Volume 35 numéro 6
2 octobre 2000


 


Jouer du violon en montant les escaliers
Jean-François Rivest apprend à ses étudiants à devenir des musiciens autonomes.

Jean-François Rivest apprend à ses étudiants à devenir des musiciens autonomes.
Dans la vie de tous les jours comme sur scène, le professeur et chef d’orchestre Jean-François Rivest a le geste expressif.

Selon le violoniste et chef d’orchestre Jean-François Rivest, un musicien doit maîtriser son instrument au point où il lui est possible d’avoir une conversation tout en jouant. Pour y parvenir, les étudiants du professeur Rivest sont soumis à des acrobaties particulières. Ils apprennent, par exemple, à marcher et à jouer du violon en même temps. À une étape plus avancée, ils doivent pouvoir monter et descendre les escaliers en interprétant des oeuvres de Paganini. Un bourreau, Jean-François Rivest? Pas vraiment, car ses étudiants lui ont décerné le Prix d’excellence en enseignement en 1998.

«Cela peut sembler simple, mais il n’en est rien, affirme le professeur de la Faculté de musique. Ces exercices engendrent beaucoup de tension. D’où leur pertinence. Un musicien qui possède une bonne technique a moins tendance à paniquer avant un concert ou lorsque survient un trou de mémoire. Le contrôle de la nervosité doit être appris très tôt au cours de la formation. Une des façons d’y arriver est de programmer son cerveau à faire deux choses à la fois.»

Depuis une dizaine d’années, M. Rivest observe une augmentation accrue des tendinites chez les apprentis musiciens. À son avis, la fréquence de ces inflammations d’un tendon atteste du niveau de stress des jeunes d’aujourd’hui. Ils se préoccupent beaucoup de leur avenir. Il faut dire qu’une carrière artistique exige une disposition particulière à jouer du coude en plus de l’archet. Il en va de même pour les difficultés financières.

«Très peu d’étudiants sont toutefois prêts à manger des nouilles et du beurre d’arachide pour s’acheter des partitions musicales, comme nous le faisions dans mon temps.» Sont-ils moins idéalistes? Disons plus matérialistes, précise le musicien.


Il joue sur toute la gamme

Apprendre la musique représente une exception dans les établissements d’enseignement. Dans cette discipline, le maître entre en relation avec un seul étudiant à la fois. Cet aller-retour, direct et constant, entre les apports de l’étudiant et ceux du professeur est essentiel, dit Jean-François Rivest, car il n’y a rien de plus solitaire au monde que l’apprentissage d’un instrument.

Voilà pourquoi il insiste pour que ses étudiants deviennent des musiciens autonomes. Cela est parfois difficile pour les jeunes musiciens habitués à recevoir des conseils particuliers pour chaque doigté. Mais le directeur artistique et chef de plusieurs orchestres, dont ceux de l’Université de Montréal (OUM) et de Laval ainsi que des Thirteen Strings d’Ottawa, estime vital de mettre l’accent sur le développement de la créativité et du sens critique. Ce sont des qualités indispensables à l’épanouissement de l’autonomie d’un artiste, déclare M. Rivest.

On n’a guère d’échos de maestros et de professeurs de violon plus accomplis. En témoignent ses nombreux engagements et distinctions: musicien permanent à l’Orchestre symphonique de Montréal de 1980 à 1985; lauréat de quatre premiers prix du Conservatoire; fondateur et chef d’orchestre de plusieurs ensembles; membre de nombreux jurys de thèses et de récitals de fin d’études; responsable du programme des cordes et de la mise sur pied de nouveaux programmes en interprétation.

Le professeur Rivest a aussi composé de la musique de film et de chambre, notamment pour deux productions de l’ONF, et une pièce pour le Quatuor Alcan. Sa discographie, qui s’enrichit chaque année, comprend actuellement une dizaine de titres. Il a été, par ailleurs, très engagé dans les orchestres communs de l’Université de Montréal et du Conservatoire. L’OUM a beau avoir une vocation pédagogique, sous la direction de son dynamique chef, ses concerts font salle comble. Et chaque fois, la baguette de M. Rivest suscite les éloges de l’exigeant critique musical de La Presse, Claude Gingras.

«C’est sur la scène que je satisfais mon ego, avoue Jean-François Rivest, mais l’enseignement tient aussi une place importante dans ma vie professionnelle.»
Pédagogue très apprécié, il sait canaliser l’enthousiasme et l’énergie des débutants avec un talent remarquable et sa méthode d’apprentissage du violon est connue dans le milieu. «Il y a des variantes qui dépendent de la personnalité de l’enseignant, mais mon approche est traditionnelle.»


Recoupement de différentes expériences

«Entre la recherche, les cours, les répétitions et les concerts, je n’ai pas le temps d’aller chercher les étudiants dans le corridor et de les obliger à s’exercer. Ils doivent accomplir par eux-mêmes une grande partie de leur apprentissage. Mais je leur fournis les outils nécessaires pour y arriver.»

Ainsi, en plus des rencontres individuelles avec ses nombreux étudiants, il a élaboré un cours de groupe qu’il donne chaque semaine. À la difficulté de faire face à un public s’ajoute la différence de niveaux. Mais les étudiants ne perçoivent pas ce surplus de travail négativement. D’autres musiciens se joignent d’ailleurs souvent à la classe tant l’expérience est enrichissante. C’est que le cours ne sert pas seulement à approfondir leurs connaissances de la technique violonistique, indique Jean-François Rivest. C’est aussi une manière de les initier à jouer devant un public et de leur permettre de mieux se situer dans leur cheminement.

Chaque année, sa classe donne au minimum une douzaine de concerts, incluant les récitals de fin d’études. Dès son entrée en fonction à l’Université, en 1992, le professeur a également jugé nécessaire d’offrir à ses étudiants une expérience de musique d’orchestre. D’où la fondation de l’OUM.

«L’apprentissage, c’est un peu comme un kaléidoscope: l’information provient de différentes sources. Avant de pouvoir s’en servir, l’étudiant doit l’intégrer et la synthétiser, explique M. Rivest. Ce processus s’effectue par le recoupement de différentes expériences. C’est une approche qui remonte au temps de Vivaldi.»

Dominique Nancy