Volume 35 numéro 6
2 octobre 2000


 


L’Alliance canadienne et la représentation électorale
Selon Louis Massicotte, il faut être prudent dans l’évaluation de la popularité du leader Stockwell Day.

Selon Louis Massicotte, professeur au Département de science politique, le vote demeure très régionalisé au Canada.

La venue en scène de l’Alliance canadienne et la disparition, en quelques semaines, de son prédécesseur, le Parti réformiste, constituent un changement important du contexte politique au Canada. Mais qu’en est-il sur le plan de la représentation électorale? Louis Massicotte, professeur au Département de science politique de l’Université de Montréal, n’y voit aucun écart par rapport au système fédéral. «Les partis ont le droit de se former librement. Ce n’est pas du tout illégitime», dit-il. Il situe actuellement à 25% le taux de popularité de la formation de Stockwell Day; les opposants à l’Alliance ne lui accorderaient que 19% d’appuis de la part de l’électorat canadien.


Représentation électorale

Sur le plan sociologique, la représentation électorale se définit comme un résultat électoral offrant un nombre de sièges proportionnel au vote populaire. On se préoccupe aussi de savoir si le parti élu compte autant de femmes que d’hommes, si tous les groupes d’âge de même que les minorités ethniques sont bien représentés. Au point de vue politique, la représentation électorale s’appuie sur le fait que, peu importe qu’il y ait une représentation féminine parmi les députés, ceux-ci doivent avoir été élus par l’ensemble de la population. «Une vision de plus en plus battue en brèche», signale cependant le politologue.

La Chambre des communes compte actuellement 301 députés. Ils doivent avoir été élus, suivant le nombre de voix le plus élevé, indépendamment du nombre d’électeurs dans chaque circonscription. À titre d’exemple, au scrutin de 1997, on comptait 91 867 électeurs dans la seule circonscription de Berthier-Montcalm, dans la région de Lanaudière, alors que celle du Nunavut ne regroupait que 12 114 électeurs.
La représentation électorale peut parfois donner lieu à des surprises. Au Québec, au scrutin de 1998, le chef libéral Jean Charest a recueilli plus de voix que le premier ministre Lucien Bouchard. Par contre, le vote libéral trop concentré dans les circonscriptions anglophones a mené à la défaite du PLQ qui, en bout de ligne, a raflé moins de sièges. Même chose en 1966, lorsque le chef du Parti libéral, Jean Lesage, avait dû concéder la victoire à son adversaire unioniste Daniel Johnson, à la surprise générale. «Nous sommes la société occidentale où ce fait s’est produit le plus souvent», indique Louis Massicotte.

La carte électorale restera inchangée aux prochaines élections fédérales. Le site Internet d’Élections Canada indique que près de 60 circonscriptions ont changé de nom depuis avril 1997. C’est plutôt l’électeur qui devra revoir ses choix. «Il ne pourra pas reprendre mécaniquement son vote des dernières élections. Ça l’obligera à s’informer», soutient le professeur.


La montée de l’Alliance canadienne

Pour Louis Massicotte, la capacité, pour l’Alliance canadienne, de rogner sur la majorité du Bloc québécois ou du Parti libéral pourrait changer la donne. «C’est la grande question. Pour l’instant, les libéraux semblent avoir résisté au choc, puisqu’ils recueillent toujours 43% des intentions de vote des Canadiens. Mais il ne faudrait pas que le pourcentage glisse sous cette barre.»

Une fois l’effet de surprise passé, le chef de l’Alliance, Stockwell Day, devra faire ses preuves. «Il est vulnérable à ce chapitre. Je crois que les libéraux vont insister là-dessus. Si M. Day propose des idées nouvelles sur le plan fiscal, sa position sur l’avortement risque de faire plus de “flammèches”. Mais à mon avis, ce n’est pas un homme d’extrême droite.» Néanmoins, Louis Massicotte ne croit pas que l’Alliance canadienne effectuera une percée significative au Québec.


