Volume 35 numéro 18
29 janvier 2001


 


Preuve par ADN: le Canada possède l’une des meilleures lois
La banque de données génétiques sert la justice tout en préservant la dignité humaine, estime Marie Angèle Grimaud.

Selon Marie Angèle Grimaud, le gouvernement canadien se serait évité des déboires en 1995 s’il avait davantage tenu compte des avis juridiques et du droit comparé.

Aux États-Unis, pas moins de 76 personnes condamnées à mort ont été innocentées depuis 1987 grâce à leur empreinte génétique. Plusieurs d’entre elles avaient passé plus de 15 ans dans le couloir de la mort.

La prise de conscience du fait qu’on exécute peut-être des innocents est en train de créer une véritable psychose chez nos voisins, au point où l’Illinois, responsable de 13 des 76 erreurs judiciaires, a décrété un moratoire sur les exécutions afin de recourir systématiquement, dans tous les cas où c’est possible, à la preuve par l’identification génétique.

Au Canada, la cause la plus tristement célèbre est celle de David Milgaard, de la Saskatchewan, qui a purgé 25 ans de prison pour viol et meurtre avant d’être disculpé grâce à son ADN. Mais ce qui retient surtout l’attention présentement, c’est l’entrée en vigueur, en juin dernier, de la banque de données constituée des empreintes génétiques des personnes reconnues coupables d’un crime grave.
«Avec celles de l’Angleterre et de quelques États américains, cette banque est parmi les premières au monde, signale Marie Angèle Grimaud, agente de recherche au Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit. Le Canada possède l’une des lois les plus complètes sur la preuve par ADN et il est en avance sur des pays européens comme la France et la Belgique.» Mme Grimaud a consacré son doctorat à cette question en s’intéressant notamment au problème de la légitimité des prélèvements corporels.


Dignité de la personne

À son avis, l’établissement d’une banque de données génétiques est tout à fait pertinent et «de nature à servir les intérêts de la justice». Mais la situation n’a pas toujours été aussi reluisante à ses yeux. Au moment où elle a entrepris sa recherche (sous la direction des professeurs Bartha Maria Knoppers et Pierre Béliveau), il n’existait aucune loi sur la preuve par ADN au Canada.

«La première cause où une preuve par ADN a été présentée devant les tribunaux remonte à 1988, mais à ce moment rien n’encadrait le prélèvement des échantillons corporels. Plusieurs autres causes ont suivi et l’empreinte génétique était acceptée comme élément de preuve sur la seule base de sa pertinence.»

En 1994, la Cour suprême a statué qu’en l’absence d’une loi les prélèvements devaient être librement consentis. «Le consentement libre et éclairé était nécessaire puisque l’empreinte génétique livre beaucoup plus d’information, et de l’information beaucoup plus intime, que les empreintes digitales; on peut connaître la filiation d’une personne ou ses susceptibilités à certaines maladies. Avec ce type de renseignements, c’est l’intégrité de la vie privée plutôt que l’intégrité physique qui est menacée et, en l’absence d’une loi, la dignité de la personne n’était pas assurée.»

La publication du premier article de la thèse de Marie Angèle Grimaud a mis ce risque en lumière et, dès 1995, le gouvernement fédéral a adopté une première loi autorisant les prélèvements corporels si un mandat est délivré à cette fin. Aux yeux de la chercheuse, le gouvernement a procédé un peu trop rapidement — en l’espace de moins d’un mois! — et ses articles subséquents ont relevé plusieurs lacunes qui ont dû être corrigées par la suite.


Assurer la justice

Selon la loi actuelle, les prélèvements corporels ne sont autorisés que pour une série d’infractions désignées dans la loi, par exemple les crimes sexuels, les meurtres, les enlèvements, les voies de fait, les vols avec violence ou encore la conduite avec capacités affaiblies causant des blessures ou la mort. Toute personne reconnue coupable de l’une des infractions désignées doit soumettre un échantillon corporel pour établissement de l’empreinte génétique dans la mesure où l’effet sur sa vie privée n’est pas «nettement démesuré par rapport à l’intérêt public».

Quelque 2000 personnes condamnées avant l’entrée en vigueur de la loi et reconnues criminels dangereux devront aussi livrer leur empreinte génétique. Le tribunal peut également autoriser un prélèvement sur un accusé si une substance corporelle a été trouvée sur les lieux du crime et que le prélèvement est de nature à servir la preuve. La loi précise même quels types de prélèvements sont permis (cheveux, cellules épithéliales, sang) et par quels moyens ils doivent être recueillis. Ces données doivent être détruites si l’accusé est déclaré non coupable. Toute autre utilisation de ces données est bannie par la loi.

«La légitimité de cette loi repose sur la protection de la société, qui accepte cette pratique parce qu’elle est de nature à servir l’administration de la justice, affirme Mme Grimaud. En plus d’aider à déterminer si l’accusé est coupable ou non, la banque de données génétiques devrait avoir un effet dissuasif sur les récidivistes potentiels, qui savent qu’ils pourront être identifiés plus facilement.»

Selon la chercheuse, la loi aurait pu être encore plus restrictive en ne permettant de conserver que les résultats des analyses génétiques et non les prélèvements eux-mêmes; ceci aurait limité davantage les risques d’utilisation frauduleuse des échantillons.

Par ailleurs, Marie Angèle Grimaud rappelle que la preuve par ADN n’est qu’un élément circonstanciel de preuve. «L’empreinte génétique est très fiable et doit être admise comme élément de preuve, mais ce n’est qu’un élément parmi d’autres. Ce n’est pas parce qu’on prouve qu’une personne était sur les lieux d’un crime qu’on a prouvé qu’elle est l’auteure du crime.» O.J. Simpson en sait quelque chose!

Daniel Baril