Volume 35 numéro 16
15 janvier 2001


 


Papa idéal, où es-tu?
Nathalie Dyke étudie l’adaptation parentale à la venue d’un premier enfant.

Pour Nathalie Dyke, la venue au monde de son fils Antoine a changé sa vie. Elle s’est beaucoup intéressée à l’adaptation à la vie de famille.

Le père idéal? C’est un homme qui est à l’écoute de ses enfants; il est actif et prévoyant «autant que la mère». Il permet à ses petits de socialiser et leur fait découvrir le monde. Il est disponible, autoritaire au besoin, bon communicateur et complice avec eux.

C’est ainsi, du moins, que les femmes et les hommes définissent le modèle du père tel qu’on le fabriquerait avec une poignée d’argile et une bonne baguette magique. Malheureusement, au cours d’une recherche où elle a interviewé 36 couples avant et après la naissance de leur premier enfant, Nathalie Dyke a constaté, à la question suivante, que les prototypes se faisaient rares.

Elle a demandé aux répondants s’ils connaissaient effectivement une personne, soit dans leur passé ou dans leur présent, qui incarnait l’image décrite. La grande majorité des répondants, particulièrement les hommes, sont restés muets. «Chez les Québécois, sur les neuf hommes qui ont répondu à la question, sept ont clairement dit qu’ils ne pouvaient pas nommer quelqu’un; un seul a pensé à son père», écrit-elle dans Cultures et paternités, qui vient de paraître aux Éditions Saint-Martin.

Le plus surprenant, c’est que le phénomène s’observe surtout chez les «pure laine». «J’peux pas dire», «J’ai pas vraiment de modèle», «Malheureusement, zéro»; voilà ce que la nouvelle génération de pères nés au Québec de parents non immigrants a répondu. Curieusement, les femmes ont été nombreuses, de leur côté, à pouvoir mettre des visages sur les pères idéaux en chair et en os. Mais rarement nomment-elles leur propre conjoint… Le modèle existe, mais c’est «un voisin», «mon beau-frère», «un de mes oncles et mon grand-père», «le père d’un ami», «un collègue», etc.


La paternité abstraite

Que se passe-t-il donc avec les hommes? «Devenir père est une abstraction, signale Nathalie Dyke, qui achève une thèse de doctorat sur l’engagement parental à la Faculté des sciences de l’éducation. La plupart des hommes interrogés au cours de cette étude ainsi que dans le cadre de mes travaux de doctorat n’ont réalisé ce qui leur arrivait qu’au moment de l’accouchement. Certains, au moment de la première maladie infantile et quelques-uns n’en ont jamais totalement pris conscience. C’est- à-dire que, pour eux, la paternité est demeurée une abstraction.»

La sociologue Anne Quéniart, de l’Université du Québec à Montréal, a désigné quatre types de pères: il y a l’homme de famille (attaché aux valeurs traditionnelles, pourvoyeur), le nouveau père (on l’appelle aussi «homme rose»), le père téflon (un mélange des deux précédents) et le père décrocheur (il ne s’est jamais engagé ou a cessé de l’être). Prudente, la chercheuse ne précise pas le nombre de pères qui correspondent aux différentes catégories, mais elle rapporte une enquête de Santé Québec qui révèle que 25% des enfants de couples séparés n’avaient pas vu leur père au cours de l’année précédant l’entrevue.

Pour Nathalie Dyke, ce phénomène est inquiétant. «Dans le monde complexe que l’on connaît, les enfants ont plus que jamais besoin de leur père, dit-elle. Même séparés de leur conjointe, les pères doivent s’engager dans l’éducation de leurs enfants, particulièrement celle de leurs fils. Les garçons n’ont pas une image claire de ce qu’est un homme. Si leur père disparaît du paysage, où trouveront-ils leurs modèles?»
La chercheuse, elle-même mère d’un garçon de six ans, Antoine, constate à quel point son fils a besoin de son père, un véritable héros dans l’esprit du petit. Elle se réjouit du fait que son enfant partage son temps à peu près également entre la maison de son père, qui a reconstitué une famille depuis, et la sienne. «Je ne crois pas qu’on puisse être père un week-end sur deux.»


«Être parent, ça s’apprend»

L’échantillonnage de la recherche publiée récemment, d’une durée de trois ans sous la direction du psychiatre Jean-François Saucier, comprenait aussi bien des Vietnamiens que des Haïtiens immigrés en terre québécoise. Dans leur conclusion, les auteurs précisent qu’une tendance globale se dégage, peu importe l’origine des participants: «La famille contemporaine, quelles que soient sa couleur, sa forme, sa constellation, son histoire et ses représentations, semble vivre de plus en plus de tensions dans son rapport avec le social. Les nouveaux arrivants se plaignent de ne pas pouvoir vivre une vie de famille à la hauteur de leurs attentes et bien des couples québécois expriment les mêmes doléances.»

En entrevue, Nathalie Dyke confirme la chose: «Ce qui m’a frappée au cours de toutes ces interviews, dit-elle, c’est que la venue d’un enfant suscite un grand espoir. Les futurs parents souhaitent un bonheur immense pour leurs enfants. Ils disent que cette expérience fera d’eux de meilleures personnes. Ils seront plus empathiques, plus patients, plus solides quand leur enfant viendra au monde.»

Malheureusement, la réalité s’avère difficile. Et les réseaux d’entraide sont souvent défaillants, surtout dans les milieux urbains. «Il n’y a pas de savoir expert dans ce domaine. Mais ce que j’ai constaté au cours de mes recherches, c’est que plus les futurs parents ont un sentiment solide de leur identité, mieux ils réussissent leur adaptation à la nouvelle vie. Les gens qui ont une bonne reconnaissance professionnelle, par exemple, et qui aiment leur travail deviennent rarement des parents décrocheurs.»

Heureusement, devenir parent s’apprend, estime la chercheuse. Ce n’est pas par hasard que sa thèse a été rédigée à la Faculté des sciences de l’éducation. Toutefois, beaucoup de choses restent à construire dans notre société pour valoriser le rôle de parent, prétend-elle. Il faut notamment récuser la course à l’excellence et favoriser un rythme plus en accord avec la vie de famille, «la semaine de quatre jours, par exemple».

Mathieu-Robert Sauvé