FORUM - 21 FÉVRIER 2000

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La chasse-galerie n'est pas une légende "pure laine"!

Un étudiant en anthropologie étudie le folklore québécois.

"Le folklore québécois, ça ne fait pas 'in' dans un curriculum vitae, mais c'est un domaine de recherche passionnant." Autre champ d'intérêt de Jean-Sébastien Pariseau: CISM, la radio étudiante de l'Université de Montréal. Il y travaille depuis quatre ans comme animateur et assistant à la programmation.

"Nous bûchions au chantier, loin de nos êtres chers. Dix gars ben esseulés, dans notre désespoir, le soir du jour de l'An, nous avons fait ciboire un pacte avec Satan. Dans le ciel du pays, le canot fendit l'air et nous mena ravis aux maisons de nos pères."

Michel Rivard n'est pas le seul artiste à s'être inspiré de la légende de la chasse-galerie. Le chanteur et entrepreneur Robert Charlebois a même nommé une bière en son honneur: La maudite. Mais d'où diable vient cette légende? Est-elle vraiment d'origine québécoise?

"La chasse-galerie fait indéniablement partie de notre patrimoine, affirme Jean-Sébastien Pariseau, mais elle n'est pas née au Québec. Cette légende a des origines européennes et l'on pourrait même la faire remonter jusqu'aux Vikings." L'étudiant en anthropologie consacre son mémoire de maîtrise au folklore québécois. Il a présenté ses hypothèses de recherche au cours d'une conférence qui s'est déroulée, le 8 février dernier, dans le cadre de la Semaine interculturelle, organisée par le Service d'action humanitaire et communautaire.

Origines françaises
C'est dans un ouvrage sur les chasses à courre françaises que Jean-Sébastien Pariseau découvre une complainte relatant les malheurs d'un sieur nommé "de Gallery". Originaire de la région du Poitou, l'homme avait été condamné à chasser éternellement dans le ciel pour s'être adonné à la chasse un dimanche. "À l'époque, les chasses européennes mettaient en scène des seigneurs et des nobles, explique l'étudiant. Ces chasses portaient parfois leur nom."

Selon lui, c'est au cours du peuplement de la Nouvelle-France que les colons français auraient transformé le récit. Ces colons, souligne l'étudiant, provenaient essentiellement de la Normandie, de l'Île-de-France et du Poitou! La chasse à courre aurait alors été remplacée par un canot d'écorce en raison des vastes étendues d'eau et c'est ainsi qu'on serait passé de la "chasse De Gallery" à la "chasse-galerie".

"Il est courant d'observer des variations dans les légendes de tradition orale, souligne le jeune chercheur, car celles-ci étaient racontées de vive voix. Le conteur pouvait donc transformer à sa guise certains éléments de l'histoire."

Suivant les régions du Québec, on note diverses versions de la légende. Par exemple, le canot volant est parfois remplacé par un madrier ou une branche et la présence du diable n'est pas toujours physique. "Dans ces récits racontés par les habitants, il existe toutefois un schéma fondamental: il y a d'abord un pacte avec le diable et ensuite un déplacement dans les airs. La réussite du voyage ou sa fin catastrophique dépend du respect ou non des conditions du pacte. Par exemple, ne pas prononcer le nom de Dieu et ne pas toucher aux clochers des églises", observe Jean-Sébastien Pariseau.

C'est dans les écrits des Jésuites que nous retrouvons au Québec des traces de ce qui semble être les premières apparitions du canot volant dans le ciel, déclare l'étudiant. Et il cite un texte datant de 1744: "On avoit vu dans l'air une couronne de feu aux Trois-Rivières. On avoit entendu des voix lamentables auprès de Québec et un canot de feu. Et dans un autre endroit un homme tout embrasé environné d'un tourbillon de flammes."

Quand le dieu Wotan s'en mêle
Même la légende du Poitou pourrait avoir été empruntée à une autre culture. L'étudiant a, en effet, constaté des similitudes avec les récits du dieu Wotan, chez les Vikings. Ce dieu de la guerre était un géant borgne qui chevauchait une monture ailée à huit pattes. Il avait notamment le pouvoir de transmettre "le sang noir" (symbolisant la rage) à ses combattants, qui devenaient alors enragés.

"Cette fureur est présente dans le récit du sieur de Gallery, dit le jeune chercheur. On raconte que ce dernier, pris du sang noir, aurait battu ses paysans. Or, au Moyen Âge, il existait en France une croyance: quiconque était pris d'une telle fureur se voyait à sa mort condamné à errer dans le ciel pour l'éternité."

Autres liens: comme dans les récits des chasseurs français, les apparitions de Wotan ont lieu entre Noël et l'Épiphanie. Ces apparitions sont par ailleurs, dans les deux cas, accompagnées de cris d'âmes en peine et de feu.

"La légende de Wotan, explique-t-il, pourrait avoir été transformée au cours du déplacement des Germains vers la France. Ils ne pouvaient vraisemblablement pas conserver leur dieu de la guerre puisqu'il y avait alors la christianisation!"

Des origines scandinaves? Cela reste encore à voir, répond Jean-Sébastien Pariseau. Il s'agit d'hypothèses probables, précise-t-il. En tout cas, une chose est sûre: la chasse-galerie n'est pas une légende "pure laine".

Dominique Nancy


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