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Prévention des agressions sexuelles:
"Laissons les enfants tranquilles!"

Hubert Van Gijseghem dénonce l'acharnement investigateur, préventif et thérapeutique.

"En n'utilisant pas l'enregistrement, nous nous coupons d'un moyen de valider une allégation d'abus", déplore Hubert Van Gijseghem.

Cinquante pour cent des enfants de trois ans répondent "oui" à la question: "Est-ce que papa te touche là?" Mais tous ces pères ne sont pas des agresseurs. La plupart ne procurent à l'enfant que les soins hygiéniques habituels, sinon posent des gestes affectueux mal interprétés par l'enfant après coup. D'où l'importance de se prévaloir d'une méthodologie d'enquête rigoureuse dans les cas d'allégations d'abus sexuels. Au Québec, il y a place pour l'amélioration. Des cliniciens s'interrogent par exemple sur les risques des programmes de prévention destinés aux enfants. Ils pourraient faire plus de mal que de bien!

C'est l'avis d'Hubert Van Gijseghem, psychologue et professeur à l'École de psychoéducation. "Les programmes de prévention et de traitement s'appuient sur de bonnes intentions, mais la vision que nous avons du phénomène de l'abus sexuel engendre des effets pervers", déplore l'auteur de Us et abus: de la mise en mots en matière d'abus sexuel, publié aux Éditions du Méridien.

Hubert Van Gijseghem, Us et abus: de la mise en mots en matière d'abus sexuel, Montréal, Éditions du Méridien, 1999, 273 pages, 34,95$.

L'ouvrage de 276 pages, auquel ont collaboré huit autres spécialistes du milieu universitaire et de la pratique privée, dénonce "l'acharnement investigateur, préventif ou thérapeutique qui déferle sur les victimes réelles et présumées". Depuis une vingtaine d'années, les programmes sociaux sont axés sur la prévention et les thérapies de groupe alors qu'il faudrait mettre aussi l'accent sur les agresseurs potentiels, estime M. Van Gijseghem, qui plaide pour la révision de ces programmes.

Utiliser l'enregistrement
Saisie par les résultats d'études qui révèlent que seulement 40 victimes sur 100 brisent le silence, la société semble motivée par un désir très fort de trouver les 60 autres. "Cette situation donne lieu à beaucoup de sollicitations auprès d'enfants qui présentent un quelconque problème. Par ailleurs, la manière dont certains policiers et intervenants de la Direction de la protection de la jeunesse s'y prennent pour obtenir les dénonciations peut aussi être critiquée, déclare M. Van Gijseghem. La formulation des questions oriente souvent les réponses des enfants. Or, cette orientation entraîne des 'faux positifs', c'est-à-dire que les systèmes social et judiciaire concluent à des abus qui n'ont pas eu lieu", explique le psychologue.

À ce biais méthodologique s'ajoute une autre source de problèmes liés à l'investigation: l'enregistrement vidéo. "Rares sont les professionnels qui ne montrent pas, pour toutes sortes de raisons, une résistance à cette pratique. La crainte de voir l'enregistrement servir à une évaluation de leur travail est souvent invoquée", note M. Van Gijseghem. Résultat? La première entrevue avec l'enfant laisse peu de traces et celui-ci est donc soumis à de multiples interrogatoires.

Pour le psychologue, cette approche n'est pas acceptable. "Un tel acharnement est susceptible d'ajouter au traumatisme de l'enfant, s'insurge-t-il. Et c'est sans compter les nombreux éléments qui, avec le temps, risquent de contaminer le témoignage. Des études ont démontré que le récit initial de l'enfant est le plus exact. Si la première déclaration était enregistrée sur vidéocassette, on n'en serait pas là. D'autant plus que les lois canadiennes admettent un tel enregistrement comme preuve. L'enregistrement sur vidéocassette est le seul moyen de constituer une preuve fiable tout en évitant la victimisation secondaire", affirme le professeur.

Thérapie?
Face à la prolifération des cas d'abus, des programmes de prévention ont été mis sur pied pour protéger les enfants contre les adultes pervers et pour encourager le dévoilement. "Mais la plupart des milieux préscolaires et scolaires présentent des programmes maison qui n'ont même pas fait l'objet ni de préexpérimentation ni de recherche évaluative, soutient M. Van Gijseghem. Par exemple, est-il pertinent de demander à un enfant d'assumer la responsabilité de sa protection? Doit-on informer les petites filles et les petits garçons de la perversité de certains adultes tout en sachant que cela risque de briser leur confiance spontanée à égard de leurs parents?"

