Volume 35 numéro 2
5 septembre
2000


 


Mettre la recherche au service de la santé de la population
Telle est la finalité première des IRSC

Louise Nadeau, professeure au Département de psychologie, vient d’être nommée vice-présidente du conseil d’administration des IRSC.

«Pour vraiment faire progresser la santé, il est essentiel de tenir compte à la fois des déterminants sociaux, des neurosciences, de la génétique, de l’immunité et de l’organisation des soins», a déclaré en entrevue à Forum Louise Nadeau, professeure au Département de psychologie. Mme Nadeau, qui est vice-présidente du conseil d’administration des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), ajoute que c’était d’ailleurs là l’une des principales constatations du Forum national sur la santé. Ce forum, organisé par Santé Canada et auquel elle-même a participé ainsi que les professeurs Pierre-André Contandriopoulos (Administration de la santé) et Marc Renaud (Sociologie), a remis son rapport en 1997.

«La seule façon de vraiment améliorer la santé d’une population est de travailler sur tous ces volets en même temps, observe Mme Nadeau. Il faut donc sortir la recherche médicale de ces systèmes encapsulés qui font que les gens ne se parlent pas.»
En effet, à quoi bon, par exemple, investir beaucoup d’argent dans la recherche pour mettre au point les meilleurs antibiotiques au monde s’ils cessent rapidement d’être efficaces parce que des médecins les prescrivent à tort et à travers à des enfants en bas âge?


Recherche intégrée
«Il est essentiel de se soucier des applications cliniques d’une découverte», affirme Louise Nadeau. Elle donne un autre exemple dans un domaine qu’elle connaît bien, celui de la toxicomanie.

Les recherches sur le fonctionnement du cerveau, des neurotransmetteurs tout particulièrement, ont permis de mieux comprendre le phénomène de la dépendance. Ces travaux ont aussi conduit à la conception de nouvelles molécules qui diminuent le besoin obsédant d’alcool ou de certaines drogues.

«Prenons la méthadone, poursuit-elle. Son utilisation n’est pas intégrée à tous les échelons. Elle n’est pas disponible dans certaines régions du Québec. De plus, on sait maintenant que la méthadone seule est moins efficace qu’un travail psychosocial d’accompagnement.»

Les travaux sur l’efficacité des traitements sont donc des repères pour l’organisation des services, ce qui permet aux intervenants d’améliorer leur pratique clinique. Les guides de pratiques éprouvées (best practices), qui existent dans tous les secteurs de la santé, sont donc le résultat direct de la recherche clinique et évaluative, précise Mme Nadeau. «Avec la diffusion actuelle des connaissances, on peut espérer que, dans un délai relativement court, de nouvelles pratiques probantes, issues des travaux de recherche, seront mises en application dans tous les secteurs de la santé. Il ne s’agit donc pas de faire de la recherche pour faire de la recherche, mais plutôt de mener une recherche intégrée qui vise l’évolution de la recherche biomédicale fondamentale vers des pratiques cliniques dont les résultats sont évalués pour être ensuite améliorés afin d’en arriver à de meilleurs soins et à des pratiques préventives efficaces.»


Loups solitaires
Les IRSC ne constituent pas une menace pour la recherche libre, puisqu’il y aura toujours de la place dans ces instituts pour les loups solitaires (lonely wolf), assure Mme Nadeau. Parce qu’il faut conserver un espace où peut s’épanouir la créativité, dit-elle en pensant à William Harvey qui, au 17e siècle, a découvert le fonctionnement de la circulation sanguine, ce qui lui a valu d’être considéré comme un fou jusqu’à la fin de ses jours.

Y a-t-il loin de la coupe aux lèvres? «Oui parce que les mentalités ont encore besoin d’évoluer. Non parce qu’il y a une loi et que les Instituts seront évalués d’après ce texte, qui est d’une grande transparence», répond la psychologue. Mais comme il y a maintenant plus d’argent investi dans la recherche, aucun secteur n’est perdant.

Dans un établissement comme l’Université de Montréal, où le volet de la santé est très fort, les fonds de recherche rendus ainsi disponibles vont attirer de nouveaux professeurs et de nouveaux étudiants, pense Louise Nadeau. «Consacrer plus d’argent à la recherche est la seule façon de garder nos chercheurs parce qu’ils sont prêts à accepter des salaires moindres pourvu que les fonds de recherche ne leur soient pas versés au compte-gouttes. Ils veulent avoir les moyens d’accomplir leur travail, quel que soit leur ameublement.»

Quant aux chercheurs, ils continueront, comme auparavant, de soumettre leurs demandes de subvention, lesquelles seront toujours évaluées par un jury de pairs.

Par contre, les Instituts ont la responsabilité de trouver, chacun dans leur secteur, les mesures à prendre pour assurer l’intégration de la recherche à tous les échelons: en lançant un nouveau programme de bourses, en organisant un symposium, en créant un partenariat avec un organisme public ou bénévole ou encore l’entreprise privée, etc.


Chercher les lacunes
«Grâce aux Instituts, on va s’assurer, tout au long du continuum, de découvrir les lacunes et d’essayer de comprendre ce qui ne va pas. La seule chose que les Instituts ne feront pas, c’est de prendre la relève du système de soins. Ce sera aux régies régionales d’assumer leurs responsabilités.»

Par exemple, imaginons qu’un chercheur obtienne une subvention pour effectuer des recherches sur le sommeil et qui se retrouve rattaché à l’Institut sur les neurosciences. L’Institut constate, à la lumière de ces recherches ou autrement, que les troubles du sommeil touchent particulièrement les personnes âgées. Il peut alors établir une collaboration avec l’Institut sur le vieillissement afin d’étudier plus à fond la question, cerner les problèmes qui en découlent et voir s’il y a suffisamment de chercheurs pour étudier le phénomène. Si, au contraire, l’Institut constate un retard dans l’avancement des recherches, il peut prendre des mesures pour remédier à la situation en lançant un programme de bourses.

Les mandats des 13 premiers instituts ne sont pas très détaillés pour l’instant. Ils se préciseront à mesure que les instituts arriveront à maturité et qu’ils collaboreront entre eux ainsi qu’avec d’autres partenaires, explique Louise Nadeau. Les directeurs de ces instituts, qui doivent être nommés prochainement, auront là un rôle déterminant à jouer.

«Le conseil d’administration des IRSC ne veut pas dicter aux directeurs des instituts la façon dont ils doivent atteindre leurs objectifs», insiste toutefois la psychologue. De plus, chaque institut aura sa personnalité propre en fonction de ses partenaires, qui seront tantôt des sociétés pharmaceutiques, tantôt d’imposants organismes bénévoles comme la Fondation des maladies du coeur et la Société canadienne du cancer.

Françoise Lachance