Volume 35 numéro 18
29 janvier 2001


 


La moitié des Québécois négligent encore leur santé buccale
Le nouveau doyen Claude Lamarche déplore notre faible «quotient dentaire».

«Nous sommes la plus grosse faculté au Canada, c’est pour ça qu’il nous faut aussi être la meilleure», déclare Claude Lamarche.

Manque-t-on de dentistes au Québec? Lorsqu’on pose la question à Claude Lamarche, il rappelle qu’il y a quatre ou cinq ans on parlait de fermer une des trois facultés québécoises de médecine dentaire. «Pourtant, des sondages de l’Ordre des dentistes du Québec et de l’Association des chirurgiens dentistes du Québec démontrent que seulement 52% des Québécois fréquentent régulièrement un cabinet de dentistes tandis que 48 % n’y vont que lorsqu’il y a une urgence ou lorsqu’ils en sentent le besoin.» Le «quotient dentaire», c’est-à-dire l’importance que les gens accordent à l’état de leur bouche, est donc moins élevé au Québec qu’ailleurs en Amérique du Nord, constate-t-il. «À l’Ordre, on a entrepris toutes sortes de démarches pour changer cette situation. Mais le fait que les gens ont des assurances ou que le gouvernement rembourse les soins dentaires aux enfants de 12 ans et moins joue pour beaucoup. Il reste qu’il y a encore trop de gens qui n’utilisent pas la soie dentaire. Et combien ne se brossent même pas les dents?»

Une fois passée la période des caries, soit après 25 ans, beaucoup de gens s’imaginent qu’ils n’ont plus besoin de voir leur dentiste et relâchent leur hygiène dentaire. «Passé cet âge, c’est l’état parodontal qui est important, c’est-à-dire les gencives et les os, signale le Dr Lamarche. Mais nous savons que, lorsque le contexte économique est défavorable et qu’il y a du chômage, les gens se préoccupent moins de l’état de leur bouche.»


La plus grande au Canada

À une époque pas si lointaine, un homme pouvait dire à son futur gendre: «J’ai pris soin de ta promise, je lui ai fait enlever toutes ses dents…» rappelle le doyen, qui déplore le taux élevé d’édentement de la population québécoise. Cette situation touche particulièrement les personnes âgées, qui ont souvent de la difficulté à s’alimenter. Afin d’améliorer la formation des futurs dentistes tout en contribuant à hausser la qualité de vie de la population vieillissante, la Faculté a élaboré un projet, en collaboration avec la Régie régionale, pour permettre aux étudiants d’aller dans les centres d’accueil.

Bon an, mal an depuis 1966, la Faculté de médecine dentaire accueille 85 nouveaux étudiants en première année parmi les 450 à 500 jeunes qui font une demande d’admission. S’y ajoutent des dentistes en résidence qui viennent rafraîchir leur formation et les étudiants inscrits à la maîtrise en réhabilitation prosthodontique. La prosthodontie est la fabrication et la mise en place de prothèses ou de dispositifs permettant de remplacer les dents manquantes et les tissus environnants.


Nouvelles technologies

En dentisterie comme ailleurs, les connaissances et les nouvelles technologies explosent: utilisation de matériaux composites qui ont la propriété de faire corps avec la dent, emploi de la microabrasion et du laser pour certaines chirurgies, fabrication de couronnes par ordinateur, etc. Un fabricant de matériel dentaire a prêté à la Faculté un appareil de 130,000$ qui permet justement de faire de la fabrication de couronnes assistée par ordinateur. Le patient peut ainsi obtenir sa couronne en une seule visite.

La Faculté a aussi entrepris des démarches pour l’établissement d’un centre d’implantologie, qui doit être mis sur pied au cours des mois qui viennent.

