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Retourner au travail après un traumatisme crânien

Marie Vanier et Élisabeth Dutil évaluent les programmes pour la SAAQ.

Marie Vanier et Élisabeth Dutil, de l'École de réadaptation, travaillent ensemble sur les traumatisés cranio-cérébraux depuis 1986. Toutes deux ont été touchées personnellement par ce type de blessure, car leurs pères respectifs ont subi ce traumatisme à un âge précoce.

André Bérubé (nom fictif), 35 ans, circule en vélo lorsqu'il entre en collision avec une automobile. Il perd l'équilibre et sa tête heurte le trottoir. Il sombre dans le coma. Au bout de 24 heures, il reprend conscience. Mais pour lui, la vie vient de basculer. Deux ans plus tard, il n'a toujours pas retrouvé son travail; et sa femme a demandé le divorce.

Que s'est-il passé? Le processus de réadaptation a connu des ratés, estime Élisabeth Dutil, professeure à l'École de réadaptation. Avec une équipe multidisciplinaire, elle a mené une vaste étude sur l'évaluation des programmes de réinsertion professionnelle auprès des traumatisés cranio-cérébraux (TCC). "À peine 20% à 35% des TCC retournent au travail, et plusieurs ne gardent pas leur poste longtemps", résume Mme Dutil.

À son avis, la plupart, sinon toutes les victimes d'un traumatisme cranio-cérébral devraient retrouver leur travail après la convalescence. Elles doivent certes faire leur deuil de certaines facultés - la vitesse d'exécution, le sens de l'initiative, la facilité de concentration notamment -, et souvent même accepter d'être rétrogradées, mais elles peuvent rendre bien d'autres services à la société à condition de jouir de certains aménagements.

Après avoir étudié les 21 principaux programmes de réinsertion professionnelle du Québec, les chercheurs ont constaté que la plupart font intervenir la notion du travail à la toute fin du traitement, alors qu'elle devrait être implicite dès le début. Deux mois après l'accident, et même avant si possible, l'employeur doit être mis à contribution pour donner une orientation précise au traitement.

"Toute personne pourrait retrouver son emploi à condition qu'on ait tenu compte de ses facultés diminuées, signale Mme Dutil. Dans certains cas, cela pourrait signifier simplement installer une cloison près de son bureau pour contrer la perte de concentration."

Des victimes de 30 ans
Pour reprendre l'exemple de M. Bérubé, la réadaptation a abordé très tardivement la réinsertion professionnelle. Transféré dans un centre de soins aigus, il y a passé deux mois, puis on l'a accueilli dans un hôpital de réadaptation où son séjour a duré environ six mois. Le patient a ensuite été envoyé à l'un des quatre centres de réinsertion sociale. C'est à ce moment-là qu'il a entrepris des séances de travail afin de reprendre le poste qu'il occupait avant son accident.

D'après la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ), cette personne aurait dû retrouver sa vie "normale" après un certain temps. Pourtant, deux ans après son traumatisme cranio- cérébral, signale Marie Vanier, professeure à l'École de réadaptation, M. Bérubé n'a toujours pas repris le travail et n'est pas sur le point de le faire. "Il a des troubles d'anxiété, éprouve des difficultés de concentration, risque le surmenage et est en instance de divorce."

Cet exemple, "choquant mais pas exceptionnel", démontre la difficulté des proches chargés de prendre soin de ces personnes qui sont souvent âgés de 25 à 35 ans. Selon la SAAQ, les accidents de la route font annuellement plus de 2000 victimes de traumatismes cranio-cérébraux et de la moelle épinière, dont 450 gardent des séquelles permanentes. La moyenne d'âge des victimes est de 30 ans.

À cet âge, les conjoints sont peu disposés à apprivoiser un homme ou une femme dont la personnalité a subitement changé de façon marquée. "L'adaptation des proches est différente pour les victimes d'accidents cérébro-vasculaires, beaucoup plus âgées. Les conjoints ont en général reçu une éducation différente où le mariage signifiait 'à la vie, à la mort'. Ça reste une épreuve difficile, mais le divorce est beaucoup moins fréquent dans ces cas-là."

