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Courrier


Soyez excellents... mais sans frais!

La rentrée était faite après un déménagement de département au mois d'août, ce qui n'a pas beaucoup aidé. Un nouveau cours à inventer pour début septembre - chose faite. Les recueils de textes étaient prêts malgré la nouvelle bureaucratie entraînée par la protection des droits d'auteur. Les activités du groupe de recherche étaient relancées et les engagements des auxiliaires de recherche, renouvelés. Vite deux lettres pour demander des délais supplémentaires pour la version finale de deux textes à publier. Déjà cinq examens de doctorat derrière moi depuis le début du mois d'août. Une thèse et deux mémoires de maîtrise à évaluer sur mon bureau. Deux étudiants au doctorat et un étudiant à la maîtrise veulent déposer leurs thèse et mémoire avant Noël, il faudra accélérer la lecture de leur version pénultième pour donner le OK pour le dépôt. Un saut à Berlin où je suis invité à faire la conférence plénière dans un colloque, cela ne facilite pas mon emploi du temps, mais c'est important pour la recherche.

Arrive fin septembre, l'épuisement chronique s'installe, mais je peux enfin mettre le pilote sur la vitesse de croisière pour le reste du trimestre, jusqu'au moment où arrivera, comme cadeau de Noël, l'avalanche des travaux d'étudiants à corriger. Une lumière rouge s'allume: il faut encore faire une demande de subvention de recherche au CRSH, mon actuelle subvention expirant au printemps prochain. Mais il s'agit de faire vite, la date limite approche dangereusement. Il faut remettre le pilote sur le régime "urgence" et empiéter sur le sommeil pendant deux semaines. Car on ne peut pas bâcler une demande de subvention si l'on veut sortir gagnant d'un concours dont le taux de succès n'a cessé de baisser.

Pas de problème pour le projet, il est déjà bien pensé puisqu'il découle de mes recherches en cours. Mais étant donné mon emploi du temps stressant qui ne me permet plus de mettre en chantier et encore moins d'achever une publication majeure en dehors du congé sabbatique, je me prévaudrai, cette fois-ci, du programme d'allocation de dégagement, qui permet aux chercheurs d'être dégagés pendant une période limitée d'une partie de leurs fonctions pour se consacrer pleinement à la réalisation de leur projet. C'est la première fois de mon existence de chercheur subventionné, qui s'étend sur deux décennies, que j'utilise ce volet du programme du CRSH. Je demande donc à être déchargé de deux cours pour la troisième année de mon projet. J'évalue le coût à 12 000$ et j'ajoute comme justification: "Étant donné l'augmentation rampante de la charge professorale, j'ai besoin de ce dégagement pour réaliser le projet soumis."

La demande part enfin, avec retard, pour rejoindre la pile de demandes qui s'accumulent au vice-décanat à la recherche. Le lendemain, un appel de la Faculté: "C'est bon, mais il faut enlever la demande d'allocation de dégagement. - Comment? Mais cela fait partie du programme du CRSH, j'en ai besoin et je l'ai justifiée." De fil en aiguille, j'apprends que les allocations sont attribuées selon le principe de la contrepartie: l'Université devrait donc assumer la moitié des 12 000$ demandés par moi. Chose qu'elle refuse de faire; pire encore: elle refuse d'acheminer ma demande à moins que je n'enlève ce que je considère comme une partie intégrante de mon projet. Chantage ou censure, quel terme est le plus adéquat? Je veux savoir s'il s'agit là d'une politique officielle de l'Université, on me renvoie au vice-rectorat à la recherche. Je réussis à parler à l'adjoint du vice-recteur à la recherche, qui confirme: oui, c'est une politique de l'UdeM; aucune demande comportant une allocation de dégagement, et pour laquelle l'Université devrait assumer la contrepartie, ne partira pour Ottawa. Pouvant représenter un engagement global de 200 000$ à 300 000$, cela coûterait trop cher à l'Université.

Je ne réussis pas à le croire! Un quart de million de dollars, c'est trop cher pour l'excellence en sciences humaines et sociales. On ne cesse de nous dire "Soyez excellents" et surtout "Allez chercher de l'argent à l'extérieur" (l'Université se drape avec fierté dans les millions de dollars que ses chercheurs obtiennent dans les concours externes), mais que cela n'occasionne pas de frais pour l'Université! L'UdeM se dit trop pauvre pour honorer la contrepartie de 6000$ dans une demande de subvention totalisant 82 000$! Est-ce là la politique d'une grande université de recherche? Sont-ce là des priorités favorisant l'excellence?

Par hasard, entre le 7 et le 9 octobre, j'ai agi à titre d'expert externe dans l'évaluation d'un département d'une grande université de recherche dans une autre province canadienne. En plus d'honorer pleinement le programme du CRSH, cette université fait tout pour aider les chercheurs à réaliser leur potentiel. Quelle différence d'attitude envers les chercheurs actifs, et surtout envers les chercheurs subventionnés! Sommes-nous les parents pauvres du système canadien? Je m'informe aussi au Québec: d'autres universités de recherche non seulement honorent le programme du CRSH, mais offrent par-dessus le marché des dégagements internes aux chercheurs détenteurs d'une subvention de recherche. Sommes-nous aussi les parents pauvres du système québécois?

Walter Moser
Département de littérature comparée


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