FORUM - 1ER MAI 2000

[Accueil Forum][En bref][Calendrier][Opinions]


La guerre: un mal nécessaire?

Ryoa Chung élabore une réflexion philosophique sur l'éthique internationale.

Ryoa Chung s'intéresse autant à l'éthique des relations internationales qu'à la bioéthique, qu'elle enseigne à titre de chargée de coursà la Faculté de médecine vétérinaire.

"Lorsque des milliers d'êtres humains sont humiliés, affamés, battus, tourmentés, en un seul lieu, nous n'avons pas le droit, au risque de perdre notre humanité, de ne pas élever notre bras", a déclaré l'écrivain juif Elie Wiesel à propos du Kosovo.

Un Prix Nobel de la paix qui répond à la violence par la violence, est-ce philosophiquement acceptable? En tout cas, Ryoa Chung se demande si la guerre est un mal nécessaire. "Je ne suis pas une spécialiste de la guerre, mais la cruauté au Kosovo et les conflits au Rwanda et ailleurs suscitent un questionnement sur les principes fondamentaux de l'éthique internationale", dit-elle.

Titulaire d'une maîtrise en philosophie, elle a voulu pousser la réflexion plus loin et a entrepris un doctorat sur le sujet. Le 20e siècle, un des plus belliqueux de l'histoire de l'humanité, lui fournit une matière première inépuisable. Il présente un vaste tableau du comportement des États depuis la Première Guerre mondiale jusqu'au conflit du Kosovo.

L'étude philosophique de l'éthique des relations internationales est une branche relativement nouvelle qui date des années 1950, signale Ryoa Chung. Au sein de cettediscipline, deux courants se sont développés: celui dit "réaliste" et son opposé, "idéaliste".

"Pour les 'réalistes', les États sont perçus comme des individus égoïstes qui, dans leurs interactions, ne pensent qu'à leurs intérêts. À l'extrême, ils croient en la thèse de l'équilibre des forces et aux accords diplomatiques signés selon les enjeux de l'heure. Mais il n'est pas question de prescrire des lois pour encadrer les relations entre pays."

À l'opposé, poursuit-elle, les 'idéalistes' estiment qu'il faut se soumettre à des principes de coopération internationale. Depuis les débuts de la civilisation, les individus ont été capables de donner à leurs rapports sociaux une valeur morale. Éventuellement, les États devraient donc pouvoir s'entendre sur des principes fondamentaux."

À son avis, l'Organisation des Nations Unies (ONU), créée au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, incarne bien le courant idéaliste, même si les structures supranationales ont des failles. "Durant la crise du Kosovo, par exemple, l'ONU n'a rien pu faire."

"Le 20e siècle a tout de même connu une évolution dans la façon de concevoir les relations internationales", indique Ryoa Chung. Signe de cette évolution? En dépit des guerres mondiales, la création d'institutions politiques internationales en vue d'une plus grande coopération entre les États est aussi caractéristique du 20e siècle. Au lendemain de la fin de la guerre froide (1989), soutient la jeune femme âgée de 31 ans, les juristes et les politologues devront repenser les normes du droit international.

Une philosophie ancrée dans l'actualité
Alors, la guerre dans tout ça? "Il existe des modes de résolution des conflits plus rationnels que la violence", affirme la philosophe. L'objectif principal de sa recherche consiste d'ailleurs à démontrer le potentiel des moyens juridiques et diplomatiques. "Je suis une pacifiste, mais le droit d'intervention peut parfois être justifié", dit-elle en laissant entendre qu'elle approuvait les frappes de l'OTAN au cours de la crise du Kosovo.

Cependant, Ryoa Chung précise que l'OTAN a peut-être agi de façon imprudente. "La première initiative de l'OTAN était sans doute légitime, mais je m'interroge à savoir si l'on a suffisamment donné de chances aux efforts diplomatiques avant d'envoyer les troupes." La fuite massive des réfugiés kosovars semble lui donner raison. Après tout, il n'y a pas que Slobodan Milosevic qui a menti impunément. L'OTAN a menti aussi.

Reste qu'il était difficile de prévoir une telle tournure des événements, admet Ryoa Chung. "Dans un second temps de la crise, à la vue des persécutions perpétrées au Kosovo, je crois qu'il fallait effectivement intervenir par la force."

L'intervention humanitaire de pays voisins d'un État en guerre peut-elle constituer un droit d'ingérence? Actuellement, la souveraineté des États et le principe corollaire de l'intégrité territoriale limitent considérablement la portée d'un tel droit, répond la chercheuse. "S'il est absolument nécessaire de demeurer très prudent avec l'idée d'un droit d'ingérence, il semble que l'intervention humanitaire constitue une obligation morale dans certaines circonstances, comme dans les cas du Rwanda et du Timor oriental, par exemple."

Avec la mondialisation, nous allons devoir nous questionner sur la validité même du principe de la souveraineté nationale, prévient-elle. Ne serait-ce que d'un point de vue pragmatique, les États devront trouver un consensus sur certains principes de base à la fois pour limiter et protéger leur autonomie. Il en va de leur propre survivance. D'ailleurs, s'il y a moins de guerres qu'avant, ce n'est pas parce que les hommes ont un plus grand sens moral, estime Ryoa Chung.

"C'est en raison des structures politiques, qui favorisent la démocratisation des rapports et le recours à d'autres voies que la violence pour résoudre les conflits, fait-elle valoir. Mais en retour, le progrès des institutions politiques a pour effet de moraliser les relations internationales."

Dominique Nancy


[Accueil Forum][En bref][Calendrier][Opinions]