Échiquier politique inchangé

En fait, rappelle le professeur, le vote demeure très régionalisé au pays. «J’ai recommandé le vote proportionnel parce qu’au sein du système actuel il se crée une polarisation officielle. Le mode de scrutin donne l’impression que le pays est divisé. En réalité, il l’est moins qu’il n’y paraît. Le contexte politique est “gelé” depuis 1993. Depuis que Jean Chrétien est au pouvoir, le PLC se maintient en avance dans les sondages. C’est exceptionnel sur le plan historique.»

Est-ce que le remplacement de Jean Chrétien par Paul Martin renforcerait le suffrage libéral? «Ça ferait grand plaisir à un tas de gens», répond le politologue, tout en émettant une réserve. Hypothétiquement, la perspective est invitante, mais dans les faits les observateurs pourraient commencer à trouver des défauts au ministre des Finances. Il rappelle l’exemple de la première ministre Kim Campbell, portée aux nues après la démission de l’ancien premier ministre Brian Mulroney, en 1993, mais qui a mené le Parti conservateur à l’une des plus cuisantes défaites de son histoire.


Les campagnes électorales du 21e siècle

À la différence des campagnes électorales d’autrefois, où le contact direct et personnel prédominait, les campagnes d’aujourd’hui se fondent grandement sur les moyens de communication. «Elles se font à la télévision par le biais de messages publicitaires. C’est une politique de l’image, basée souvent sur la couleur de la chemise du chef. De plus, les débats des chefs sont importants parce que les enjeux sont considérables. Si l’un des hommes politiques réalise une mauvaise performance, la tension est grande. Enfin, les journalistes sont plus nombreux et plus critiques qu’auparavant. La relation entre eux et les hommes politiques est plus hostile; la presse est un adversaire coriace.»

À la décharge des journalistes, Louis Massicotte souligne que les partis politiques doivent rendre des comptes à la population beaucoup plus que par le passé. Dans certains cas, une image écorchée peut aussi révéler de profondes lacunes. La presse a abondamment commenté le bonnet qu’a coiffé Gilles Duceppe au cours de la campagne électorale de 1997. Mais de l’avis du politologue, elle a aussi levé le voile sur une tournée qui «n’avait pas été préparée de façon experte», sans oublier le fait que Lucien Bouchard n’était plus à la tête du parti. Outre la personnalité du chef, le politologue précise que la victoire d’un parti repose sur la plateforme électorale et sur les candidats locaux.


Enjeux de la prochaine campagne

Selon M. Massicotte, il faudra surveiller l’intervention des tiers partis au prochain scrutin, prévu vraisemblablement au printemps 2001. «Ces groupes de pression profitent d’un trou dans la loi électorale pour faire entendre leur voix.» Au cours de la campagne de 1988, le milieu des affaires dans tout le pays avait diffusé des messages pour inciter la population à voter en faveur du libre-échange. «La législation stipule que ces groupes ont le droit d’agir ainsi, mais qu’ils sont soumis à une limite. Cette restriction est justifiée. Il se pourrait que la Cour suprême, qui ne s’est pas encore prononcée sur la question, tranche en faveur du gouvernement fédéral.»

Le prochain scrutin fédéral s’appuiera par ailleurs sur le programme des partis et sur la performance de Stockwell Day. «Jean Chrétien pourrait s’en tirer un peu mieux qu’on pense», estime le professeur. À ses yeux, le vote régionalisé profite actuellement au Parti libéral.

La disparition possible du Parti conservateur pourrait aussi réserver des surprises. «Mon collègue André Blais est formel sur ce point: le second choix des conservateurs va aux libéraux en raison de leur vision de l’ensemble du pays et non à l’Alliance canadienne, dont les préoccupations sont beaucoup plus liées à celles de l’Ouest canadien», conclut le politologue.

Marie-Josée Boucher
Collaboration spéciale