[page U de M][Accueil Forum][Calendrier][Etudiants]


Quand s'affichera-t-on à la défense du patrimoine?

Iréna Latek énonce une perspective de projet d'affichage urbain.

Iréna Latek, professeure agrégée à l'École d'architecture, se questionne sur la manière de contrer la pollution visuelle causée par l'affichage. "La beauté d'une ville, dit-elle, dépend surtout de la qualité de ses espaces publics."

En conduisant sur l'autoroute Métropolitaine, notre regard se pose inévitablement sur les publicités qui en longent la bordure. Difficile de les rater. La majorité des panneaux d'Omni, par exemple, mesurent quelque 4 mètres sur 14 mètres, avec possibilité d'extension! Bref, en plus de distraire les automobilistes, ces pancartes polluent le paysage urbain.

"Comment contrer la pollution visuelle causée par l'affichage et l'amener à jouer un rôle positif dans la création de l'espace public?" Iréna Latek, professeure agrégée à l'École d'architecture, s'est posé la question. Elle en a fait l'objet d'une analyse, qu'elle a présentée le 24 septembre dernier à la Faculté de l'aménagement dans le cadre d'un colloque international organisé par la Chaire en paysage et environnement de l'Université de Montréal.

Sur l'autoroute Métropolitaine, les panneaux pourraient être regroupés par thèmes, par exemple les publicités de pneus. Non seulement les dimensions seraient étudiées, mais la symétrie, les couleurs et le rapport entre l'image publicitaire et l'ensemble du paysage seraient également considérés afin de s'intégrer dans le patrimoine architectural de Montréal. Utopique? Pas pour l'architecte Iréna Latek, qui vient d'énoncer une perspective de projet sur l'affichage et la ville.

Une longue tradition
La pratique de l'affichage est enracinée dans la ville et possède malgré son caractère fondamentalement moderne une assez longue tradition, révèle Mme Latek. Le phénomène de l'affichage témoigne de plusieurs tendances et il agit sur l'environnement de multiples façons.

"Les structures d'affichage ont tendance à se multiplier et à se diversifier: le moindre espace disponible devient un prétexte à message publicitaire", lance-t-elle. Au-delà du support exclusivement mercantile qu'est le panneau publicitaire, ce phénomène a une longue histoire. Il a longtemps été un instrument de propagande politique et sociale. Mais sa tradition la plus riche relève indéniablement du domaine artistique, dit la professeure. "Avec le développement des techniques graphiques, le panneau publicitaire est devenu un genre artistique à part entière: un objet de collection et un support privilégié notamment par les théâtres, cinémas, musées et expositions artistiques."

Mme Latek note aussi que, plus récemment, la pratique de l'affichage a été investie par des formes d'art marginales. "Les artistes sans galerie couvrent de graffitis l'espace public, confirmant ainsi son lien avec la liberté d'expression", déclare-t-elle. Autrement dit, la ville appartient à tout le monde. N'empêche que l'affichage revêt essentiellement un rôle commercial et le développement rapide de ce phénomène publicitaire s'accompagne d'une emprise sur la ville, comme le constate Mme Latek dans son étude du milieu montréalais.

Montréal, ma ville
"Montréal est une ville aux structures bien constituées, mais elle possède aussi de larges friches, de généreuses infrastructures et de nombreux terrains vacants au centre-ville, laissant place à l'affichage", a observé Mme Latek.

À son avis, la pratique actuelle qui consiste à régir l'installation de l'affichage publicitaire seulement à partir d'une logique d'efficacité commerciale ne tient pas la route. "L'approche du projet d'affichage doit être conjuguée à celle de l'espace public, c'est-à-dire qu'il faut mettre en valeur la puissance de l'image (forme et sémantique) en rapport avec le lieu, explorer le caractère éphémère et ludique de ce média et, enfin, travailler en accord avec la logique de la forme urbaine et soutenir sa cohérence."

Pour illustrer ses propos, Mme Latek donne comme exemple le terrain vague à l'angle de la rue Sherbrooke et de l'avenue du Parc. "La topographie inhabituelle et la position du coin fait en sorte que les gens ont tendance à écourter leur trajet en traversant en diagonale. Une trace témoigne du va-et-vient des passants anonymes, signale-t-elle. Si l'on installait une affiche lumineuse et un escalier public, cela faciliterait la traversée et s'inscrirait dans le respect de l'espace public."

"Qu'importe la qualification du territoire (terrains vagues, quartiers centraux, stationnements, etc.), travailler et tirer parti des aspects positifs du paysage urbain relèvent du même défi, déclare Iréna Latek. On ne peut ni normaliser ni systématiser l'intervention par l'affichage, mais il faut procéder à travers une logique de lieu, c'est-à-dire que le contexte doit informer le projet d'affichage. Ce dernier doit avoir comme finalité de dialoguer avec les caractéristiques physico-spatiales, culturelles et sociales d'un milieu. La logique commerciale doit s'arrimer à ce cadre pour que l'affichage appartienne à part entière à l'idée de la ville."

Cette analyse s'inscrit dans une étude sur les pratiques d'affichage et les paysages urbains menée par une équipe de la Chaire en paysage et environnement. Outre Mme Latek, le groupe de recherche est composé de cinq autres personnes: Philippe Poullaouec-Gonidec, titulaire de la Chaire, Marie Lessard, professeure et vice-doyenne aux études à la Faculté de l'aménagement, Georges Adamczyk, professeur et directeur de l'École d'architecture, Djemila Hadj-Hamou et Alain Carle, assistants de recherche. La société d'affichage Omni est également associée à cette réflexion et participe ainsi directement à la diffusion des connaissances dans le domaine du paysage.

Dominique Nancy


[page U de M][Accueil Forum][Calendrier][Etudiants]