Volume 35 numéro 9
30 octobre
2000


 


Une odeur de découverte
Le dermatologue Antranik Benohanian a mis au point un produit contre la sudation abondante.

Le pharmacien Yetvart Paylan tient dans sa main un pot de 50 gr du produit contre la sudation excessive mis au point par le Dr Antranik Benohanian, dermatologue à l’hôpital Saint-Luc du CHUM.

À la veille de subir une chirurgie pour éliminer son problème de transpiration excessive (phénomène appelé «hyperhidrose»), une jeune femme de 28 ans consulte en dernier recours le Dr Antranik Benohanian. Le dermatologue de l’hôpital Saint-Luc du CHUM a alors l’idée de lui prescrire du chlorure d’aluminium dans un gel hydroalcoolique salicylé. Quelques jours plus tard, la sudation de la patiente est sous contrôle et l’intervention chirurgicale est annulée.

«Le chlorure d’aluminium, généralement associé à une solution d’éthanol dans les produits antihyperhidrose, est très asséchant et peut parfois causer des irritations intolérables, souligne le Dr Benohanian. Quant à l’acide salicylique en gel, plus doux et mieux toléré, il était utilisé dans le traitement de l’acné du thorax il y a 20 ans. J’ai simplement eu l’intuition de mettre le chlorure d’aluminium dans ce gel plutôt que dans l’alcool. Ces deux produits n’avaient jamais été combinés. Il ne restait plus qu’à modifier les concentrations selon la région affectée, la gravité du cas et la tolérance de la patiente.»

Ce qu’il ne dit pas, c’est que sa découverte fait de plus en plus parler d’elle. Un article paru l’année dernière à la une du Medical Post rapportait le taux de succès élevé de la formule élaborée par le dermatologue: 90% pour l’hyperhidrose aux aisselles, 80% pour celle aux pieds et 60% pour la sudation excessive des mains. Depuis, des confrères médecins lui envoient chaque semaine des dizaines de cas similaires. Mais comment s’explique un si bon résultat?

«Le chlorure d’aluminium a des propriétés antisudorifiques bien connues, mais il est trop acide pour un usage général. C’est pourquoi il n’est pas utilisé dans la fabrication des antisudorifiques habituels, explique le Dr Benohanian. Le gel d’alcool, moins irritant qu’une solution hydroalcoolique, est un produit idéal pour contenir le chlorure d’aluminium. Combiné à l’acide salicylique, il facilite l’absorption du chlorure d’aluminium par la peau, même dans les régions des mains et des pieds où la couche cornée empêche normalement l’accès aux glandes eccrines. L’hyperhidrose est mieux contrôlée parce que l’acide salicylique est aussi un agent qui atténue la sécrétion de la sueur.»


Comme un thermostat

La transpiration est un phénomène naturel qui permet à notre corps de maintenir une température au-dessous de 37,4 ¼C. Lorsque la température corporelle dépasse un certain degré, l’hypothalamus, siège des récepteurs thermosensibles, envoie l’information au cortex. Le cerveau ordonne alors au système nerveux sympathique d’activer les trois millions de glandes eccrines situées un peu partout sur le corps.

«On parle d’hyperhidrose lorsque la quantité de sueur produite par les glandes eccrines s’élève au-delà du volume requis pour la thermorégulation, affirme le dermatologue. Ce dérèglement affecte environ 1% de la population. Dans 90% des cas, l’affection est située aux aisselles, dans la paume des mains et sur la plante des pieds.
L’hyperhidrose plantaire s’accompagne souvent de bromidrose, caractérisée par la présence de bactéries qui agissent sur la sueur et provoquent la mauvaise odeur.»

La sudation abondante à ces endroits est appelée «hyperhidrose primaire», localisée ou parfois même émotionnelle, car elle est plus souvent déclenchée par l’anxiété et la peur que par une élévation de la température ambiante, ajoute le Dr Antranik Benohanian. L’hyperhidrose généralisée, beaucoup plus rare, est habituellement le signe d’une maladie sous-jacente: diabète sucré, cancer, défaillance cardiaque, etc.

Pour l’instant, on ne connaît pas encore très bien la physiopathologie de la transpiration abondante. L’hyperhidrose est un domaine encore peu étudié et beaucoup de questions demeurent sans réponses. Selon le dermatologue, il pourrait s’agir d’un problème génétique, car la majorité des personnes qui en souffrent font état d’antécédents familiaux.


