Volume 35 numéro 23
12 mars
2001


 


La répression du tourisme sexuel: une loi de bonne conscience?
Sur papier tout est là, mais la volonté politique est douteuse, estime Justin Roberge.

Justin Roberge est favorable à une définition large du tourisme sexuel: «Le fait pour une personne de faciliter ou de commettre un acte d’ordre sexuel contre un enfant sur le territoire d’un État dont elle n’est pas ressortissante, lequel acte constituerait une infraction s’il était commis sur le territoire de l’État d’origine de son auteur.»

L’automne dernier, le premier procès jamais tenu contre le tourisme sexuel international recevait un écho retentissant dans les médias du monde entier. Le Français Amon Chemouil était condamné à sept ans de prison après avoir été reconnu coupable du viol d’une jeune prostituée thaïlandaise de 15 ans.

Un tel procès aurait-il pu être possible au Canada? «En principe oui», répond Justin Roberge, qui a consacré sa recherche de maîtrise à étudier l’état du droit international et du droit pénal canadien sur le tourisme sexuel.

Le droit canadien sur ce sujet se limite à très peu de chose: un seul article du code criminel adopté en 1997 et qui permet l’application des lois canadiennes contre les crimes sexuels lorsqu’ils sont commis à l’extérieur du Canada. Mais cet article n’a jamais été utilisé parce qu’il contient une importante restriction: la plainte contre le prévenu doit être formulée par le pays où le délit a été commis.

Dans son mémoire, Justin Roberge souligne que le Canada pèche peut-être par excès de prudence en conditionnant l’application de sa propre loi à une demande en ce sens faite par un pays étranger. «C’est une loi de bonne conscience qui permet au Canada d’avoir une image de protecteur des droits de l’enfant et d’entrer dans ce club sélect», affirmera-t-il en entrevue.

Si le procès contre Chemouil aurait pu être possible chez nous, c’est justement parce que la plainte a été préparée par des organismes thaïlandais de protection des enfants et que la victime, aujourd’hui majeure, a collaboré activement à la poursuite. «C’était un cas parfait; même la preuve du délit a été filmée», rappelle Me Roberge.

Mais de tels cas ne risquent pas de se reproduire bien souvent. «Tous les pays de destination du tourisme sexuel ont des lois pour protéger les mineurs, mais ce sont aussi des pays pauvres qui vivent du tourisme. S’ils appliquaient leurs lois, le problème serait beaucoup moins grave, mais la lutte contre les crimes sexuels n’est pas leur priorité.»

Pendant ce temps, le tourisme sexuel continue et «une loi qui n’est pas appliquée perd son caractère dissuasif», déplore Justin Roberge. Le jeune diplômé souhaiterait donc une loi plus sévère, même si son application resterait toujours difficile et onéreuse étant donné que la preuve se trouve à l’étranger. «Selon des avis d’experts, le ministère du Revenu détient des éléments de preuve concernant des Canadiens qui s’adonnent au tourisme sexuel. D’autres mécanismes que ceux en vigueur pourraient donc être possibles.»

L’extradition du prévenu vers le pays où le crime a été commis demeure toujours possible, mais dans la mesure où le Canada a signé des ententes en ce sens avec les pays concernés.


Le droit international

En droit international, la convention relative aux droits de l’enfant engage les États signataires à prendre les moyens nécessaires pour protéger les enfants contre l’exploitation sexuelle. En complément de cette convention, un protocole facultatif est en préparation afin de préciser ce que sont le tourisme sexuel, la prostitution juvénile, la pornographie infantile et le commerce d’enfants.

«L’adoption éventuelle du protocole facultatif comblera un vide, mais le projet traîne depuis 10 ans parce que les pays n’arrivent pas à s’entendre sur l’âge concerné et sur la gravité à attribuer à ces délits.»

Pour faciliter l’application des dispositions internationales, Me Roberge verrait d’un bon oeil que le Comité des droits de l’enfant de l’ONU puisse recevoir des communications individuelles de la part de victimes. De plus, il lui paraît souhaitable que le mandat du Rapporteur général sur la vente et la prostitution des enfants, qui a joué un rôle majeur dans l’élaboration du protocole facultatif en amassant une documentation importante, soit maintenu après l’adoption du protocole.

«Sur papier, toutes les mesures existent pour combattre le tourisme sexuel. C’est la volonté politique qui est douteuse», conclut Justin Roberge.

Daniel Baril