Enquête
sur la police
«Il
existe deux types de corruption policière», selon Frédéric
Lemieux.
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Adolescent
turbulent «ma mère a gagné son
ciel» , Frédéric Lemieux aimait
se bagarrer et aurait pu mal tourner, comme on dit. Mais
le destin en a décidé autrement. Après
un mémoire de maîtrise sur la corruption policière
au Québec, il poursuit des études doctorales
à lÉcole de criminologie. |
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En 1987, un policier
de lescouade des stupéfiants de la Gendarmerie royale
du Canada, Jorge Leite, vend des renseignements au cartel de la Colombie.
Pour ses bons services, il reçoit une somme estimée
à 350 000 $. Son rôle fait échouer une saisie
canadienne de 240 kg de cocaïne valant une fortune sur le marché
noir.
Jorge Leite nest pas le seul policier québécois
corrompu. Frédéric Lemieux, étudiant à
lÉcole de criminologie, a consacré son mémoire
de maîtrise à lanalyse de 12 cas de corruption
policière. Nos corps policiers ne sont pas tout entier rongés
par le crime, indique-t-il, mais les forces de lordre ne sont
pas à labri de tout soupçon.
«Quest-ce qui pousse les agents à commettre des
actes illégaux? Leur personnalité, bien sûr. Mais
lexercice de la fonction de policier offre des occasions tentantes,
monnayables sur le marché criminel, que dautres professions
nont pas, affirme létudiant. Voilà ce qui
en partie explique pourquoi même les meilleurs agents peuvent
se laisser tenter.»
Laffaire Louis Sansfaçon en est un bel exemple. Qualifié
de super-enquêteur il a mis sous les verrous plus de
200 criminels au cours de sa carrière , lagent
Sansfaçon a plaidé coupable à plusieurs accusations
de vol et de trafic de stupéfiants. «Une bonne partie
de la plaidoirie de lavocat de laccusé (Me Poupart)
a consisté à jeter le blâme sur la Sûreté
du Québec, qui, selon lui, a laissé Louis Sansfaçon
croupir trop longtemps dans un milieu malsain. M. Sansfaçon
a purgé sa peine à la prison provinciale de Québec
et il tente présentement de se réinsérer dans
la société.»
Des intouchables?
Au Québec, on est loin de la corruption de subsistance quon
retrouve dans les pays en voie de développement. Par exemple,
au Mexique les policiers demandent aux automobilistes une somme dargent
pour leur éviter des contraventions. Selon le rapport de la
commission Codère, ce type de corruption sévissait ici
aussi dans les années 40. Mais les avantages sociaux et laugmentation
des salaires des agents de police ont changé la donne.
«Aujourdhui, le crime organisé est dans la majorité
des cas à lorigine de la corruption policière,
signale Frédéric Lemieux. La vente de renseignements
et le trafic de stupéfiants sont les deux principaux services
policiers retenus par le milieu interlope.»
Autre problème. Selon lui, la proximité professionnelle
ou personnelle entre la police et les médias engendre une réaction
médiatique mitigée. «Les policiers corrompus mais
reconnus pour leur professionnalisme et qui ont été
en contact avec les médias semblent être présentés
au public dune façon plus sympathique que ceux dont la
carrière était plus rangée et moins retentissante.»
En matière dabus de force, les médias ont beaucoup
insisté sur linaction de nos gouvernements. Mais les
histoires de corruption éclatent rarement au grand jour. Pourquoi?
«Les syndicats défendent farouchement leurs membres,
signale létudiant. Dans certains cas, ils ont même
tenté de faire avorter les commissions denquête
chargées de faire la lumière sur un corps de police.»
Cette influence syndicale engendre divers problèmes, dont une
sorte de mutisme chez les policiers. Ces derniers refusent ainsi de
témoigner contre leurs collègues, qui deviennent alors
presque intouchables. Cette loi du silence, réelle ou mythique,
nest pas lapanage des agents de la paix. «On la
retrouve aussi chez les politiciens, les médecins et les avocats,
soutient M. Lemieux. Ce qui est grave, cest que lorganisation
peut servir dabri à des individus corrompus.» Pire
encore: le syndicat essaie parfois de les protéger, comme le
dévoile le rapport de la commission Poitras.
Le baccalauréat offre de lespoir
La gestion de la direction policière est aussi montrée
du doigt. «Le manque dencadrement, une mauvaise définition
des tâches et des objectifs, labsence de leadership et
de contrôle sur les policiers sont autant de motivations ou
de raisons qui semblent également pousser les agents à
commettre des actes illégaux», note M. Lemieux.
Dans laffaire Denis Leclerc, un ancien sergent-détective
du corps de police de Trois-Rivières, il y avait de la part
du poste de police un net laisser-aller. «La drogue, les armes
et autres pièces à conviction traînaient partout
dans les bureaux sans quil y ait un endroit réservé
aux objets saisis. La police payait même ses informateurs et
collaborateurs en
marijuana!»
Ce cas, souligne Frédéric Lemieux, démontre que
la déviance nest pas toujours laffaire dun
seul individu. «On parle alors de corruption systémique.
Cest-à-dire quelle sétend à
lensemble dune brigade dont les membres acceptent les
comportements frauduleux et criminels qui prévalent. Ce type
de corruption est difficilement décelable en raison du mutisme
qui règne au sein des brigades.»
La délation est-elle une solution? À court terme oui,
estime létudiant. Mais il faudrait plutôt parler
de «témoins», car le terme «délateur»
est péjoratif et nencourage pas les policiers à
briser le silence. «Le nouveau baccalauréat en technique
policière de lÉcole de criminologie formera des
policiers avec un plus grand esprit critique, fait-il valoir. Cela
amène à croire, ou du moins à espérer,
que les agents de demain pourraient être moins enclins à
la déviance.»
Dominique
Nancy