La gratitude lui suffit

«Il n’existe aucun mot pour décrire comment je me sens. Le produit du Dr Benohanian m’a transformée. Après seulement deux applications, le miracle s’est produit: ma transpiration abondante aux aisselles a cessé. Une nouvelle vie commence pour moi, car maintenant je suis bien dans ma peau», confie à Forum Jeanne Bélanger.

Des témoignages comme celui-là, le Dr Benohanian en reçoit chaque semaine. C’est que l’hyperhidrose est un handicap gênant, parfois invalidant, qui peut causer préjudice et inconfort à l’individu. Sans compter les coûts liés à l’usure accélérée des vêtements par la sueur acide et les risques d’engelures aux pieds en hiver.

Pourtant, les gens qui en sont atteints hésitent souvent à consulter un médecin. Seules les personnes souffrant d’une forme grave d’hyperhidrose cherchent une solution à leur problème. Mais les traitements reconnus sont peu nombreux et parfois très coûteux.

Mme Bélanger en sait quelque chose. Cette dame âgée de 53 ans, qui utilise depuis quelques mois la formule mise au point par le Dr Benohanian, a essayé au cours des 12 dernières années divers produits sur le marché. «J’étais moi-même crédule devant les bienfaits de ce “gel miracle”. Mais au bout de quelques semaines, j’ai dû me rendre à l’évidence: le gel est de beaucoup supérieur à tous les autres produits, notamment pour ce qui est de l’efficacité, de l’économie de temps et du prix.»

Le dermatologue a-t-il pensé à faire breveter sa découverte? «J’y ai déjà songé, mais, étant donné la faible prévalence de l’hyperhidrose, je ne sais pas si cela serait rentable pour une compagnie pharmaceutique. De toute façon, je ne suis pas un entrepreneur. L’important, c’est le bien-être de mes patients. Leur gratitude est plus que suffisante!»

Le Dr Benohanian a tout de même demandé au fabricant du gel de produire la préparation à grande échelle, mais la commercialisation n’a pas été autorisée par Santé Canada, car le produit n’avait pas fait l’objet d’une étude clinique. Depuis, les résultats concluants d’une recherche scientifique ont été publiés dans l’æ

Une société pharmaceutique américaine s’intéresse à la découverte et tente de commercialiser le produit.

Dominique Nancy


Faut-il cacher ou éliminer les odeurs?
«Quatre-vingt-dix pour cent des adultes se servent quotidiennement d’un produit cosmétique sous leurs aisselles. Aux États-Unis, les antisudorifiques et les déodorants constituent la troisième classe en importance parmi les produits destinés aux soins personnels, après les savons et les shampoings. La vente de ces produits atteint plusieurs milliards de dollars.»

Pour le Dr Antranik Benohanian, dermatologue à l’hôpital Saint-Luc du CHUM, le marketing des odeurs mène la population par le bout du nez. En témoigne l’utilisation abusive des déodorants et antisudorifiques. Avec une bonne hygiène, dit-il, on n’a pas besoin de ces produits. En tout cas, pas plus d’une fois par semaine. C’est que la sueur, activée par les glandes eccrines situées un peu partout sur le corps, ne sent rien! L’odeur fétide qui, parfois, peut se dégager sous les aisselles et les pieds est causée par l’action des bactéries sur la sueur. Un problème qui est facilement enrayé avec du savon.

Mais la société actuelle tolère de moins en moins les mauvaises odeurs — pas plus que l’inconfort et la laideur d’ailleurs. D’où la vogue des antisudorifiques et déodorants. Comment agissent ces produits? «Les déodorants sont des produits conçus pour diminuer ou supprimer l’odeur. On utilise un agent antimicrobien pour combattre l’odeur ou encore un parfum pour la masquer, explique le dermatologue. Les antisudorifiques atténuent la sécrétion de la sueur en créant un bouchon qui bloque le processus de transpiration. Ce bouchon est essentiellement composé de sels à base d’aluminium.»
Le chlorhydrate d’aluminium existe dans la plupart des antisudorifiques vendus sur le marché, ajoute le Dr Benohanian. Sa concentration est plus élevée dans les antisudorifiques que dans les déodorants.

D.N.