FORUM - 13 MARS 2000 

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André Charette, boursier Steacie

Le chercheur de 38 ans a déjà un labo de 26 chercheurs et occupe une nouvelle chaire industrielle.

À la petite école, André Charette n'était pas très versé en chimie. Jusqu'à ce que ses parents lui offrent pour son anniversaire un jeu de chimie avec lequel il apprend à mesurer le pH de liquides, à provoquer des précipités et à changer la couleur des solutions. C'est le coup de foudre.

Dans les mois qui suivent, le jeune homme dévore tous les livres qu'il peut trouver sur la "science de constitution des divers corps" et prend deux ou trois ans d'avance sur les programmes enseignés dans les collèges. Cette boulimie l'accompagne jusqu'à l'Université de Montréal, où il termine son baccalauréat en 1983. Puis, il prend la direction des États-Unis, où il fait des études à Rochester et à Boston. Il obtient son postdoctorat à l'Université Harvard en 1989.

"J'ai su dès mon adolescence que je consacrerais ma vie à la chimie", dit le chercheur qui vient de se voir attribuer une bourse Steacie du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), d'une valeur de 180 000$. Quatre chercheurs au pays ont obtenu cette bourse pour l'année 2000 et M. Charette est le seul Québécois sur la liste.

Aujourd'hui, le professeur Charette "tripe" toujours autant sur sa science que lorsqu'il a découvert la chimie des solutions, et son laboratoire compte déjà 26 chercheurs. Pour lui, ce labo est comme un immense jeu de chimie. "J'ai toujours hâte d'arriver à mon bureau, dit-il. Les enfants comptent les dodos avant Noël. Je ressens une impatience similaire chaque jour."

Deux prix qui s'harmonisent bien
La bourse Steacie, offerte aux chercheurs de moins de 40 ans les plus prometteurs du pays, représente la deuxième reconnaissance majeure en quelques mois pour André Charette puisque c'est à lui qu'on a offert de diriger la Chaire industrielle en synthèse stéréosélective des médicaments, financée par les entreprises pharmaceutiques Merck Frosst et Bio-Méga (filiale de Boehringer-Ingelheim). Dotée d'un budget de 1,9 million sur cinq ans, cette chaire a démarré au début de l'année 2000.

Selon André Charette, les deux honneurs s'harmonisent parfaitement puisque la Chaire privilégie la recherche appliquée alors que le prix du CRSNG valorise les connaissances fondamentales. Toutefois, le chercheur n'oublie pas la vocation pédagogique de l'Université. Son objectif demeure de "former de bons chimistes capables de travailler autant dans le secteur industriel que dans le milieu universitaire".

D'ailleurs, la manne qui lui tombe du ciel ne l'amènera pas à agrandir son laboratoire. L'espace dont il dispose lui convient très bien, au contraire. Tout au plus augmentera-t-il le nombre de chercheurs postdoctoraux parmi son personnel. Ceux-ci passeront de quatre à huit.

Avec André Charette pour prendre la relève d'un autre chimiste d'envergure qui a contribué à faire connaître l'Université de Montréal sur la scène scientifique internationale, Stephen Hanessian, on peut dire que le Département de chimie est entre bonnes mains.

Un chimiste brillant
En annonçant l'attribution de la bourse à M. Charette, le secrétaire d'État aux Sciences, à la Recherche et au Développement du Canada, Gilbert Normand, a qualifié le lauréat de "l'un des jeunes chimistes de synthèse les plus brillants du Canada".

Comptant une cinquantaine d'articles scientifiques à son actif, principalement dans la revue Journal of American Chemistry Society, André Charette a déjà une réputation internationale en matière de synthèse de molécules complexes. "Jusqu'à maintenant, l'industrie pharmaceutique a réussi à découvrir et à concevoir des médicaments efficaces mais qui ont souvent de nombreux effets secondaires. Mon travail, entre autres, consiste à trouver des méthodes permettant d'éliminer ces effets en améliorant la synthèse d'énantiomères."

Un énantiomère est fait d'une paire d'isomères non superposables, c'est-à-dire que l'un est comme le reflet de l'autre dans un miroir. La tristement célèbre thalidomide, par exemple, était composée d'une molécule particulière formée de deux énantiomères. Tandis que l'un joue un rôle curatif, l'autre peut provoquer des effets indésirables. Si l'on avait pu éliminer cet énantiomère néfaste, explique le chimiste, le médicament aurait pu jouer son rôle. Aujourd'hui, il serait techniquement possible de créer une telle molécule. Mais qui voudrait relancer le produit?

Plus d'une centaine de médicaments actuellement utilisés ont un énantiomère, ce qui complique leur synthèse. C'est le cas du 3TC et des médicaments anti-sida. Or, l'étude des énantiomères est capitale pour le prochain siècle. Le laboratoire du professeur Charette se consacre à la mise au point de nouvelles réactions chimiques qui permettent de synthétiser sélectivement un des deux énantiomères d'une molécule donnée.

Les bourses que le chercheur vient de recevoir lui permettront de s'investir entièrement dans cette tâche.

Mathieu-Robert Sauvé


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