Volume 35 numéro 21
19 février
2001


 


Un anthropologue amateur de vin en Italie
Vincent Fournier étudie le développement et l’industrie vinicole de Cirò Marina.

La présence de Vincent Fournier (au centre) dans la petite ville de Cirò Marina, qui compte 10 000 habitants, signifie pour les viticulteurs que leur production de vin gagne en reconnaissance.

 

Photo: Julie Routhier

«L’Université de Montréal envoie un de ses experts pour étudier l’industrie vinicole de Cirò Marina», titre La Gazetta del Sud, un important journal d’Italie. Dans une publication locale de la Calabre, Il Crotonese, on souligne également l’importance de la recherche menée par Vincent Fournier.

«Je ne pensais pas faire les manchettes des journaux en consacrant mon doctorat à l’étude du développement et de la production du vin de Cirò. Pour les gens d’ici, ma présence signifie que leur production gagne en reconnaissance», affirme l’étudiant du Département d’anthropologie avec un sourire dans la voix.

Selon Vincent Fournier, la publicité gratuite accroît sa crédibilité aux yeux des administrateurs locaux, qui lui accordent un appui inestimable. Grâce à la collaboration de Mariella Pandolfi, professeure au Département d’anthropologie, le jeune chercheur a réussi à établir tous les contacts nécessaires pour entreprendre sa recherche.

Sous la codirection de Michel Verdon et Guy Lanoue, professeurs au même département, le jeune homme essaie notamment de comprendre pourquoi et comment certains producteurs de vin se détournent de la production de quantité pour privilégier la qualité. «De plus en plus, des régions de l’Italie s’orientent vers un raffinement de leur production de vin, souligne M. Fournier. C’est le cas de la Sicile, dont de nombreux produits de qualité se retrouvent aujourd’hui au Québec. Mais il n’est pas facile pour un viticulteur d’une région méconnue telle Cirò Marina de se mesurer à des concurrents qui détiennent l’avantage de provenir d’un lieu reconnu comme Bordeaux, la Toscane ou le Piémont.»


Un bled du pied de la «botte»

Pourquoi l’anthropologue a-t-il choisi Cirò Marina? Pour le vin bien sûr, répond cet amateur avoué. C’est du moins la réponse que les journaux locaux aiment entendre, dit-il à la blague. «Ce n’est pas faux, mais la réalité est plus complexe. En fait, Cirò Marina est la région d’où provenait le seul vin calabrais soumis à une intense commercialisation. On en trouve même à la Société des alcools du Québec.»

Située à l’extrémité méridionale de la péninsule italienne (le pied de la «botte»), Cirò Marina produit 95% de la quantité de vin d’origine contrôlée de la Calabre. Plusieurs petits viticulteurs produisent du raisin et il existe une vingtaine de propriétaires de «cantina», signale M. Fournier. Ces derniers possèdent également des parcelles de vignes, mais ils s’occupent essentiellement de vinification faite à partir du raisin qu’ils achètent aux viticulteurs. Cette situation commerciale particulière influe sur l’industrie vinicole actuelle de la Calabre, indique l’étudiant. C’est d’ailleurs ce qu’il essaie de mettre en lumière.

Quel est le lien avec l’anthropologie? «L’approche sur le terrain, répond Vincent Fournier. Je prends le temps de me laisser imprégner par la culture des gens. Outre les sources d’information qui peuvent me renseigner sur l’histoire et l’évolution du contexte local — archives, recensements, publications —, je mène des entrevues auprès des viticulteurs et des propriétaires de “cantina” afin de reconstituer leur histoire individuelle.»

En comparant ces différentes histoires et les transferts de propriétés d’une génération à l’autre, et en tenant compte de moments historiques importants — la construction du chemin de fer à la fin du siècle dernier ou encore l’obtention, dans les années 70, de la «Denominazione di origine controllata» —, l’étudiant tente de retracer l’évolution de l’industrie vinicole de cette communauté.

Dominique Nancy


Vin des dieux ou piquette?

Les viticulteurs de Cirò Marina aiment bien leur vin. Dès l’Antiquité, le vin de Cirò a connu une grande renommée. Une légende raconte d’ailleurs qu’autrefois le vin de Crimissa — nom antique de Cirò — était offert en hommage aux athlètes qui revenaient vainqueurs des olympiades.

«Il est vrai que les vins de la Calabre étaient connus des Grecs, qui appelaient le sud de l’Italie “Enotria”, la terre des vins», souligne Vincent Fournier, étudiant au Département d’anthropologie. Mais il faut dire que la Calabre n’est pas reconnue pour son vin. Le Larousse des vins n’est d’ailleurs pas élogieux à l’égard des produits vinicoles de cette région, la plus pauvre de l’Italie. L’encyclopédie dit carrément que le vin est de «piètre qualité».

Quelle que soit la véracité des faits, ajoute le jeune chercheur, le discours des gens est très important sur le plan symbolique. Et l’anthropologue doit chercher à le comprendre. S’il est faux, il n’en est que plus intéressant, conclut-il.

D.N.