Volume 36 numéro 10
6 novembre
2000


 


L’obésité: un problème de taille
Après cinq ans, les traitements diététiques ne fonctionnent que pour 5% des obèses, indique le Dr Dominique Garrel.

Les traitements contre l’obésité devraient prioritairement s’adresser aux jeunes, estime le Dr Dominique Garrel, directeur du Département de nutrition. Car cette condition accroît le risque de devenir diabétique et entraîne de nombreux problèmes, dont des troubles psychologiques.

Selon le Journal of the American Medical Association, le surplus de poids représente un problème de taille aux États-Unis: 300 000 décès seraient attribuables chaque année à l’obésité. Au Canada, où plus de huit millions d’habitants ont un excès de graisse, le coût annuel des traitements s’élève à 1,8 milliard de dollars, dont 850 millions au Québec. «Quatre-vingt-quinze pour cent des gens reprennent leur poids après un régime, affirme Dominique Garrel, endocrinologue à l’Hôtel-Dieu. D’où la difficulté de traiter l’obésité.»

Un nouveau médicament anti-obésité apporte de l’espoir dans cette lutte contre l’embonpoint dont souffrent la moitié des Canadiens âgés de 40 ans et plus. Une réserve toutefois: le Xenical est prescrit seulement aux personnes atteintes d’hypertension ou de diabète et qui ont un indice de masse corporelle (IMC) au-dessus de 27. Pour une femme qui mesure 1,50 m et pèse 60 kg, cela signifie que son poids est légèrement au-dessus de la normale, son IMC étant de 26.6 (voir l’encadré).

«Il n’existe pas de pilule miracle, prévient le Dr Garrel. Le Xenical doit être accompagné d’un plan alimentaire. C’est néanmoins le seul produit, efficace et inoffensif, qui réduit l’absorption intestinale des graisses plutôt que de couper l’appétit. Il a été démontré que ce traitement entraîne une perte de poids significativement plus grande qu’un placebo. Mais on ne connaît pas encore l’accélération de l’amaigrissement ni le taux de succès du médicament sur cinq ans.»

Au-delà de cette période, les traitements diététiques habituels ne fonctionnent que pour cinq pour cent des obèses, signale Dominique Garrel. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’y a pas d’études concluantes qui prouvent que la perte de poids augmente l’espérance de vie. Sauf dans le cas du diabète. Plusieurs autres maladies comme les défaillances cardiaques, l’hypertension et l’hypercholestérolémie répondent aussi positivement à une diminution du tour de taille. Car sans en être la cause directe, l’embonpoint peut avoir des effets nocifs sur la tension artérielle et risque d’accroître le taux de mauvais cholestérol dans le sang.

Certains chercheurs disent même que le simple fait de manger moins entraîne des avantages pour la santé. C’est l’opinion du Dr Garrel. Mais pour le nouveau directeur du Département de nutrition, diminuer la consommation de nourriture ne suffit pas, il faut aussi augmenter la dépense d’énergie.


Une situation qui dégénère

L’obésité se définit comme un excès de graisses corporelles stocké dans les tissus adipeux sous forme de triglycérides. Un individu qui veut maintenir son poids doit dépenser au moins 300 calories par jour dans une activité comme la marche, la natation ou le golf. Une demi-heure intensive de bicyclette, par exemple, permet de brûler de 200 à 280 calories. Marcher durant la même période, de 80 à 120; cuisiner ou repasser, de 60 à 110; lire, de 15 à 25. Et pour ce qui est de regarder un film... Lorsqu’on regarde la télévision, notre métabolisme descend plus bas que lorsqu’on s’adonne à la lecture, fait remarquer le médecin. Et souvent ce passe-temps est accompagné d’un sachet de chips!

Pour expliquer l’incidence de l’obésité, l’endocrinologue se garde bien de montrer du doigt les mauvaises habitudes alimentaires et la consommation excessive de nourriture. La sédentarité, selon lui, est le principal facteur. «La restauration rapide et l’excès de consommation d’aliments ne sont pas en cause, dit-il. Selon une enquête menée par le ministère de la Santé et des Services sociaux, la population québécoise a, en général, de bons comportements alimentaires.» Le spécialiste cite également une autre étude qui démontre que les Québécois ne mangent pas davantage aujourd’hui qu’il y a 15 ans.

