FORUM - 10 AVRIL 2000

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Vous ronflez? Allez voir votre dentiste!

Selon Florence Morisson, le dentiste peut apporter une aide aux personnes qui ronflent et qui souffrent d'apnées du sommeil.

Généralement, les patients de la Dre Florence Morisson ne sourient pas autant lorsqu'elle procède à la mise en bouche d'un appareil intrabuccal. Il faut dire que, dans la vie, Nicolas Lafrance, étudiant au Département de dentisterie de restauration, n'a pas besoin d'une prothèse qui traite
le ronflement et l'apnée du sommeil.

Environ 20% de la population adulte ronfle. Chez certaines personnes, l'intensité du ronflement se compare au bruit d'un camion qui démarre. En termes techniques, cela signifie que la symphonie nocturne peut atteindre les 80 décibels. Et il y a pire encore. Un ronfleur sur quatre souffre d'une maladie potentiellement mortelle: le syndrome de l'apnée du sommeil (SAS).

"L'apnée est caractérisée par des arrêts respiratoires, signale la Dre Florence Morisson, professeure au Département de santé buccale de la Faculté de médecine dentaire. L'obstruction du flux aérien dans le nez ou la bouche entraîne des épisodes d'asphyxie et une fragmentation du sommeil."

Une langue et des amygdales trop volumineuses ainsi qu'une mâchoire en retrait occasionnent le rétrécissement des voies aériennes supérieures, soutient la spécialiste. "Plus le conduit d'air est petit, plus il faut respirer avec force. Mais ce phénomène crée une succion qui entraîne le rapprochement des tissus, d'où le blocage du passage de l'air."

Elle explique. Au cours du sommeil "lent profond" et "paradoxal", stades durant lesquels le tonus musculaire se relâche considérablement, surviennent des épisodes d'apnée. Le relâchement des muscles combiné avec la pression négative, causée par l'inspiration, provoquent la fermeture complète des voies aériennes.

"Alerté, le cerveau ordonne à la personne de se 'réveiller' afin qu'elle retrouve le tonus musculaire nécessaire pour rouvrir le conduit aérien. Résultat: une désaturation en oxygène dans le sang et une fragmentation du sommeil. Pas étonnant que l'apnéique ait un sommeil perturbé et non réparateur."

Le SAS comporte une séquence de "micro-éveils" et de réendormissements qui peuvent se répéter plusieurs centaines de fois par nuit. La personne qui souffre d'apnées n'a donc pas, ou du moins très peu, de sommeil "lent profond" et "paradoxal".

Les conséquences de ce syndrome, qui peut passer longtemps inaperçu, sont majeures: diminution du rendement intellectuel, irritabilité, baisse de la libido, céphalées, dépression, hypertension artérielle, accidents cérébrovasculaires et troubles cardiaques, dont 30% d'infarctus du myocarde.

La sévérité de l'apnée dépend du nombre d'arrêts respiratoires par heure de sommeil: SAS léger, de 5 à 15; SAS modéré, de 15 à 30; et SAS sévère, au-delà de 30. "L'espérance de vie des personnes qui font de l'apnée sévère est très compromise: près de 60% des apnéiques, dont l'indice d'arrêts respiratoires par heure de sommeil est supérieur à 30, décèdent huit ans après le diagnostic", indique Florence Morisson.

Accidents de la route
Comment le dentiste peut-il aider ces gens? "Grâce aux appareils dentaires, le dentiste est appelé à jouer un rôle important dans le traitement des troubles du sommeil, répond la professeure. Il doit être apte à dépister les ronfleurs à risque au cours de l'examen clinique afin de les diriger vers un spécialiste des maladies du sommeil ou un pneumologue." Outre le ronflement, les signes suivants sont révélateurs: hypersomnolence diurne, circonférence du cou (de 41 centimètres et plus), mâchoire en retrait, obésité, hypertension et problèmes cardiaques.

