Volume 35 numéro 20
12 février 2001


 


Plus d’argent pour Médecine/sciences
Après 17 ans à la barre de la publication, Michel Bergeron livre son testament spirituel.

Michel Bergeron croit en la diffusion des connaissances en français. C’est pourquoi il a lancé avec des collaborateurs Médecine/sciences, qui a aujourd’hui 17 ans. Les parutions totalisent 18,000 pages d’articles scientifiques.

Le professeur Michel Bergeron lance un appel aux gouvernements pour qu’ils multiplient par deux le financement de la revue Médecine/ sciences, actuellement de 210 000$ par année. «Les gouvernements de France et du Canada dépensent 150 milliards de dollars chaque année pour leurs services de santé. Pourquoi hésitent-ils à consacrer une fraction de ce budget à la diffusion des connaissances dans toute la francophonie par le biais d’une revue de qualité, bien établie et respectée par les pairs?» s’interroge le professeur du Département de physiologie de la Faculté de médecine.

Après 17 ans d’un dévouement soutenu, dont 15 à titre de rédacteur en chef pour l’Amérique du Nord (un homologue est responsable de la section européenne), le cofondateur de Médecine/sciences publie dans le numéro courant un éditorial qu’on peut qualifier d’engagé. «C’est en quelque sorte mon testament spirituel», dit en souriant le physiologiste qui demeure directeur général de cette revue tirée à 8000 exemplaires. Géré conjointement par la France et le Québec, Médecine/ sciences produit 10 numéros, bon an, mal an, en plus de suppléments et de numéros spéciaux. Cela représente quelque 1400 pages d’articles scientifiques annuellement, soit 18,000 pages depuis son lancement.

Dénonçant l’attitude des commanditaires, qui boudent les revues savantes sous prétexte qu’elles s’adressent à un public trop restreint, l’ex-rédacteur en chef prie les gouvernements d’être plus sensibles aux causes de ces diffuseurs de la connaissance. «Au Québec, […] Médecine/ sciences mis à part, il n’y a qu’une seule autre revue de langue française révisée par les pairs. Quelle pitié!» écrit-il.


Le français, langue des sciences

L’auteur y réaffirme sa foi en l’usage de la langue maternelle dans le réseau scientifique. «L’anglais est, bien entendu, la langue de la république de la science, nuance-t-il en entrevue. Mais ce sont les contribuables de chaque région qui financent les travaux des chercheurs; pourquoi n’auraient-ils pas le droit d’être les premiers à y avoir accès? De plus, n’oublions pas que la langue maternelle est l’outil le plus performant pour exprimer des concepts complexes. Pourquoi s’en passer?»

Si Sigmund Freud avait succombé au piège de la langue des sciences, il n’aurait peut-être pas légué une oeuvre aussi significative, estime M. Bergeron. Le fondateur de la psychanalyse avait étudié en France et le français était alors l’espéranto des chercheurs, rappelle-t-il. «Aujourd’hui, on constate que Freud écrivait dans un allemand très particulier. Les traducteurs doivent être sensibles aux expressions régionales utilisées par Freud. Il n’aurait pas pu être aussi précis dans une langue seconde.»

Autre facette abordée par l’éditorialiste: le cyberespace scientifique. Financées par l’État, les recherches doivent parvenir aux personnes intéressées. Selon le professeur Bergeron, le cyberespace permet de «libérer» le savoir contenu dans les tours d’ivoire. Or, pour alimenter une autoroute de l’information avide de contenus, Médecine/sciences représente une véritable aubaine.

Certes, les coûts d’impression de l’édition savante sont si élevés que la voie de l’édition exclusivement électronique semble toute tracée. Quelque 70% des lecteurs de Médecine/sciences ont cependant affirmé, dans un sondage mené l’an dernier, leur préférence pour le bon vieux papier. Pour Michel Bergeron, l’un n’empêche pas l’autre. «En couplant l’électronique à l’imprimé, Médecine/sciences peut jouer, grâce à ses auteurs, le véritable rôle d’une université virtuelle des sciences du vivant», peut-on lire dans l’éditorial du numéro de décembre 2000.


Courte espérance de vie
«Je me souviens de Médecine/ sciences, nous ne vous donnions pas cinq ans d’espérance de vie», a rappelé récemment Jean Rochon, ministre de la Recherche, de la Science et de la Technologie, à M. Bergeron. Certains étaient encore plus sévères et croyaient que la revue bicéphale ne survivrait pas six mois.

Le ministre Rochon était alors doyen de la Faculté de médecine de l’Université Laval. Dix-sept ans plus tard, Michel Bergeron n’a pas récolté plus d’enthousiasme en faisant appel aux doyens des quatre facultés québécoises de médecine. «Quatre réponses négatives», dit-il.

Mais le professeur ne se décourage pas. «Doit-on laisser aux agences de publicité de Toronto, New York, Paris ou Montréal la responsabilité de l’éducation médicale continue?» lance-t-il, faisant référence au fait que les commanditaires sont plus volontiers dirigés vers les revues d’omnipraticiens que vers les revues savantes. «Le nouveau modèle scientifique nous permet de briser la culture oligopolistique de l’édition médicale, qui exerce un véritable malthusianisme sur les lectures qui sont offertes aux médecins, aux pharmaciens, aux biologistes, aux étudiants et aux citoyens», écrit-il encore.

Envers et contre tous, Médecine/ sciences atteindra dans quelques mois l’âge de la majorité. Une nouvelle équipe a pris le relais des Axel Kahn, Jean Hamburger et autres. Le nouveau rédacteur en chef à Montréal, Daniel Bichet, secondé par Michel Bouvier, directeur du Département de biochimie, complétera l’équipe de Paris, dirigée par Marc Peschanski.

Mathieu-Robert Sauvé