Volume 35 numéro 21
19 février 2001


 


Roger prendra-t-il l’hormone?
Les hommes ne sont pas épargnés par les bouffées de chaleur, crises d’identité et pannes sexuelles. Mais le traitement ne fait pas consensus.

À 34 ans, Hélène Lavoie est ravie de travailler à Montréal après avoir effectué deux années d’études postdoctorales en endocrinologie de la
reproduction à l’Université Harvard, à Boston. Elle partage son temps entre la clinique de fertilité Procréa et l’hôpital Saint-Luc du CHUM.

À 55 ans, Roger a des insomnies de plus en plus fréquentes. Depuis quelques semaines, il est irritable, impatient, sans parler de ses problèmes érectiles. Au beau milieu de la nuit dernière, il a rejeté toutes ses couvertures et est allé maugréer au salon à cause de ces insupportables bouffées de chaleur. Son état inquiète sa femme, qui insiste pour qu’il consulte un spécialiste.

Au cabinet de l’endocrinologue, le diagnostic d’andropause, l’équivalent masculin de la ménopause, est rapidement évoqué. De plus en plus accepté par la communauté médicale, ce syndrome dû à une baisse de l’hormone sexuelle suscite toutefois la controverse depuis qu’un médecin américain, le Dr Morley, a affirmé qu’on pouvait désormais se passer de tests biochimiques pour confirmer le diagnostic. Pour Roger, donc, pas de prise de sang, un simple questionnaire suffira.

«Je suis en total désaccord avec cette approche, dit la Dre Hélène Lavoie, professeure de clinique au Département d’endocrinologie de la Faculté de médecine. Les recherches sur l’hormone sexuelle chez l’homme sont nettement insuffisantes pour conclure à un déséquilibre hormonal après un simple questionnaire.»

En effet, le test Morley est constitué de 10 questions assez rudimentaires: le sujet éprouve-t-il une baisse du désir sexuel? Un manque d’énergie? Une diminution de la force ou de l’endurance? Une diminution de la joie de vivre? Est-il d’humeur triste ou maussade? Ses érections sont-elles moins fortes? Ses performances sportives ont-elles diminué? S’endort-il après les repas? Son rendement professionnel s’est-il dégradé?

Si le patient ressent une baisse du désir sexuel ou une diminution de ses érections, ou s’il répond oui à trois autres questions, le spécialiste établira un diagnostic d’andropause et prescrira des médicaments. Un comprimé récemment approuvé par Santé Canada, l’Andriol, a de plus en plus la faveur des médecins. Plus facile à administrer que l’injection de testostérone, le médicament fera augmenter le taux de cette hormone dans le sang de Roger, qui retrouvera certains attributs perdus.


Une femme dans la testostérone

Médecin à l’hôpital Saint-Luc et à la clinique de fertilité Procréa, la Dre Lavoie traite de cinq à six nouveaux cas d’andropause par mois. Dès ses études universitaires, elle s’est intéressée aux hormones sexuelles, alors que la mode était plutôt aux hormones reliées au diabète, à l’ostéoporose et à d’autres maladies. Elle s’est naturellement tournée vers l’andropause et son traitement. Mais comment les hommes acceptent-ils de se faire demander par une femme: «Et vos érections, ça va?» «Je m’inquiétais au début. Je craignais que mes patients soient rébarbatifs à l’idée de me parler de leur intimité. Je suis rassurée maintenant. Certains sont même moins gênés d’en parler à une femme qu’à un homme.»

Elle a souvent prescrit le traitement visant à rétablir le taux de testostérone, mais non sans avoir au préalable effectué plusieurs tests indiquant que les symptômes ressentis étaient bien dus à un déséquilibre hormonal. «Les hormones sont beaucoup plus complexes qu’elles en ont l’air, explique la spécialiste. Leur quantité varie si vous avez un rhume ou si vous êtes tendu; et même selon l’heure du jour ou de la nuit. C’est pourquoi il faut interpréter les résultats des tests avec circonspection.»

