Volume 35 numéro 19
5 février 2001


 


La grossesse pourrait être un facteur d’accidents de la route
Et l’alcool n’a pas toujours l’effet pervers qu’on lui prête.

«L’effet de la grossesse sur les accidents demeure faible», tient à préciser Marc Gaudry. Quant à celui de l’alcool, toute la question est de savoir ce que signifie une «faible dose».

Il pourrait être dangereux de conduire une automobile pendant la grossesse, particulièrement pendant les trois premiers mois. C’est du moins ce que laissent croire différentes études effectuées au cours des 15 dernières années au Québec, en Angleterre et en Norvège.

Marc Gaudry, du Centre de recherche sur les transports (CRT), semble être le premier à avoir désigné ce facteur. En 1984, à l’aide d’algorithmes mettant en relation plusieurs dizaines de facteurs, le chercheur a observé une corrélation statistiquement significative entre le nombre de grossesses d’une part et la fréquence et la gravité des accidents de la route d’autre part.

«La corrélation est statistiquement forte, c’est-à-dire loin de zéro, mais l’effet de la grossesse demeure faible sur le nombre d’accidents», tient-il à préciser.

Bien que le modèle mis au point au CRT — le DRAG, pour «demande routière, accident et gravité» — permette de chiffrer cet effet, Marc Gaudry demeure prudent et préfère ne pas avancer de chiffres pour l’instant. C’est que les données dont il dispose ne sont pas individualisées et ne permettent d’établir qu’un lien indirect entre les deux variables.

«Pour les grossesses comme pour les accidents, les variations sont énormes selon les mois et selon les années, souligne-t-il. Nous avons donc une corrélation statistique entre deux courbes qui bougent beaucoup et la probabilité que cette corrélation soit due à un autre élément que la grossesse est très faible.»

Le raffinement du modèle a donné les mêmes résultats dans une deuxième étude menée en 1991. Puis, en 1997, une équipe de Norvège est elle aussi parvenue à la même corrélation avec des données encore plus précises que celles de l’équipe du CRT.

«Sur la base de ces résultats, le gouvernement norvégien a entrepris de passer en revue tous les accidents de la route survenus au cours des 25 dernières années et dans lesquels des femmes avaient été impliquées afin de vérifier si elles étaient enceintes», avance Marc Gaudry.

Comme les chercheurs de ce projet disposeront de données individualisées permettant de croiser les renseignements des fichiers d’accidents et ceux des fichiers médicaux, ils seront en mesure d’établir si un lien direct existe ou non entre grossesse et risque d’accident.


Encore les hormones!

Marc Gaudry est convaincu que cette étude va confirmer les observations antérieures. L’une des hypothèses qu’il avance pour expliquer le phénomène met en cause l’état hormonal résultant de la grossesse, c’est-à-dire l’augmentation du taux de progestérone et d’oestrogènes qui n’est pas contrebalancé par une augmentation équivalente des hormones androgènes. Cet état rendrait la femme moins performante dans l’exécution de tâches mécaniques.

Cette hypothèse trouve un appui dans une étude effectuée en Angleterre en 1979 et qui a montré que, de tous les médicaments, c’est la consommation de contraceptifs oraux qui est associée au plus haut taux de risque d’accident. La pilule augmente ce risque de 5,6 fois, comparativement à 5,2 pour les sédatifs et tranquillisants et à 2,0 pour tous les médicaments confondus.

«À cette époque, les concentrations d’hormones dans les contraceptifs oraux étaient très élevées et créaient un état de grossesse permanent», affirme le chercheur.

L’hypothèse sera vérifiée par l’étude norvégienne, qui tiendra compte du cycle menstruel et de l’usage de contraceptifs.


L’alcool

Le DRAG a permis d’observer une autre étonnante corrélation jamais soupçonnée jusque-là: une faible consommation d’alcool est associée à un risque moindre d’accident que l’abstinence.

Encore là, il faut être très prudent puisqu’il s’agit du même type de rapport indirect: lorsque la consommation d’alcool par personne augmente dans une population donnée, le nombre d’accidents mortels et le nombre de morts par accident diminuent, bien que celui d’accidents légers augmente.

«Notre modèle permet une nouvelle façon d’aborder la problématique des accidents de la route en considérant séparément la fréquence et la gravité des accidents, deux éléments qui ne sont pas influencés par les mêmes facteurs. S’il neige, par exemple, le nombre d’accidents augmente, mais ils sont moins graves que les accidents par beau temps. En revanche, la fréquence diminue avec l’augmentation de la vitesse parce que les conducteurs sont alors plus attentifs, bien que leurs accidents soient plus graves.»

Les algorithmes de Marc Gaudry montrent une corrélation semblable avec la consommation d’alcool, notamment la consommation de vin. «Au début, nous pensions que notre modèle était erroné», avoue-t-il. Mais des résultats semblables ont été obtenus avec une deuxième version du DRAG, puis par des équipes de Nouvelle-Zélande, de Norvège et d’Allemagne ainsi que par une étude empirique aux États-Unis.

Pour Marc Gaudry, l’explication serait la suivante: une faible dose d’alcool produit un effet calmant qui réduit l’agressivité et amène le conducteur à conduire moins vite. Tout le problème est de savoir ce que signifie «faible dose». Le lien indirect établi par les diverses études ne permet pas de déterminer de seuil.

Actuellement, le gouvernement du Québec examine la possibilité d’abaisser le taux d’alcool acceptable de 0,08 à 0,05 pour la conduite automobile. «Dans l’état actuel de nos connaissances, je serais incapable d’être pour ou contre un tel projet», conclut Marc Gaudry.

Les études dont il est question ici ont fait l’objet d’une publication récente dirigée par Marc Gaudry et Sylvain Lassarre (INRTS, France): Structural Road Accident Models; The International DRAG Family, chez Pergamon.

Daniel Baril