Volume 35 numéro 17
22 janvier 2001


 


La stérilisation par plasma pourrait détruire les prions
Le mode d’action mis en lumière par l’équipe de Michel Moisan pourrait être déterminant dans la guerre contre la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

À gauche, les professeurs Michel Moisan et Jean Barbeau, en compagnie de deux membres de leur équipe, Bachir Saoudi et Nicolas Philip, examinent le déroulement d’une expérience dans le stérilisateur à plasma. Ont également participé à la phase initiale des travaux Stéphane Moreau, Maryam Tabrizian et le professeur L’Hocine Yahia, tous du Groupe de recherche en biomécanique et biomatériaux de l’École Polytechnique.

Après le VIH et les bactéries résistantes aux antibiotiques, les milieux hospitaliers sont aux prises avec un nouveau problème de contamination: les prions. Les prions sont des particules protéiques extrêmement pathogènes responsables, entre autres, des encéphalopathies spongiformes telles la maladie de la vache folle et la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Il n’existe pratiquement aucune méthode de stérilisation des instruments médicaux permettant d’éliminer efficacement et à peu de frais les prions, si bien que le mot d’ordre est de détruire ces instruments lorsqu’ils ont servi à une intervention sur un patient soupçonné d’être infecté par des prions. Certains de ces instruments peuvent valoir jusqu’à 100 000$! D’autres sont faits de matière plastique et ne pourraient résister aux méthodes de stérilisation par autoclave, où les températures sont très élevées.

Mais des travaux effectués par une équipe multidisciplinaire sous la direction de Michel Moisan, professeur au Département de physique et responsable du Groupe de physique des plasmas, viennent d’ouvrir une piste prometteuse. Une expérience menée sur des spores de bactéries non pathogènes (Bacillus subtilis) a en effet démontré que les plasmas érodent ces spores atome par atome et qu’un tel procédé pourrait venir à bout des prions.


Plasma contre spores

En physique, le terme «plasma» désigne un gaz d’ions et d’électrons. Pour son expérience, l’équipe de Michel Moisan a eu recours à un mélange d’azote et d’oxygène moléculaire qui, une fois ionisé par un champ électrique intense, libère des radicaux libres (dans ce cas-ci, des atomes d’oxygène) ainsi que des photons du domaine ultraviolet.

Les spores sont pour leur part des bactéries en état de dormance qui se protègent d’un milieu hostile en s’entourant d’une membrane très résistante. Elles ont été cultivées au laboratoire de microbiologie et d’immunologie de la Faculté de médecine dentaire par Jean Barbeau.

Après 40 minutes d’exposition au gaz provenant de la source de plasma, les quelques millions de spores soumises au test étaient tout éliminées.

«Nous croyons que l’effet de stérilisation est dû à l’action combinée des photons ultraviolets et des atomes d’oxygène libres, soutient Michel Moisan. Les photons U. V. peuvent seuls suffire à tuer les spores en détruisant leur matériel génétique mais uniquement si les spores se trouvent sur une seule couche; l’action pénétrante de ces photons étant limitée à un micron, ils ne peuvent atteindre les spores du dessous si plusieurs d’entre elles sont superposées.»

C’est là qu’intervient l’effet des radicaux libres: «L’oxygène atomique désagrège atome par atome les spores mortes situées en surface jusqu’à ce qu’il atteigne la dernière couche de spores qui subissent alors l’effet d’inactivation directe des U. V. Cette érosion est semblable au procédé de gravure utilisé dans la fabrication des puces électroniques.»

Alors que les procédés traditionnels de stérilisation par autoclave agissent sur le métabolisme des micro-organismes, le traitement au plasma s’attaquerait plutôt à la structure atomique de l’organisme. Ce type d’action n’avait jusqu’ici jamais été démontré et Michel Moisan a déposé une demande de brevet sur cet aspect de la stérilisation par plasma. Le professeur tient par ailleurs à souligner le caractère multidisciplinaire de l’équipe qui est parvenue à ces résultats et qui compte des chercheurs en physique, en immunologie, en médecine et en génie.


Prochaine étape: les prions

Le procédé de stérilisation par plasma mis en lumière par l’équipe de Michel Moisan amène les chercheurs à croire qu’un tel processus pourrait venir à bout des prions qui résistent aux méthodes de stérilisation classiques.

«Comme les spores constituent la forme la plus résistante de micro-organismes, un procédé qui en vient à bout devrait réussir à déstructurer n’importe quelle autre forme de micro-organisme», estime le professeur.

Mais une telle expérience sur les prions n’a jamais été effectuée, les laboratoires de l’Université ne permettant pas de manipuler des agents infectieux aussi dangereux.

Toutefois, le professeur Pierre Belhumeur, du Département de microbiologie et immunologie de la Faculté de médecine, a réussi à créer une protéine aux propriétés analogues à celles des prions mais non pathogène. L’équipe de Michel Moisan travaille actuellement à mettre au point un procédé d’expérimentation qui devrait bientôt permettre de soumettre cette protéine au test du plasma.

Si l’expérience s’avérait positive, les retombées pourraient être très importantes pour les milieux industriel et hospitalier, qui disposeraient d’une méthode économique, rapide et écologique pour stériliser les instruments contaminés par les prions. La stérilisation proposée pourrait par ailleurs s’effectuer à des températures relativement basses, de l’ordre de 55 °C, ce qui permettrait de préserver les instruments à base de polymères.

Daniel Baril