«Nous vivons dans une société d’abondance où il est facile de trop manger, admet-il. Les gens doivent apprendre à se peser régulièrement et à corriger leur poids. Car seulement 100 calories en trop par jour entraînent un gain de un kilo au bout de trois mois. Cela représente une quinzaine de kilos superflus à 40 ans. La meilleure façon de rester mince est de manger sainement et de faire régulièrement de l’exercice.»

De plus en plus, les experts considèrent l’obésité comme un problème de santé publique grave. Le phénomène est courant chez les jeunes. En Amérique du Nord, 40% des enfants ont un excès de poids.


Allez jouer dehors!

En 20 ans de pratique, Dominique Garrel a constaté une dégradation de la situation. L’endocrinologue reconnaît les bienfaits des nouvelles technologies, mais il presse les parents d’exercer un contrôle sur les sources de divertissement qui favorisent la sédentarité. «Les enfants ont une vie de moins en moins active, observe le médecin. Ils passent en moyenne 26 heures par semaine devant la télévision ou l’ordinateur au lieu d’aller jouer dehors. Et c’est sans compter le temps passé assis en classe. Un jeune qui a grandi avec l’habitude de pratiquer un sport a plus de chances de demeurer actif à l’âge adulte.»

S’il s’inquiète de l’inactivité grandissante de la jeunesse québécoise, c’est que plus l’obésité survient de façon précoce, plus le risque de devenir diabétique s’accroît. «Le diabète de type 2, qui est la principale complication de l’obésité, est une maladie qui se développe au fil des ans, explique le Dr Garrel. Une personne obèse à 40 ans peut atteindre la soixantaine sans avoir une quantité anormale de glucose dans le sang. Elle risque moins de souffrir de diabète qu’un jeune qui a 20 kg de trop. Dans ce cas, le risque de devenir diabétique est multiplié par 20.»

Le diabète de type 2, qui est caractérisé par une résistance de l’organisme à l’insuline, survient généralement après 45 ans. Depuis une vingtaine d’années, la communauté scientifique note une augmentation de cette forme de diabète chez les adolescents et les jeunes adultes. Le phénomène, qui suscite une préoccupation croissante, semble lié à la sédentarité et à la mauvaise alimentation: plus de 80% des diabétiques de type 2 souffrent d’obésité (voir Forum du 11 septembre 2000).

Selon l’Organisation mondiale de la santé, le problème est d’autant plus alarmant qu’il est planétaire: certaines régions du monde comme les îles du Pacifique et le Moyen-Orient ont des prévalences d’obésité qui dépassent celles des pays industrialisés. L’idée que les personnes obèses viennent d’un milieu socioéconomique défavorisé est-elle surestimée? Les classes sociales défavorisées sont les plus atteintes par l’obésité, répond Dominique Garrel, mais le fléau touche tout le monde. Et les facteurs biologiques?

«C’est sûr qu’il y a des facteurs héréditaires, souligne le Dr Garrel. Les enfants d’individus obèses courent deux fois plus de risques de souffrir d’obésité, notamment à cause des habitudes de vie. Mais les perturbations physiologiques résultant de troubles endocriniens ou glandulaires sont rarement responsables de cette condition.»

Dominique Nancy


C’est le tour de taille qui compte!
À 38 ans, Jean-Louis a un poids et un indice de masse corporelle (IMC) normaux, mais il a un tour de taille supérieur à 90 cm. Sa santé est-elle en jeu? «Oui, répond Dominique Garrel, endocrinologue à l’Hôtel-Dieu. Le tour de taille d’un individu est davantage relié aux risques de problèmes médicaux que l’IMC.»

La mesure de l’état de santé d’une personne par l’IMC — résultat de la simple division de son poids par sa taille au carré — n’est valable que pour l’ensemble d’une population, selon le Dr Garrel. Un indice inférieur à 18,5 définit un état de maigreur et un indice supérieur à 25, un surpoids. Au-delà de 30, on parle d’obésité.

Mais la mesure n’est pas infaillible. Par exemple, un athlète peut avoir un IMC de 27 et très peu de graisse. Cela dit, les gens qui ont un IMC entre 25 et 30 ont, en général, de 10 à 20 kg en trop, indique l’endocrinologue. On parle d’obésité morbide lorsque l’IMC s’élève à 40. «La mesure a alors une réelle valeur, affirme le Dr Garrel, puisque aucun individu n’a un tel indice de masse corporelle parce qu’il est musclé.»

D.N.