FORUM - 1ER MAI 2000

Naissance d'une université tournée vers les sciences

Luc Boudreau présente la Faculté des sciences de 1920 à 1945.

Les créateurs de l'exposition virtuelle intitulée "La petite faculté de luxe": Luc Boudreau (au premier plan), Michel Champagne (au centre) et Denis Plante (à droite). Ce dernier collabore à Forum (rubrique Archives) depuis le début de l'année.

"La postérité ne devra pas oublier les courageux qui eurent la témérité de concevoir cette innovation et les généreux qui firent les sacrifices que l'on sait pour la réaliser", écrivait le frère Marie-Victorin en 1922, deux ans après la création de la Faculté des sciences de l'Université de Montréal.

Ces propos, cités dans un tout nouveau site Web consacré à la naissance de la Faculté des sciences (ancêtre de l'actuelle Faculté des arts et des sciences ou FAS), rappellent que la formation scientifique n'était pas gagnée durant les années folles. "Contrairement à la France, à l'Allemagne et aux États-Unis, le Québec avait pris du retard au chapitre de l'enseignement des sciences. L'Église craignait son envahissement dans la vie intellectuelle de l'époque", explique le concepteur du site, Luc Boudreau, étudiant à la maîtrise en bibliothéconomie.

Les "courageux" et les "généreux" dont parlait le futur fondateur du Jardin botanique de Montréal, c'était évidemment, pour la plupart, des hommes portant la soutane. Mais ils étaient convaincus de l'importance d'une université moderne, capable d'enseigner la chimie, la physique, la biologie et les sciences naturelles. "Jusqu'à ce moment-là, l'université était surtout consacrée à la formation des médecins, avocats et autres professionnels, explique l'étudiant. Le frère Marie-Victorin, dont la crédibilité ne faisait aucun doute dans la communauté scientifique, a permis un développement rapide de ce secteur."

Le père Louis-Joseph Morin, licencié ès sciences de la Sorbonne, est l'un de ces courageux. D'abord professeur de sciences au collège de Joliette, il enseigne la chimie générale et devient le premier doyen de la Faculté des sciences dès l'année de sa fondation. Il occupe ce poste jusqu'à son décès, en 1931. D'autres pionniers, laïques ceux-là, mettront l'épaule à la roue: Georges Baril, Jules Brunel, Marcel Cailloux, notamment. Une femme est du nombre: Marcelle Gauvreau. Sans relâche, elle a travaillé dans l'ombre du frère Marie-Victorin.

L'exposition virtuelle réhabilite quelques bâtisseurs. Elle montre dans quelles conditions intellectuelles, matérielles et financières la science s'est développée. Par exemple, en 1928, la maquette du Pavillon principal sur la montagne est présentée au public. La construction n'en est achevée que 15 ans plus tard.

Pourquoi présenter l'origine de cette faculté? Parce qu'elle est méconnue dans l'histoire des sciences au Québec même si elle y occupe une place centrale. L'idée est de Denis Plante, de la Division des archives, et Michel Champagne a assuré la supervision du stage.

Faculté de luxe
Aux premières heures de la nouvelle unité, qui ne comptait que 50 étudiants (la FAS en compte 13 000 aujourd'hui), le public n'était pas convaincu de l'utilité de cette "petite faculté de luxe". Il faut dire qu'à peine une dizaine d'étudiants se destinaient à autre chose qu'à la médecine. C'est pour ces derniers que six sections voyaient le jour: mathématiques, physique, chimie, botanique, zoologie et minéralogie.

Jusqu'à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la Faculté des sciences suit une évolution constante. En 1943, la construction du Pavillon principal est enfin achevée. Pour l'archiviste, l'intérêt du sujet s'arrêtait là, car la période moderne est mieux connue des historiens. "Je m'intéresse aux documents inactifs, c'est-à-dire aux archives peu explorées, explique le jeune homme. C'est incroyable les trésors qu'on peut y trouver."

Un des objectifs de ce site est de mettre en valeur des documents peu communs. Or, l'archiviste a mis la main sur des pièces qui méritent le coup d'oeil: un diplôme de maîtrise du biologiste Vianney Legendre, notamment, et des notes de cours superbement illustrées. De plus, on y trouve une photo presque inédite du frère Marie-Victorin herborisant à Cuba. "Il n'y a pas que des vieux papiers dans les archives de l'Université, signale Luc Boudreau. Il y a un tas de choses intéressantes."

Le jeune homme, qui terminera bientôt sa maîtrise, a été retenu à l'issue d'un concours de l'École de bibliothéconomie et des sciences de l'information pour aller faire un stage en Suisse durant l'été. Son contrat consiste à traiter, pour le Musée olympique de Lausanne, une partie du fonds Lord-Killanin, l'ancien président du Comité international olympique.

Originaire des îles de la Madeleine, Luc Boudreau a travaillé au Centre régional des archives des îles après avoir obtenu son baccalauréat en histoire à l'Université Laval. Mais il s'est rendu compte en 1998 que des études de maîtrise seraient un excellent atout pour la carrière qu'il entendait mener. C'est alors qu'il s'est inscrit à l'Université de Montréal. "Mon but? Je dirais que c'est de concilier l'histoire avec l'archivistique", dit-il.

L'informatique, pour lui, permet une diffusion appréciable de travaux autrement destinés à rester marginaux. L'exposition virtuelle conçue à l'intérieur de son stage, par exemple, aurait circulé entre les mains d'une poignée de personnes si elle avait été imprimée. Sans frais supplémentaires, elle devient accessible à la planète entière grâce à Internet.

Mathieu-Robert Sauvé

On peut consulter l'exposition en passant par le site de la Division des archives (http://www.archiv.umontreal.ca) ou directement (http://www.archiv.umontreal.ca/exposition/sciences/presentation.htm).