Il y a aussi les chutes
La route n'est pas le seul endroit où surviennent des TCC. Presque autant de victimes se présentent aux urgences à la suite de chutes ou d'accidents divers. "Ce sont les malchanceux, dit Marie Vanier. Ces gens ne sont évidemment pas couverts par l'assurance automobile du Québec et doivent donc assumer seuls la majeure partie des frais de réadaptation et de réinsertion. Sans vouloir être cynique, je dirais qu'il vaut mieux avoir un TCC sur la route que n'importe où ailleurs."

Le drame, avec ce type de blessure, c'est qu'aucune n'est pareille à une autre même s'il existe des signes cliniques permettant d'évaluer la gravité de l'atteinte cérébrale. Mmes Vanier et Dutil ont suivi 80 victimes de TCC sur une période de trois ans et constaté que les séquelles pouvaient s'exprimer de manière inattendue. La victime peut perdre soudainement toute inhibition, avoir un comportement sexuel incohérent ou perdre le contrôle d'elle-même par exemple.

Il apparaît de plus en plus évident, en outre, que le sens de l'initiative est logé, au moins en partie, dans le lobe frontal. Après un accident de voiture "typique", quand la tête subit un choc sur le front, il n'est pas rare de constater chez la victime une modification de sa perception d'elle-même. Son sens de l'initiative est également touché.

"Les gens qui ont toute leur tête ne se rendent pas compte de la somme de décisions qui sous-tendent le geste d'aller manger. D'abord, il faut définir un but; puis, il faut se lever, s'habiller, ouvrir la porte, sortir, descendre les escaliers et se rendre au restaurant sans perdre de vue le but de ces gestes. Pour un TCC, cette simple sortie peut devenir une véritable épreuve."

Les deux professeures, qui dirigent des mémoires de maîtrise dans le domaine des TCC, s'attaquent maintenant aux interventions mieux adaptées à une bonne réinsertion professionnelle.

Mathieu-Robert Sauvé



Sortir du coma

Le coma est un phénomène encore mal connu en médecine. On sait qu'il survient à la suite d'un traumatisme crânien, d'une anomalie telle qu'une tumeur, d'une hémorragie cérébrale ou encore d'une intoxication. Il peut durer quelques secondes ou des années. Après un mois de coma, la personne peut ouvrir les yeux et respirer par elle-même sans toutefois avoir repris conscience. On dit alors qu'elle est dans un état neurovégétatif. Si cet état dure plus d'un an, on le dit persistant.

Depuis quelques années, les médecins ont appris à agir rapidement pour stimuler la conscience des personnes inconscientes par suite d'un choc à la tête. Ils utilisent notamment des médicaments et différentes techniques de stimulation. Les taux de succès de ces interventions n'ont cessé de s'améliorer.

Récemment, une nouvelle technique a vu le jour au Japon et dans certains centres français et américains. Il s'agit d'implanter dans le mésencéphale, au milieu de la boîte crânienne, un neurostimulateur qui envoie des chocs électriques de faible intensité au cerveau. "Certaines études disent que cela fonctionne dans un cas sur deux", indique Marie Vanier. Mais elle estime que d'autres recherches plus approfondies seraient nécessaires avant de conclure à l'utilité réelle de cette technologie bionique.

Là où l'expérience a été tentée, elle s'est limitée aux personnes dans un état neurovégétatif persistant. Partout en Occident, ces patients posent de sérieux problèmes éthiques quant à l'allocation des ressources. Selon les statistiques, quelque 4% des traumatisés cranio-cérébraux tombent dans cet état. Ils accaparent des lits très coûteux qui, estiment certains, pourraient être mieux utilisés.

M.-R.S.



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