Volume 35 numéro 2
5 septembre
2000


 


Claude Minotto et la mémoire institutionnelle
La Division des archives négocie le virage technologique.

Claude Minotto

Pendant qu’il travaillait sur son mémoire de maîtrise en histoire, Claude Minotto avait presque perdu espoir de mettre la main sur des témoignages du capitaine Joseph Elzéar Bernier relatant ses expéditions dans le Grand Nord canadien entre 1904 et 1925. C’est alors qu’il entend parler d’un fonds d’archives cédé par la succession de l’explorateur au Collège de Lévis et d’autres archives déposées au séminaire de Trois-Rivières. «Les journaux de voyage et les documents photographiques et cinématographiques que j’y ai trouvés m’ont absolument passionné, dit le directeur de la Division des archives de l’Université de Montréal. J’ai passé des jours et des nuits à éplucher ces archives.»

Les recherches de M. Minotto ont suscité beaucoup d’intérêt, bien au-delà du Département d’histoire de l’Université McGill. Au début des années 1970, le pétrolier américain Manhattan avait provoqué un incident diplomatique au Canada en pénétrant dans ses eaux arctiques. Les autorités avaient donc tout intérêt à connaître et à faire connaître la souveraineté canadienne sur le territoire, notamment grâce aux voyages du capitaine Bernier. Les pellicules de nitrate retrouvées au Collège de Lévis ont livré des images saisissantes du Grand Nord, témoignant des activités des explorateurs et de leurs contacts avec les autochtones au début du siècle.

Aujourd’hui, M. Minotto ne se consacre plus directement aux recherches en histoire, mais sa fonction consiste à offrir aux usagers de son service les meilleures conditions pour mener leurs travaux. «Je sais ce que ça peut être de plonger dans des boîtes de documents, dit-il. Quand un fonds d’archives est bien organisé, la recherche est tellement agréable et efficace!»


Conservation et diffusion
Après avoir travaillé dans différents services d’archives (dont les Archives nationales du Canada et les Archives nationales du Québec) et consacré deux ans et demi à la coopération interuniversitaire en Afrique, M. Minotto a été embauché par l’Université de Montréal en septembre 1999 en raison de sa solide expérience pratique. Les défis de la Division des archives sont multiples, au moment où les archives informatiques s’imposent et où la numérisation des documents se développe, alors que les documents de papier abondent encore. De plus, tout établissement doit conserver les originaux, qui ont une valeur patrimoniale intrinsèque.

Tenus par la Loi sur les archives (adoptée en 1983) de préserver de l’oubli les documents institutionnels d’intérêt durable, les archivistes comme M. Minotto doivent quotidiennement jongler avec le passé et l’avenir. Ils sont bien entendu attirés par la numérisation de nombreux documents, qui peuvent s’y prêter, mais ils doivent être certains que les systèmes informatiques de demain seront capables de décoder les fichiers. «Un service comme le nôtre a trois fonctions principales, explique le directeur: conservation, traitement et diffusion des archives. La numérisation, c’est excellent pour la diffusion, car avec Internet on peut faire connaître des documents à une clientèle immense. Mais il y a des craintes sur le plan de la fiabilité de conservation. On doit d’abord s’assurer que les appareils de demain pourront lire les fichiers qu’on crée aujourd’hui.»

Encore utilisé quotidiennement dans la plupart des services d’archives, le microfilm demeure un moyen de conservation plus sûr, mais il perd des points au chapitre de la diffusion. Un chercheur européen qui veut lire une thèse conservée à l’Université de Montréal sur microfilm n’aura pas à se déplacer s’il peut la télécharger en quelques clics.

Tout utilisateur d’outils informatiques sait que les supports et logiciels évoluent tous les cinq ans. Ainsi l’usager prévoyant qui a déposé des documents importants sur une disquette dans son coffret de sûreté pour les garder à l’abri du vol ou des virus aura peut-être la surprise de constater que son micro-ordinateur sera incapable de les lire en 2010. La question se pose à une échelle décuplée dans un service tenu par son établissement et par la loi de conserver des centaines de milliers de documents.


24,000 boîtes

Ce que le directeur des archives décrit comme le «lieu de la mémoire institutionnelle» compte 24,000 boîtes de documents qui totaliseraient, si on les mettait côte à côte, quelque 8,1 kilomètres de papiers. Ces boîtes, conservées en partie dans la tour du Pavillon principal, contiennent des documents datant de différentes époques. Les plus vieux remontent à 1601. Il y a certainement de nombreux trésors dans ces boîtes, mais aussi une quantité de choses dont la durée de vie utile est terminée. «Il faut faire un ménage pour éliminer ces documents encombrants qu’il n’est plus nécessaire de conserver», dit le spécialiste.

C’est que la Division des archives connaît actuellement de sérieux problèmes d’espace. Durant l’entrevue qu’il accordait à Forum, le directeur a reçu la visite d’un déménageur arrivant des locaux du Département de géologie, fermé le 31 mai dernier. «Déposez le classeur ici», a-t-il indiqué au jeune homme.

«Eh oui! le directeur doit prendre des mesures d’urgence», commente-t-il avant d’expliquer que le vieux classeur a renfermé des documents du père Léo-Georges Morin, qui a fondé et dirigé le Département de géologie de 1938 à 1949. Au dire de certains, il fut à la géologie ce que le frère Marie-Victorin a été à la botanique. «Ce classeur sert au rangement d’une collection unique d’anciennes diapositives sur plaque de verre illustrant le travail des géologues. Malheureusement, nous n’avons pas trouvé d’autre endroit pour l’entreposer que mon bureau. Mais la collection demeure au service des chercheurs intéressés.»

Les problèmes de la Division des archives — «une crise d’espace», selon certains — sont connus de la Direction des immeubles. «Je sais bien que nous ne sommes pas seuls à l’Université à avoir besoin de locaux supplémentaires, souligne M. Minotto, mais la situation devient critique.»

Actuellement, les documents sont répartis sur une superficie de 1600 mètres carrés. Il en faudrait 2000 pour répondre aux besoins des prochaines années. Mais tous espèrent voir poindre une solution, au moins partielle, au cours des mois à venir.

Il faut dire que la Division des archives, qui relève du Secrétariat général depuis les années 1960, s’est mise au service de l’ensemble de l’Université en 1972 et a vu son volume de documents se multiplier au fil des ans. Une bonne partie d’entre eux attendent toujours d’être mieux marqués et traités de manière définitive.

Pour Claude Minotto et son équipe, qui compte 12 personnes, ce travail de bénédictin n’est pas un pensum. «Notre équipe est consciencieuse et dynamique et, puisque la situation financière difficile que l’Université de Montréal a connue est derrière nous, nous sommes optimistes quant à nos défis. Il y va de la mémoire de l’établissement, une mémoire en constante évolution.»

Mathieu-Robert Sauvé