Ces caractéristiques ne permettent pas à elles seules d'établir un diagnostic certain. Il existe une seule façon de déterminer si le ronflement est pathologique: la polysomnographie. Ce test consiste en l'enregistrement de variables électrophysiologiques (mouvements du thorax, de l'abdomen, etc.) et du degré de saturation de l'oxygène dans le sang.

Mais l'engorgement des hôpitaux occasionne des délais de 3 à 12 mois pour l'enregistrement et la lecture des résultats. "En attendant, plusieurs patients continuent à conduire malgré une hypersomnolence sévère", déclare la Dre Morisson.

Les accidents de la route attribuables au syndrome de l'apnée du sommeil sont très nombreux. Au Canada, on compte annuellement 5000 décès et plusieurs seraient causés par une carence en sommeil, entraînant une difficulté à se concentrer et une perte de jugement. Autres répercussions sociales: pertes d'emploi et divorces.

Depuis quelques années, il existe de nouveaux traitements qui permettent de soigner les problèmes de respiration: la chirurgie (laser et maxillo-faciale) et l'interception mécanique (appareils de ventilation et intrabuccaux).

"Avant de choisir le traitement, le dentiste doit désigner la cause de l'obstruction (amygdales, langue, mâchoire, etc.) et déterminer s'il y a une pathologie sous-jacente au ronflement. Le patient doit aussi être informé qu'aucun traitement n'est garanti à 100%", déclare Florence Morisson. À son avis, les nouveaux traitements sont trop souvent considérés comme des cures miracles.

La chirurgie au laser consiste en une résection de la luette et des tissus mous du palais et du pharynx, indique-t-elle. La procédure est simple, mais le traitement comporte des risques (guérison douloureuse, reflux nasal, changement de la voix, modification du goût, etc.) et les résultats sont variables. Dans certains cas, la chirurgie au laser risque même d'aggraver l'apnée du sommeil.

La chirurgie maxillo-faciale (avancement mandibulaire ou maxillaire) est un traitement efficace chez certains patients atteints du syndrome de l'apnée du sommeil. "Ceux dont la mâchoire du bas ou du haut est décalée représentent de bons sujets. On peut avancer la mâchoire qui est en retrait sans même devoir procéder à un traitement d'orthodontie."

Les traitements non invasifs
Selon la Dre Florence Morisson, les apnéiques sévères devraient suivre un traitement initial avec un appareil de ventilation nommé Continuous Positive Airway Pressure. "Il s'agit d'une pompe qui insuffle une pression d'air par le nez et qui permet la réouverture et le maintien des voies aériennes."

En plus d'améliorer l'oxygénation du cerveau, ce traitement permet de normaliser la respiration et le sommeil. L'appareil, qui ressemble à une muselière, est toutefois inconfortable pour certaines personnes; les sujets se plaignent entre autres de recevoir de l'air dans le cou.

Pour les apnéiques légers à modérés, les appareils intrabuccaux peuvent représenter une solution intéressante, fait valoir la spécialiste. "Les prothèses dentaires ne sont pas invasives et sont généralement bien tolérées par les patients. Leur taux d'efficacité sur le ronflement et l'apnée varie de 75% à 94%."

Mais attention! Tous les patients ne sont pas de bons candidats, prévient Mme Morisson. Le taux de succès augmente si le patient est jeune, mince, non fumeur et présente une mâchoire en retrait. Par ailleurs, les individus devront porter l'appareil toute leur vie (pendant la nuit), car l'effet est mécanique et réversible.

Il existe deux types d'appareils intrabuccaux qui permettent d'augmenter le diamètre des voies aériennes supérieures. La prothèse rigide, faite en acrylique, sert à avancer la mandibule afin d'ouvrir les voies aériennes. S'ensuit une meilleure circulation de l'air. "Cet appareil dentaire doit cependant prendre appui sur des dents saines et certaines personnes ressentent des inconforts, notamment une douleur dans les joues et les incisives."

