de temps.

«Dans les sociétés modernes, un autodidacte est une personne qui essaie d’apprendre par elle-même soit parce qu’elle est sollicitée sur le plan professionnel ou parce qu’elle fait face à des changements. Il existe aussi aujourd’hui une nouvelle forme d’autodidaxie, liée aux loisirs.» De l’ornithologie à l’histoire de l’art, en passant par l’horticulture, la mécanique, etc.

Un sondage effectué en 1982 pour le compte de la Commission d’études sur la formation des adultes révélait que 23% des 8856 adultes interrogés avaient tenté d’apprendre quelque chose par eux-mêmes au cours de l’année. En y ajoutant la formation sociale, culturelle et professionnelle, ce taux grimpait à 39%.

«D’autres études plus récentes ont démontré que, bon an, mal an, 80% de la population apprend quelque chose par elle-même pour une moyenne de 500 heures par année, indique Mme Tremblay. Chez les professionnels, l’autoformation est de 1200 heures par an en moyenne.»


Créatifs et débrouillards

Récemment, Mme Tremblay a mené une recherche auprès d’autodidactes en vue de découvrir les compétences qui les caractérisent. Il en est ressorti que l’autodidacte est une personne créative et débrouillarde qui a le sens de l’initiative et qui invente ses propres méthodes de travail. Il sait se bâtir des réseaux de connaissances et les tenir à jour. «On peut apprendre par soi-même, mais on n’apprend pas seul», insiste l’andragogue. Les autodidactes sont capables de réfléchir sur leur action et s’accommodent de l’incertitude. Enfin, ils se connaissent bien.

Reste maintenant à développer ces compétences chez les enfants. «Si les enseignants du primaire et du secondaire avaient connu des situations d’autoformation, ils seraient en meilleure position pour inciter les jeunes à mettre au jour ces compétences, constate Mme Tremblay. Mais pour développer sa créativité, se connaître soi-même et réfléchir sur son action, il faut du temps. Or, les programmes scolaires sont si chargés qu’il ne reste jamais de temps libre pour la réflexion.» De même, en entreprise, on ne peut demander aux employés de faire preuve d’initiative et d’utiliser leur créativité tout en instaurant un climat de contrôle.

Mohammed Hrimech, aussi du Département de psychopédagogie et d’andragogie, s’intéresse plus particulièrement aux stratégies d’apprentissage dans l’entreprise. La tendance générale, note-t-il, est de recourir aux stratégies de type social, c’est-à-dire aux discussions, aux échanges et aux relations entre pairs. C’est le collègue ou le supérieur plus expérimenté qui sert de personne-ressource et à qui l’on peut faire appel au besoin. Bien que cette formation soit préférée par les employés, les employeurs continuent d’offrir des cours à de grands groupes qui répondent rarement à des besoins ponctuels.


Approches légères

«Pourtant, dans les sociétés modernes, avec la technologie dont nous disposons, on peut communiquer très rapidement avec un expert par téléphone ou par courrier électronique, constate M. Hrimech. Ces moyens modernes favorisent les échanges.»

L’employé qui est arrêté par un élément dans le fonctionnement d’un logiciel n’a pas le temps d’aller suivre un cours pour en connaître toutes les subtilités, dont plusieurs ne lui serviront d’ailleurs jamais.

«Mais les entreprises et même les universités continuent de dépenser beaucoup d’argent pour ce type de formation avec des résultats catastrophiques, alors qu’une approche légère, à la pièce serait beaucoup plus appropriée», souligne Nicole Tremblay. Elle donne l’exemple des learning centers américains: des sociétés comme Xerox ont investi des millions dans le béton et la quincaillerie pour bâtir des centres que personne ne fréquentait. Jusqu’au jour où l’on a embauché des «facilitateurs» pour y faire de l’animation.

«Le recours à des personnes facilement accessibles qui offrent de l’aide est ce qui favorise le plus l’autoformation», précise Mohammed Hrimech. Il déplore également qu’il n’existe que rarement de reconnaissance financière pour les collègues qui apportent du soutien à leurs pairs, sauf dans de grandes entreprises comme Bell ou IBM, qui désignent un mentor aux nouveaux employés.

Enfin, sans encouragement de la part de la direction de l’entreprise et sans la création d’un environnement propice à l’autoformation, celle-ci a peu de chances de s’épanouir, notent Mme Tremblay et M. Hrimech, qui font partie du Groupe de recherche sur l’autoformation et le travail (GIRAT). Le GIRAT, fondé en 1991, regroupe des chercheurs des universités de Calgary et de Winnipeg, de l’Université du Québec, de l’Université Concordia, de l’École des Hautes Études Commerciales et de l’Université de Montréal. Cette équipe a étudié, en collaboration avec les équipes américaines, françaises et allemandes, les pratiques autoformatrices en entreprise dans les établissements d’enseignement et dans le milieu social, ce qui a donné lieu à plusieurs rencontres internationales ainsi qu’à de nombreuses publications sur la question.

Françoise Lachance