FORUM - 13 MARS 2000 

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Un libraire passionné

"Le vol de livres n'est pas un acte au-dessus de toute sanction morale", selon Pierre Moreau.

Pierre Moreau est libraire depuis une trentaine d'années à la librairie du Pavillon principal. Mais il n'y a pas que les ouvrages de sciences et de technologie qui l'intéressent. Il est aussi un passionné de bandes dessinées. Nommez-les, il les a toutes lues ou presque.

Durant les mois de septembre et de janvier, les librairies de l'Université de Montréal sont pleines à craquer. Mais ce n'est certainement pas Pierre Moreau qui va s'en plaindre. Physique, médecine, psychologie: demandez-lui n'importe quoi. S'il ne connaît pas, il va chercher la réponse.

Le libraire et gérant de la librairie du Pavillon principal compte une trentaine d'années dans le métier, mais il insiste sur la collaboration de ses collègues. C'est d'abord un travail d'équipe, révèle-t-il. "On ne peut pas lire tous les livres, ni être un spécialiste dans tous les domaines. Les éditeurs et les professeurs sont aussi des sources d'information importantes."

M. Moreau se souvient d'ailleurs des discussions passionnantes qu'il a eues avec l'astrophysicien Hubert Reeves. "À l'époque où il enseignait au Département de physique, Hubert Reeves fréquentait régulièrement la librairie", raconte-t-il avec un brin de nostalgie.

Produits dérivés
Pour lui, le libraire est un amoureux des livres qui a à coeur de bien renseigner la clientèle. "Allez trouver un conseiller dans une librairie à grande surface!" Il faut dire que la librairie de l'UdeM a un caractère particulier. Ses deux succursales (les pavillons principal et 3200 Jean-Brillant) en font la plus grande librairie bilingue universitaire au Québec, avec ses 390 m
2.

"Il y a peu d'endroits à Montréal où l'on peut retrouver, sous un même toit, autant de livres de sciences et de technologie", note Pierre Moreau en faisant référence à la librairie du Pavillon principal. La preuve: même les compagnies pharmaceutiques et les hôpitaux y font leurs achats. Au total, le stock atteint les 500 000$, dont 250 000$ en livres médicaux. "Les ouvrages de médecine représentent nos meilleurs vendeurs, souligne le directeur. On reçoit environ 150 nouveaux titres par semaine." Suivent de près les livres de biochimie, d'informatique, de physique et de psychologie.

Le créneau qu'exploite la librairie des sciences et de la technologie la distingue des mégalibrairies telles que Chapters et Renaud-Bray. Ce n'est pas nécessairement le cas pour la librairie des sciences sociales puisqu'on y trouve des romans, des best-sellers et même des livres de cuisine!

Signe des temps: les deux librairies de l'Université offrent comme dans les grandes surfaces un vaste choix de produits dérivés: tee-shirts, peluches, calendriers, cartes de souhaits, etc. Servent-ils à stabiliser la santé financière des librairies? La vente de ces produits a pour but de rendre les lieux moins austères, signale Pierre Moreau. Les librairies des lieux austères? Ah bon! Le directeur insiste pour dire que les produits dérivés ne représentent que 2% du chiffre d'affaires annuel. "Mais les revenus des articles de bureau et des fournitures scolaires, c'est beaucoup plus que cela", indique-t-il sans préciser davantage.

L'apport de la technologie
De nos jours, l'informatisation des outils de recherche simplifie le travail des libraires. Pierre Moreau le confirme: "C'est loin d'être comme à l'époque où il fallait chercher l'information dans une quinzaine de catalogues d'environ trois pouces d'épaisseur chacun, imprimés en caractères minuscules." Depuis que les catalogues des éditeurs francophones et anglophones sont informatisés, on les considère comme des outils indispensables.

Autre effet positif de la technologie: la diminution du vol à l'étalage. Pour l'ensemble des librairies de l'Université, le vol représentait, en 1997, un déficit de 61 000$. L'année dernière, les pertes passaient à 6000$ grâce aux systèmes d'alarme et aux caméras de surveillance. Cela en dissuade plus d'un, signale Pierre Moreau, mais la technologie n'est pas infaillible et les voleurs professionnels connaissent de nombreux trucs. "Les chiffres actuels correspondent à la norme de l'Association de l'industrie du commerce: toutes catégories confondues, le vol oscille entre 1,5% et 2% du chiffre d'affaires annuel."

Il n'existe pas de typologie du voleur potentiel. Il y a des étudiants sans le sou, des enseignants "très bien", des catholiques pris la Bible dans le sac, etc. Tous des kleptomanes? Non, répond le libraire, mais certains le sont, bien sûr. En principe, il s'agit de personnes qui se donnent bonne conscience en disant que les livres coûtent cher. "C'est le vol le moins culpabilisant qui soit!" Il y a aussi le phénomène des gangs organisés. Chargés de "commandes", ces voleurs vendent les bouquins sans même en connaître la valeur!

Que vole-t-on? De tout: il n'y a pas de liste des meilleurs vols en librairie. Mais le Petit Robert, les ouvrages ayant gagné des prix littéraires et les nouveautés sont très populaires. "C'est facile à revendre." Il ne s'agit donc pas de "vols idéologiques"? Sauf exception, rares sont les voleurs de livres qui ont à coeur la littérature, déclare Pierre Moreau. Il est d'ailleurs assez fréquent de voir des nouveautés, qui vraisemblablement n'ont même pas été lues, dans les magasins de livres usagés!

À quand la vente sur le Net? "Depuis cinq mois, on fait de la vente en ligne par le biais d'un grossiste, fait valoir le gérant. Ce service ne s'applique que sur les livres de médecine qui sont acheminés par la poste. On peut difficilement télécharger ou envoyer par cybercorrespondance un ouvrage rempli d'images couleur. Il faudrait se limiter aux livres avec texte seulement. Et encore là, concevoir un site Web où seraient répertoriés tous les titres exigerait un gros investissement."

Pour l'instant, le gérant de la librairie des sciences et de la technologie surveille les développements du commerce électronique. Mais il n'est pas prêt à se défaire du télécopieur et du téléphone puisqu'une grande part des ventes sont faites grâce à ces outils. Et bien sûr, il y a le lieu lui-même pour ceux qui ne croient pas à l'austérité des librairies.

À noter que le stationnement est gratuit pour une durée de 1 h 15 avec un achat de 10$ ou plus. À cette fin, il suffit de le signaler à la caissière.

Dominique Nancy


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