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Inoffensive, l'essence sans plomb?

Selon Joseph Zayed, le MMT, qui a remplacé le plomb, peut être dangereux à long terme.

Le professeur Joseph Zayed et la technicienne France Gagnon dans le laboratoire du Département de médecine du travail et d'hygiène du milieu, où sont menées les études sur le manganèse.

Près de 10 ans après le bannissement du plomb dans l'essence, des études ont mis en évidence certains troubles nerveux associés aux produits de combustion du substitut qu'on lui a préféré, le méthylcyclopentadiényle manganèse tricarbonyle (MMT). Même à faible dose, le manganèse a un potentiel neurotoxique, en particulier chez les personnes souffrant d'une maladie du foie, les femmes enceintes et les gens âgés.

"Une population en santé peut tolérer une légère quantité de manganèse émis par la combustion du MMT, mais des risques élevés de neurotoxicité subsistent pour certaines personnes vulnérables. Par exemple, les gens atteints de cirrhose peuvent souffrir de tremblements semblables aux symptômes de la maladie de Parkinson", révèle Joseph Zayed, professeur au Département de médecine du travail et d'hygiène du milieu.

"Normalement, le foie joue un rôle de filtrage des toxiques, explique le chercheur, mais lorsqu'il est affaibli les produits chimiques cheminent directement jusqu'aux organes cibles. Une certaine concentration de manganèse peut donc atteindre le cerveau et entraîner des problèmes neuromoteurs."

À cause des incertitudes ainsi soulevées, le gouvernement fédéral avait interdit, en 1997, l'importation du MMT au Canada. Ethyl Corp., la firme américaine qui fabrique le MMT, a alors déposé une plainte en vertu de l'Accord de libre-échange nord-américain. En 1998, Ottawa a permis de nouveau l'usage du produit et a même versé 13 millions de dollars américains à Ethyl Corp. en dédommagement des pertes imputables au bannissement du MMT.

Mais tous les experts ne partagent pas ces craintes. Selon une recherche effectuée par Santé Canada en 1994, les risques pour la santé ne sont pas significatifs. Pourtant, l'Agence américaine de protection de l'environnement a tenté d'empêcher la commercialisation du produit et exige depuis plusieurs années des études toxicologiques additionnelles.

M. Zayed mène des recherches en ce sens. "Notre but ultime, dit-il, est de vérifier si à long terme la population soumise à une faible dose de manganèse manifestera des problèmes de motricité."

Estimer la toxicité
De sérieux doutes existent en particulier quant aux effets sur la santé des populations urbaines. "À long terme, cinq pour cent de la population des centres urbains pourrait être exposée à des concentrations plus élevées que le niveau jugé sécuritaire", déclarait M. Zayed en mars dernier à un journaliste de l'agence Science-Presse.

Cette conclusion provient de travaux de modélisation intégrant notamment les niveaux de contamination environnementale et d'exposition de certains travailleurs comme les chauffeurs de taxi et les mécaniciens. "C'est par les voies respiratoires que le manganèse pénètre dans l'organisme, précise M. Zayed. Les substances chimiques se retrouvent dans le sang artériel, sans être d'abord métabolisées par le foie, et atteignent ainsi les organes vitaux tels les poumons, le coeur et le cerveau."

Dans un article à paraître prochainement dans la revue scientifique Environment Science and Technology, M. Zayed et ses collègues révèlent comment ils ont réussi à caractériser le manganèse rejeté par les automobiles. On pourrait croire que cela est simple. Il n'en est rien. De fait, jusqu'à présent une seule autre équipe de recherche avait tenté de relever le défi. Les chercheurs prétendaient que les émissions polluantes des véhicules automobiles se composaient uniquement d'oxyde de manganèse.

"C'est faux, affirme M. Zayed. Les substances rejetées par la combustion du MMT sont en fait des sulfates et des phosphates de manganèse, ainsi qu'une mixture des deux. C'est à ce type de manganèse que les gens dans la rue sont exposés", note M. Zayed.

Cette découverte pourrait avoir d'importantes répercussions puisqu'il sera dès lors possible de déterminer plus exactement les quantités de MMT dans les concentrations atmosphériques et de mieux en estimer la toxicité chez l'humain.

À long terme, cinq pour cent de la population des centres urbains pourrait être exposée à des concentrations plus élevées que le niveau jugé sécuritaire, selon M. Zayed.

Tout produit comprend un risque
Selon une autre enquête menée par l'équipe de M. Zayed, une voiture roulant au MMT rejette dans l'environnement deux fois plus de monoxyde de carbone et 18% plus d'oxyde d'azote que si elle fonctionnait avec du MTBE par exemple, un autre additif problématique en raison de son potentiel cancérigène.

"Malheureusement, nous avons tendance à permettre l'utilisation de plusieurs produits sans en connaître les effets, déplore M. Zayed. Le Canada est le seul pays où le MMT est utilisé presque exclusivement comme additif dans l'essence. Bien sûr, il y a un risque associé à tout produit, ajoute M. Zayed, nous avons donc l'obligation de tout mettre en oeuvre pour choisir le moins toxique."

Dominique Nancy


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