Chose certaine, la propension à vouloir traiter à tout prix les victimes d'abus, réelles ou présumées, n'a pas sa raison d'être, selon M. Van Gijseghem. Il est probable qu'une thérapie individuelle est bénéfique à certains enfants, admet-il, mais les thérapies de groupe ont en général pour effet de garder l'enfant dans le drame et de l'empêcher de tourner la page.

"Laissons donc les enfants tranquilles!" déclare le professeur. Il précise que cela n'équivaut pas à renoncer à tout effort de prévention en ce qui concerne les abus sexuels. À son avis, il faut détourner les efforts de prévention vers les agresseurs potentiels. "Sans considérer ce changement de cible comme une garantie de victoire finale, il n'est pas impossible qu'on atteigne par là un résultat plus probant et moins nocif en matière d'effets secondaires", explique-t-il dans son livre.

Le psychologue se montre aussi critique à l'égard des médias, dont l'intérêt pour le phénomène, juge-t-il, tend non seulement à laisser croire qu'il n'y a que cela de grave dans la vie d'un enfant, mais aussi à multiplier les déclarations fausses. Si l'effervescence médiatique le laisse perplexe, il ne prône pas pour autant le déni d'il y a une vingtaine d'années. Et puis, de son propre aveu, il admet contribuer lui-même un peu à cette agitation.

Dès le début des années 1970, ce psychologue a eu envie d'étudier le phénomène des abus puisque, lors de thérapies de groupe auprès de jeunes délinquantes, il a été frappé par le haut taux de révélations d'abus à la fois à l'intérieur comme à l'extérieur de la famille. Il entreprendra donc une série de recherches sur les facteurs et les conséquences des abus sexuels.

Allégations en surnombre
Lorsque la vague d'intérêt survient, fin 1970 et début 1980, il se retrouve du coup abondamment sollicité compte tenu de son expertise. Et aujourd'hui encore davantage. "Je suis fatigué de parler de l'abus sexuel et de l'inceste, affirme l'expert psychojuridique, mais je suis condamné à continuer d'en parler... un peu comme les victimes!"

Devant autant de dévoilements, faut-il croire que le phénomène est plus répandu de nos jours? "L'avalanche de témoignages d'abus, dont les médias se font l'écho, nous amène à croire qu'il y en a plus, mais c'est une illusion d'optique, répond le psychologue. Les révélations se multiplient, mais il y a probablement moins d'abus sexuels maintenant qu'auparavant. La grande sensibilité sociale combinée avec un changement dans les lois participent à cette multiplication des déclarations", ajoute Hubert Van Gijseghem.

D'après lui, la façon dont le concept d'abus est utilisé et médiatisé socialement tend à accroître les allégations et les signalements non fondés. Mais les données à cet égard sont floues. Les statistiques concernant les fausses allégations varient d'une source à l'autre. Dans un contexte de divorce où les parents sont engagés dans une bataille juridique entourant la garde des enfants, des chercheurs ont estimé à 50% la proportion de fausses allégations en Amérique du Nord, alors que la Direction de la protection de la jeunesse parle de 10% au Canada.

Selon une étude menée en 1996 par le professeur Van Gijseghem, le divorce et la recomposition des familles semblent en effet se prêter davantage à ce type de déclarations. Par ailleurs, les écoles, les centres d'accueil, les centres pour handicapés et les garderies connaissent aussi un nombre croissant de fausses allégations. "De nombreuses situations peuvent être le théâtre de déclarations d'abus qui n'ont pas eu lieu, signale le psychologue. Les entraîneurs, les éducateurs physiques et les intervenants en milieux de garde risquent davantage d'être les victimes de fausses allégations, frauduleuses ou non", précise-t-il.

De toute évidence, la dynamique entre l'adulte et l'enfant est transformée. "Lorsque je jouais avec mes enfants, je ne m'inquiétais nullement qu'une de mes mains se pose sur leurs fesses, raconte M. Van Gijseghem. Aujourd'hui, je n'ose même pas prendre mes petits-enfants sur mes genoux."

Dominique Nancy


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