On sait que le taux de testostérone est plus élevé au réveil qu’à la fin du jour. Or, un matin, lorsqu’un travailleur de nuit s’est présenté pour son prélèvement, la Dre Lavoie lui a dit de revenir en fin d’après-midi... après avoir dormi. Le résultat serait plus fiable ainsi.

L’Andriol, qui fait l’objet d’une grosse campagne de publicité par la compagnie pharmaceutique Organon, est loin d’être un médicament miracle, note la Dre Lavoie, qui lui préfère généralement les injections autoadministrées. «L’Andriol est un comprimé fort coûteux qui est peu absorbé par le sang, explique-t-elle. À peine huit pour cent du principe actif est absorbé. Actuellement, le médicament fait l’objet de plusieurs études cliniques, mais je ne crois pas qu’il soit toujours le meilleur choix.»

Dans un supplément de L’Actualité médicale portant sur l’andropause paru en 1998, le Dr Roland Tremblay, de l’Université Laval, affirmait sa nette préférence pour les androgènes oraux. Ceux-ci induisent un taux beaucoup plus stable de testostérone, alors que les injections intramusculaires, généralement toutes les deux semaines, créent des variations notables de l’humeur, de la libido, etc.

Reste que pour l’un ou pour l’autre traitement, un certain risque demeure: l’effet sur la prostate. La Dre Lavoie répète que les recherches sont nettement insuffisantes pour tirer des conclusions définitives.


Une renaissance

Hélène Lavoie ne met pas en doute la réalité clinique de l’andropause. Certains de ses patients, qui s’injectent de la testostérone, ont vécu une véritable renaissance grâce au traitement. «Ils sont méconnaissables. Ils sont plus efficaces au travail, plus épanouis dans leurs relations intimes, bref, plus heureux», relate-t-elle.

Le médecin signale cependant que la nature du vieillissement diffère considérablement, sur le plan hormonal, entre l’homme et la femme. «Vers l’âge de 50 ans, les ovaires cessent subitement de fonctionner, rappelle-t-elle. Le cerveau gère ce changement en ordonnant la production massive d’hormones folliculo-stimulante (FSH) et lutéinisante (LH), responsables respectivement du développement des oeufs et de l’ovulation. Il est facile de trouver des indices de cette abondance dans une prise de sang. La totalité des femmes qui vivent assez longtemps se verront donc prescrire des oestrogènes et, si besoin est, de la progestérone. C’est un consensus bien admis.»

Par comparaison, chez l’homme, la production de testostérone diminue graduellement à partir de l’âge de 30 ans. On n’a donc pas affaire, sauf exception, à un changement hormonal soudain. La chose se complique du fait que la mesure de la testostérone peut se faire de différentes manières et qu’il n’y a pas consensus sur le moyen le plus fiable et le plus représentatif d’aborder le problème. De plus, le seuil à partir duquel il est recommandé de recourir aux médicaments est controversé. On situe la normale entre 10 et 30 millimoles (mmol) de testostérone par litre de sang. Mais avant de conclure à l’andropause et d’offrir un traitement à long terme, il faut tenir compte de l’ensemble du tableau clinique et éliminer les autres causes. Surtout quand la mesure se situe près de la limite inférieure.

«Certains hommes ont un taux très bas de testostérone toute leur vie, d’autres un taux très élevé. La baisse sera ressentie de façon très variée. Chez certains individus, on ne note aucun symptôme et, chez d’autres, comment dire… mon Dieu que ça va mal!»

Les écarts semblent être déterminants. Si un homme a un taux de 28 mmol par litre de sang à l’âge de 30 ans et qu’il se situe à 10 à 75 ans, il notera sans doute des changements physiologiques. Cependant, celui qui passe de 14 à 10 en quelques semaines n’aura probablement aucun symptôme.

Mathieu-Robert Sauvé