La prothèse souple convient aux personnes qui portent un dentier ou qui n'ont pas les dents solides. Avec cet appareil, l'articulation n'est pas mise en jeu. La langue est simplement avancée et maintenue par succion pendant la nuit. Elle est moins résistante que la prothèse rigide et provoque une salivation abondante, mentionne la Dre Morisson.

"Le succès obtenu avec la thérapie dentaire est une percée importante. Mais cette thérapie ne devrait jamais être utilisée sans la collaboration étroite du médecin et du dentiste. Car traiter un problème mineur comme le ronflement sans vérifier s'il y a des apnées sous-jacentes peut empêcher de diagnostiquer une maladie grave et même mortelle."

Dominique Nancy



L'apnée du sommeil chez les enfants

"S'il est socialement dérangeant, le ronflement n'est pas nécessairement pathologique, indique la Dre Florence Morisson, professeure au Département de santé buccale. Par contre, c'est un des symptômes du syndrome de l'apnée du sommeil (SAS)." Cette maladie potentiellement mortelle n'épargne pas les enfants.

Chez les jeunes, 70% des apnées sont causées par une mâchoire en retrait ou trop étroite et l'embonpoint. Dès l'âge de cinq ans, les enfants peuvent subir un traitement pour l'agrandissement de la mâchoire, soutient la professeure, mais en aucun cas il ne peut y avoir de chirurgie maxillo-faciale. Cette procédure n'est pas simple: il faut attendre la fin de la croissance et combiner un traitement d'orthodontie.

Les problèmes d'obésité chez les jeunes inquiètent Florence Morisson, car les cas d'apnée liés à l'embonpoint sont de plus en plus fréquents. "L'apnée touche 60% de la population adulte obèse, souligne-t-elle. Une prise de poids de seulement quatre kilos peut faire en sorte que l'individu passe de la catégorie 'SAS modéré' à celle dite 'sévère'." Comme chez l'adulte, l'apnée infantile peut aussi provenir d'adénoïdes (végétations nasales) ou d'amygdales trop volumineuses.

D.N.



L'apnée endommage-t-elle les cellules du cerveau?

Le ronflement est souvent un sujet de plaisanteries. Mais pour les personnes qui souffrent d'apnées (arrêts respiratoires), le problème est sérieux. Chaque nuit, leur cerveau manque d'oxygène. Cette carence s'élève au minimum à 14 minutes par séquence de 7 heures de sommeil. Ces chutes répétées du taux d'oxygénation dans le sang peuvent avoir des conséquences graves.

C'est du moins l'avis de la Dre Florence Morisson. La professeure au Département de santé buccale a mené une étude sur les dommages possibles causés par le syndrome de l'apnée du sommeil (SAS) sur les cellules du cerveau. Résultat: le SAS est une source de perturbation sur le plan cérébral.

"Les tests révèlent un ralentissement généralisé de l'activité cérébrale, alors qu'on s'attendait à trouver ce ralentissement seulement sur le plan frontal, dit la Dre Morisson. Après le traitement, l'activité cérébrale des sujets redevient normale." L'apnée endommage-t-elle les cellules du cerveau? Les résultats ne permettent pas encore d'affirmer qu'il y a des effets irréversibles, répond la chercheuse, mais la maladie provoque certainement des dérangements cérébraux.

C'est à partir d'analyses spectrales (activité électrique du cerveau), que Florence Morisson a observé auprès d'une vingtaine de sujets un ralentissement généralisé du cerveau. "L'apnée, dont le ronflement est un des symptômes, est caractérisée par un minimum de cinq arrêts respiratoires par heure de sommeil. La durée moyenne de ces asphyxies est de 24 secondes. Mais elles peuvent se prolonger jusqu'à 2 minutes", soutient la Dre Morisson.

Pour elle, le ronflement n'est pas un sujet de plaisanteries. Car elle sait que le cerveau ne doit pas manquer d'oxygène pendant plus de trois ou quatre minutes, sinon les chances de s'en tirer sans séquelles graves sont minces.

D.N.


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