Volume 36 numéro 10
6 novembre
2000


 


Aider les filles pour contrer le décrochage des garçons
Regrouper dans des classes spéciales les enfants à trouble de comportement aggraverait leurs problèmes, estime Richard Tremblay.

«L’élément déterminant du décrochage des garçons est la scolarité de la mère», affirme Richard Tremblay.

Notre système scolaire fait fausse route en cherchant à contrer le décrochage des garçons par des interventions à court terme directement auprès des décrocheurs. Il faut plutôt diriger les efforts vers le rehaussement à moyen terme du niveau de scolarité des filles. C’est la position apparemment paradoxale qu’a soutenue Richard Tremblay à la Journée de réflexion sur l’abandon scolaire, organisée par le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) le 27 octobre dernier.

Professeur au Département de psychologie et titulaire de la Chaire sur le développement de l’enfant, Richard Tremblay a présenté de nombreux résultats d’études effectuées tant en Angleterre et aux États-Unis qu’en France ou au Canada, et qui montrent l’existence d’un lien entre le niveau d’instruction d’une part et, d’autre part, la santé, la taille, l’employabilité et l’espérance de vie.

Ses propres travaux, poursuivis depuis 1984 avec le Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant auprès d’une même cohorte de 1000 garçons de milieux défavorisés, révèlent que le meilleur élément prédictif de décrochage scolaire, mis à part l’agressivité, est la scolarité de la mère.

«Quarante-huit pour cent des garçons dont la mère n’a pas terminé son secondaire abandonnent eux aussi l’école avant la fin du secondaire, précise-t-il. Chez les mères qui ont une scolarité universitaire, le taux de décrochage des garçons baisse à 23%. Pour les filles de ces deux mêmes catégories de mères, l’abandon scolaire passe de 33% à moins de 5%.»

Une autre cohorte d’enfants nés en 1998 montre que 25% des fils de mères sans diplôme d’études secondaires (D.E.S.) présentent un taux d’agressivité plus élevé que la normale dès 17 mois; chez les mères titulaires d’un D.E.S., le taux d’enfants considérés comme agressifs n’est que de 10%. De plus, 35% des mères sans D.E.S. connaissent des états dépressifs importants, ce qui influe sur l’éducation des enfants.

En Angleterre et aux États-Unis, des études ont déjà mis au jour un lien entre l’occupation du père et la taille, la santé et la persévérance scolaire de l’enfant. Sans rejeter ces études, Richard Tremblay soutient toutefois que la transmission intergénérationnelle de ces éléments passe davantage par la mère que par le père.

Le lot des jeunes filles peu scolarisées serait les grossesses précoces, la monoparentalité, les familles perturbées, le chômage et la dépression. «La mère transmet sa trajectoire à l’enfant», affirme le chercheur, ce qui alimente un cercle vicieux.


Prévision et prévention

L’étude longitudinale de Richard Tremblay indique également que seulement 30% des garçons de sa cohorte ont terminé leur secondaire à 17 ans comme le prévoit le cheminement normal.

Ce haut taux de décrochage est selon lui prévisible. «Chez les enfants qui ne souffraient d’aucun problème comportemental à la maternelle, seulement 16% en ont développé un au primaire. Mais 69 % des enfants qui présentaient de multiples problèmes à la maternelle ont développé des troubles de comportement au primaire. Les enfants arrivent à la maternelle avec une histoire et cette histoire est déterminante», affirme-t-il, rejetant la vision voulant que les enfants soient sur le même pied à leur entrée à l’école.

«Le pic de l’agressivité se situe autour de l’âge de deux ans et diminue par la suite sous l’effet de la socialisation. Si l’apprentissage du contrôle de l’agressivité n’est pas fait, des problèmes d’attention, d’hyperactivité, de rejet, d’abandon et de retard cognitif surviennent.» Et les mères sont encore principalement celles par qui passe ou ne passe pas cette socialisation.

Le professeur se montre donc étonné qu’il n’y ait pas d’évaluation comportementale des enfants dès la maternelle puisqu’on pourrait y déceler une éventuelle délinquance et un décrochage potentiel, et même les prévenir.

Une expérience menée auprès d’un sous-groupe de la cohorte de 1984 a en effet montré que l’abandon scolaire pouvait être réduit de moitié par des interventions appropriées auprès des enfants à risque et en fournissant aux parents et enseignants les ressources psychopédagogiques nécessaires.

Par contre, le niveau d’agressivité des enfants à problèmes multiples a significativement augmenté chez ceux qui ont été placés dans des classes spéciales ou qu’on a fait redoubler. «Le redoublement a des conséquences négatives sur le développement intellectuel de ces enfants et la pire chose est de les isoler dans des groupes à part.»

Le professeur ignore cependant l’effet que l’intégration des enfants à trouble de comportement dans les classes normales peut avoir sur les autres élèves.

Pour prévenir le décrochage, il lui apparaît donc essentiel d’investir dans la petite enfance, avant que les problèmes deviennent irréversibles. Et comme le déterminant principal est l’éducation de la mère, «la meilleure prévention à long terme contre le décrochage des garçons réside dans l’investissement auprès des jeunes filles», conclut Richard Tremblay.

Daniel Baril