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Le petit peuple dans la société de l'Occident médiéval

L'étude des couches sociales inférieures a été négligée, selon Pierre Boglioni.

Le prochain défi de Pierre Boglioni: la publication des actes du colloque. Le manuscrit devrait paraître
dans six ou sept mois.

Basse classe", "petit peuple", "classe populaire" et "petites gens" étaient des expressions utilisées par la société de l'Occident médiéval pour désigner ses couches sociales inférieures. Et il y en a beaucoup d'autres, souligne Pierre Boglioni. "Un riche vocabulaire témoigne de la réalité des ouvriers, paysans, domestiques, esclaves et mendiants, relève-t-il, mais le sens et la valeur des termes ont été peu étudiés. Le manque d'exploration des critères sociaux, politiques, religieux et culturels fait aussi en sorte que nous cernons mal la façon dont cette société percevait et représentait le ' petit peuple' ."

Devant cette constatation, le professeur Boglioni, du Département d'histoire, ainsi que deux autres médiévistes, Robert Delort, de l'Université de Genève, et Claude Gauvard, de l'Université de Paris, ont décidé de relever le défi en organisant un colloque international intitulé "Le petit peuple dans la société de l'Occident médiéval".

Une cinquantaine de conférenciers, provenant de 32 universités partout dans le monde et d'une vingtaine de centres de recherche, ont présenté des communications qui s'articulaient autour de trois axes: les terminologies, les perceptions et les réalités. Parmi les participants, 17 chercheurs canadiens, de neuf universités du pays, dont quatre de l'Université de Montréal. Forum en a rencontré deux.

Thomas d'Aquin
L'exposé de Pierre Boglioni, spécialiste de l'histoire des religions et des cultures populaires, a notamment mis en évidence les dimensions associées aux termes que Thomas d'Aquin emploie pour renvoyer à la classe populaire.

"Le ' petit peuple' est caractérisé tantôt selon des dimensions politiques, sociales et économiques, comme le manque de pouvoir et d'argent, tantôt par des dimensions culturelles, par exemple le manque d'instruction, de scolarisation et de connaissances, tantôt enfin par des dimensions anthropologiques, tels la grossièreté de jugement et le ' primitivisme' ", signale Pierre Boglioni.

Le chercheur a par ailleurs eu la surprise de constater que le dominicain Thomas d'Aquin démontre peu de sympathie à l'égard des réalités et de la culture du "petit peuple". Mais cette perception n'est pas isolée. "Au Moyen Âge, le petit peuple est systématiquement classé comme marginal, ce qui revient à exclure du fonctionnement de la société la plus grande partie de sa population", explique M. Boglioni. Résultat? Nous connaissons l'histoire des clercs, des nobles, des guerriers et des bourgeois, affirme le médiéviste, mais très peu celle des couches sociales inférieures. Le petit peuple semble peu digne d'attention.

 

Une soixantaine de personnes s'étaient rassemblées au Pavillon principal pour entendre le conférencier Serge Lusignan livrer les résultats de sa recherche sur les étudiants pauvres à l'Université de Paris.

Les paperes scolares
Serge Lusignan, professeur au Département d'histoire, partage cet avis. Selon lui, une autre raison explique cette situation. "Les petites gens sans histoire, déclare-t-il, ont laissé bien peu de traces écrites, même dans un milieu si fortement imprégné de culture écrite que l'Université de Paris."

C'est la conclusion d'une étude qu'il a menée sur les étudiants pauvres à l'Université de Paris au Moyen Âge. Pourtant, comme l'a démontré le professeur dans son ouvrage "Vérité garde le roy", La construction d'une identité universitaire en France (XIIIe-XVe siècle), qui vient de paraître aux Publications de la Sorbonne, "étudier dans une université en France au Moyen Âge procurait un statut social enviable".

À partir du 14e siècle, les paperes scolares, comme on les appelait, bénéficiaient entre autres de la sauvegarde royale et de privilèges économiques, souligne Serge Lusignan. "L'idée que le savoir était un bien spirituel qui devait rester accessible à tous [...] était inscrite dans les structures mêmes de l'université", écrit-il. N'empêche que la majorité des étudiants, observe le chercheur, ne provenaient pas de milieux défavorisés mais plutôt de familles aisées.

Par ailleurs, en analysant un corpus de plus de 600 procès impliquant des gens d'études, aux parlements de Paris et de Poitiers, entre le début du 14e siècle et le milieu du 15e, Serge Lusignan a constaté que "nombre d'universitaires bien nantis usaient et abusaient de leurs droits pour protéger leur état. Des hommes démunis se réclamaient aussi, parfois à bon droit, parfois de façon douteuse, du statut d'étudiant pour conserver une place dans la société et éviter de sombrer dans la marginalité."

Des sommités et des étudiants se côtoient
Par la qualité des invités, ce colloque constituera un point de repère pour les études médiévales, estime Pierre Boglioni. "La rencontre a permis de faire le bilan des acquis, d'explorer des domaines nouveaux et, surtout, de mettre au point des concepts et des méthodes", affirme-t-il.

Parmi les sommités accueillies à l'UdeM, il faut mentionner Claude Gauvard pour l'histoire de la criminalité et de la marginalité, Massimo Montanari pour l'histoire de l'alimentation paysanne, Madeleine Jeay pour l'histoire de la culture populaire et Gherardo Ortalli pour l'histoire du jeu.

"Une place importante a aussi été accordée aux jeunes chercheurs afin qu'ils puissent soumettre leurs hypothèses et résultats à l'attention d'un public directement intéressé par leurs travaux, fait valoir le professeur. L'intégration des étudiants avait également pour but de leur permettre d'établir des liens avec des spécialistes étrangers."

La publication des actes du colloque est prévue pour le printemps de l'an 2000.

Dominique Nancy



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