Comme on ne pouvait plus ajouter de cours aux quatre années de formation déjà bien remplies, on a instauré, depuis septembre 1999, une «année de prédentaire». En septembre 2003, on aura terminé la refonte du programme de quatre ans en médecine dentaire. Aux stages dans les hôpitaux, la Faculté veut ajouter des stages en cabinet surtout pour permettre aux étudiants de se familiariser avec la gestion du personnel, la comptabilité et les relations avec le patient. Elle veut aussi augmenter le nombre de cours en éthique professionnelle.

Quant à leur formation clinique, les étudiants l’obtiennent bien sûr principalement à la Clinique de médecine dentaire, qui reçoit 3000 patients par année pour 29 000 visites.

Le nouveau doyen est également consultant auprès de deux hôpitaux et conseille des organismes comme l’Office des professions, la CSST et la SAAQ, en plus d’être vice- président de l’Ordre des dentistes du Québec. En ce qui concerne sa participation à l’Ordre, il précise: «Certains y voient un conflit d’intérêts, moi, j’y vois une continuité. Le rôle de l’Ordre étant de protéger la population, il faut donc s’assurer que les actes sont de qualité. La meilleure façon d’y parvenir est de veiller à ce que les diplômés qui sortent de la Faculté soient des professionnels compétents.» La Faculté participe aussi étroitement à la formation continue en collaboration avec l’Ordre des dentistes. L’an dernier, elle a donné 20 cours à 700 dentistes.


Défis

Un des défis du nouveau doyen est d’améliorer l’enseignement clinique, qui a souffert des compressions budgétaires des dernières années. «Nous avons déjà eu jusqu’à huit étudiants par chargé d’enseignement clinique. Lorsque c’est le cas, nous passons alors notre temps à nous laver les mains et à changer de gants pour passer d’un patient à l’autre.» Non seulement l’encadrement des étudiants en souffre-t-il, mais le danger que des gestes irréversibles soient commis augmente. Claude Lamarche vise donc un ratio de cinq étudiants par chargé d’enseignement.

«Nous devons aussi changer notre façon de faire l’enseignement clinique pour passer d’un traitement morcelé à une approche globale.» Par exemple, le patient qui a besoin à la fois d’un traitement de gencives, d’un plombage, d’un pont et d’une prothèse partielle doit se rendre à quatre endroits. Le Dr Lamarche croit qu’il serait préférable que l’étudiant prenne en charge le patient pour la durée des traitements, quitte à l’adresser à un étudiant plus avancé pour la partie du traitement qu’il n’est pas en mesure d’effectuer, comme le font d’ailleurs souvent les dentistes. «Cette approche globale permettrait une meilleure formation, des soins plus personnalisés et une plus grande rétention de la clientèle.» Une telle approche suppose aussi l’existence d’un trimestre d’été qui aurait également comme résultat de favoriser les échanges d’étudiants avec les universités européennes.


Recherche

Enfin, le doyen Lamarche veut augmenter l’activité de recherche, qui a souffert du départ de quatre chercheurs il y a cinq ans. Aujourd’hui, la Faculté de médecine dentaire compte six chercheurs en neurophysiologie. Elle s’est dotée d’installations modernes de microscopie électronique. Son laboratoire pour l’étude des tissus calcifiés et des biomatériaux, que dirige le Dr Antonio Nancy, est financé par la Fondation canadienne pour l’innovation. Il est aussi un des pôles du réseau montréalais d’imagerie des matériaux et des molécules. Le Laboratoire a reçu, conjointement avec la Faculté de pharmacie, des fonds de recherche pour étudier les aspects pharmacologiques des maladies inflammatoires, en particulier des maladies périodontales.

En microbiologie et immunologie, la Faculté a déjà des réalisations à son actif, ce qui lui permet d’offrir un service de vérification des stérilisateurs des cabinets de dentistes. Le laboratoire des Drs Jean Barbeau et André Prévost, où l’on étudie les biofilms bactériens et la contamination microbiologique dans les cabinets dentaires, travaille depuis plusieurs années à éliminer les bactéries des conduites d’eau des unités dentaires. Des demandes de brevets ont d’ailleurs été déposées pour un système de désinfection des conduites d’eau.

Françoise Lachance